dimanche 6 février 2011

1697 de Bertrand Duchaufour pour Frapin: La Bacchanale des Anges




Avez-vous déjà léché une rose éclaboussée de cognac?
Moi non plus. Mais il m’est arrivé de boire des liqueurs à des lèvres qui n’étaient pas les miennes, et le nouvel élixir de Frapin évoque cette sensation : une brûlure boisée, épicée, ambrée, plus brûlante de s’être échauffée à un corps…
Les grands alcools, comme les bons vins, déploient des accords aussi complexes et harmonieux que ceux des meilleurs parfums. Il n’est donc pas entièrement absurde qu’une maison qui produit les premiers depuis vingt générations se consacre aux seconds : les uns et les autres représentent la quintessence de l’art de vivre français, et cèdent une part de leur matière à l’air – la fameuse part des anges…

Comme « La Part des Anges » avait déjà été retenue par Thierry Mugler pour un processus breveté de macération en fût de chêne, le septième parfum de la maison Frapin devait s’appeler Les Ailes du Désir, titre français du film de Wim Wender  Der Himmel über Berlin (“Le ciel au-dessus de Berlin”). Qu’il s’agisse de l’histoire d’un ange qui choisit de devenir humain pour vivre les douleurs et les plaisirs terrestres en faisait un nom particulièrement indiqué – l’essence volatile des alcools et des parfums les placent à la frontière du spirituel et du charnel. Sans oublier que ces « ailes du désir » étaient attribuées, bien avant le film de Wenders, aux phallus ailés communément associés aux rites de fertilité de Dionysos, lequel, comme chacun sait, est le dieu grec du vin et de l’extase. Tout se tient.
Malheureusement, les représentants de Wim Wenders ayant contesté l’usage du titre français du film, David Frossard de Frapin a dû retarder un lancement initialement prévu pour septembre et se rabattre sur un autre nom quand l’imbroglio juridique a traîné en longueur. C’est finalement 1697, l’année où Louis XIV a ennobli la famille Frapin, qui a été retenu.

Jusque là, pourtant, le parfum semblait béni des dieux. C’est en 2009 que David Frossard, lors d’un salon de parfumerie de niche organisé par sa société Différentes Latitudes, a été présenté à Bertrand Duchaufour par Pamela Roberts, ancienne directrice artistique de L’Artisan Parfumeur où David Frossard avait été directeur des exportations. Bertrand Duchaufour, séduit par Frapin, s’est montré intéressé par une collaboration. Sachant qu’il valait mieux ne pas entraver la créativité du parfumeur par un brief trop restrictif, David Frossard a simplement demandé un parfum glamour, charnel, érotique…

Le résultat se situe dans le fil de deux compositions plus anciennes de Bertrand Duchaufour particulièrement appréciées par David Frossard, Patchouli Patch et Bois d’Ombrie (où se trouvait déjà une note cognac); il semble également prolonger un travail entamé avec Al Oudh et Havana Vanille/Vanille Absolument.

La vanille est bien sûr un arôme caractéristique des alcools élevés en fût de chêne puisque le chêne contient de la vanilline (mais également des composés à notes de cuir et de girofle). Elle agit fortement dans 1697 mais n’en est pas le centre comme dans Havana Vanille. Là où ce dernier était un éclatement des notes de la gousse qui la tirait vers le cigare, il s’agit ici de recréer une illusion d’alcool par un jeu d’accords ambre, baumes, épices, cuir, tabac et fruits secs autour d’un axe boisé.
La note de tête rhum de Havana Vanille est reprise et amplifiée dans 1697 pour produire l’effet brûlant d’une gorgée de cognac. Deux matériaux à facettes alcoolisées et fruits secs soutiennent cet effet liquoreux : le cabreuva, essence de bois assez rarement utilisée en parfumerie, et le davana qui est l’une des notes-fétiches de Bertrand Duchaufour. Après l’évaporation de rhum, les épices chaudes – cannelle, clou de girofle – relaient l’effet de brûlure et se répandent sur un cœur floral ylang-ylang, jasmine et rose. 1697 joue aussi, en mode mineur, d’un thème « fleurs épicées » où se profile un œillet fantôme…

La formula est bâtie tête-cœur-fond sur ces arômes communs au cognac, au rhum et au whisky, avec des effets tanniques et crésyliques. Le patchouli est assez prédominant. L’effet ambré/cuiré/tabacé est produit par le ciste essence et le ciste absolue, la cassie absolue et une trace d’isobutyl-quinoléine.
Si les notes de fond de 1697 le tirent vers le baumé – vanille, fève tonka avec ses accents un peu chocolatés et myrrhe, ainsi qu’une larme de « lait condensé sucré » -- l’effet brûlant de l’alcool agit tout au long du développement.

