mardi 22 mars 2011

Week-end à Deauville des Parfums de Nicolaï: Muguet cavalier




La présidente de l’Osmothèque serait-elle le premier parfumeur à houspiller les législateurs dans le communiqué de presse d’un nouveau produit ? Il faut dire que le Week-end à Deauville de Patricia de Nicolaï, édition limitée en 2009[i] qui fera désormais partie de la collection permanente, est un floral vert construit autour de ce qui est essentiellement une espèce en voie de disparition, du moins dans la palette du parfumeur : le muguet. « Enfin, ce qu’il en reste, écrit Mme de Nicolaï, car il faut savoir qu’en parfumerie, le muguet dont on ne peut extraire aucune essence naturelle, est mis à rude épreuve. Chaque jour, la législation réduit l’utilisation des molécules indispensables à sa reconstitution. Adieu lilial, lyral, hydroxycitronellal et douces clochettes ! » (Précisons que ces matériaux sont toujours autorisés, mais en quantités limitées.)

Comme la ville qui lui a donné son nom, Week-end à Deauville est un parfum vivifiant et chic, plutôt chevauchée sur la plage que nuit au casino, romantique sans chichis ni chabadabadas. Ses notes vertes, fraîches et fusantes au débouché – cardamome, menthe poivrée, basilic et estragon, acidulées de pomme – introduisent les facettes humides du muguet, utilisé par les parfumeurs pour produire des effets de fraîcheur aqueuse avant que des matériaux « aquatiques » ne leur soient disponibles. Deux d’entre eux sont d’ailleurs présents dans la formule de Week-end à Deauville : l’hélional avec ses facettes humides, vertes, cyclamen et foin, et la célèbre calone, dosée à bon escient pour produire un effet de verdure gorgée d’embruns.

Week-end à Deauville se développe de façon classique : la fraîcheur herbacée des notes de tête cède à celle plus terreuse, résineuse et profonde du galbanum qui enrobe un cœur de jasmin et d’ylang-ylang. Et c’est alors – coup de théâtre ! – que le tendre muguet dévoile son caractère bien trempé de chypre aux relents de cuir et de mousse sur fond de cèdre et de musc. Quoiqu’il soit très différent du Temps d’une Fête qui se construisait également sur un axe vert-floral-boisé (notamment par l’absence de notes ambrées), Week-end à Deauville affiche la même allure aristocratique d’amazone – Deauville est une capitale du cheval, et c’est sans doute son ambiance équestre qui s’insinue dans ce cuir et ces légères notes de foin.
C’est dans ses notes de fond que Week-end à Deauville abat sa dernière carte, et c’est la reine de cœur : si ce n’est la tubéreuse (qui ne figure pas dans le descriptif), c’est son effet, peut-être suscité par le jeu du jasmin et de la menthe poivrée. (après vérification auprès de Mme de Nicolaï, il n'y a pas de tubéreuse.)

Le parfum prend parfois des allures d’hommage à Edmond Roudnitska – non seulement parce que le muguet renvoie forcément à Diorissimo, mais parce que les notes herbacées et aquatiques évoquent Eau Sauvage et Diorella – ce qui renforce l’identité « patrimoniale » des Parfums de Nicolaï. La maison s’en est réclamée d’entrée de jeu via les relations familiales de sa fondatrice à la dynastie Guerlain ; les fonctions actuelles de Patricia de Nicolaï à l’Osmothèque la renforcent. Mais c’est surtout par son exploration des motifs classiques de la parfumerie – encore récemment dans l’héliotrope de Kiss Me Tender ou les violettes de Violets in Love – que cette filiation s’exprime, avec une assurance inébranlable mais sans esbroufe. Les parfums de Patricia de Nicolaï ressemblent assez, en fin de compte, à leur auteur.



[i] La formule du nouveau parfum est assez différente de celle de l’édition limitée: je n’ai pas d’échantillon de cette dernière pour comparer, mais il semble que les notes épicées aient été atténuées, et les notes fruitées et muguet amplifiées. c'est, me dit-on chez PdN, la coriandre, la rose et le géranium qui ont été retirés.



Illustration:  Le défilé des partants à Deauville de Raoul Dufy

6 commentaires:

  1. Effectivement - je parle de la correction apportée en bas de page - l'amplification de la note muguet semblait contradictoire avec le préambule....
    ... mais la calone : j'ai peur ! :-)

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  2. Thierry, c'est marrant cette calone-phobie quasi universelle chez les amoureux des parfums. je dirais, si j'etais anthropologue, que c'est un trait culturel!

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  3. Décidément, j'ai de plus en plus envie de découvrir tous les parfums de Nicolaï. Je ne les connais pas tous, mais ceux que j'ai testés me semblent avoir des qualités que j'apprécie tout particulièrement en parfumerie : un certain clacissime allié à des belles matières utilisées de manière raffinée. J'apprécie tout particulièrement Sacrebleu, une de mes fragrances préférées toutes marques confondues, une merveille de douceur et de raffinement. Vivement une virée sur Paris pour poursuivre mes découvertes !

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  4. Je suis en train de le tester et bon, je regrette de ne pas avoir acheté l'ancienne formule quand je pouvais! Celui-ci me semble trop acide, effet pomme verte grany smith en tête, et presque métallique (l'hélional je présume). Peut-être est-ce mon souvenir mais je trouvais le galbanum et surtout le muguet plus intense, la faute aux restrictions sans doute. Je vais donc rester avec Le Temps d'une fête ce printemps.
    Cela dit, Week-end à Deauville est joliment tourné et 100 fois mieux que certaines nouveautés!

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  5. Garance, je ne peux que souscrire! Personnellement, j'ai un faible pour Le Temps d'une fête...

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  6. Anatole, je ne connais pas assez la version précédente pour me prononcer... Les modifications ont en effet peut-être été rendues nécessaires par les réglementations, et Mme de Nicolaï, plutôt que de présenter une version bancale, a préféré composer une nouvelle variation sur l'idée... Mais ce n'est qu'une supposition de ma part.

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