Mon seul petit bémol concerne la concentration à 14 pour cent, qui me semble rabattre un peu les notes, alors que l’échantillon à 12 pour cent qui m’avait été remis l’été dernier avait plus de relief. Ce détail mis à part, c’est un très beau parfum : une interprétation de l’idée de cognac plutôt qu’une représentation littérale, mais tout aussi enivrante que les Frapin à boire. Cette virée dionysiaque dans les vignobles et les chais devrait réchauffer les dernières semaines d’un hiver particulièrement glacial…
À consommer cependant avec modération : vous risquez de vous faire lécher par un satyre de passage.

1697 de Frapin sera lancé courant février dans une édition limitée de 1697 flacons numérotés de 50 ml. En vente à Paris chez Jovoy.



Illustration: Détail de La Bacchanale à Andros du Titien (1523-1525), Musée du Prado

16 commentaires:

  1. ce parfum n'existera qu'en édition limitée ? Ou par la suite sera-t-il accessible ?

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  2. Anonyme: bonne question. Le dossier de presse n'indique qu'une chose à ce sujet "les flacons sont numérotés de 1 à 1697". Je vais essayer de me renseigner.

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  3. Rhum/patchouli, c'est l'accord de Straight to Heaven sur le papier. Y a t'il des points communs olfactifs entre les 2? 1697 semble plus riche. J'espère qu'il existera une édition garnd public comme le reste des beaux parfums Frapin. J'aime particulièrement Caravelle Epicée.

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  4. Rebecca, je viens à peine de vaporiser deux mouillettes pour comparer. D'entrée de jeu, des notes de tête très très différentes, plus fusantes dans le Frapin, fruit sec, très alcoolisé, par rapport au Kilian qui rend un effet plus ambroxan (?). Ce sont deux produits vraiment bien distincts.

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  5. Bonsoir Denyse,

    Et avez-vous pu comparer avec Idole de Giacobetti pour Lubin ? Absolu de rhum, épices et cuir ?

    Narriman

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  6. Narriman, là encore, je ne suis que sur les notes de tête, mais Idole a un départ beaucoup moins rhum, beaucoup plus santal que 1697.

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  7. Bonjour chère madame, j'ai eu l'occasion de sentir un échantillon de Les Ailes du désir et j'ai trouvé ce parfum être très proche avec une autre composition de M. Duchaufour: Baume du doge. Qu'est-que vous en pensez?
    Merci beaucoup
    Lord Byron

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  8. My lord, je ne saurais pas dire, car malheureusement je n'ai jamais senti ce Baume du Doge, les parfums Eau d'Italie n'étant plus distribués à Paris -- c'était Bois d'Ombrie qui m'avait retenue lorsqu'ils l'étaient. Mais le rapprochement ne serait pas étonnant.

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  9. bonsoir
    sera t'il uniquement en vente chez jovoy? je crois que je vais craquer sur celui la

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    1. Idem que pour Soph, je peux vous le vendre neuf ! Je l'ai acheté à Lyon pour mon compagnon, mais il n'a pas été conquis...

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  10. Vero, à vrai dire je n'en sais rien, c'est le point de vente indiqué dans le dossier de presse mais il y en a sans doute d'autres...

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  11. j'ai eu un coup de fpudre total pour ce parfum, enti à deux reprises seulement mais qui m'a laissée un souvenir très fort.

    N'est il donc qu'en édition limitée???

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    1. Je le vends neuf (un cadeau a mon copain qui n'a malheureusement pas été apprécié à sa juste valeur). Si vous le voulez, il est à vous !

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  12. Sophie, pour l'instant oui mais s'il se vend bien, qui sait?

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  13. Vous pouvez également trouver cette merveille à La Maison du Parfum à Rennes!

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