Suite et fin
de cette exploration de l’édition 2014 du Speed Smelling d’IFF. Cliquez ici pour lire la 1ère partie, ici pour la 2ème partie.
L’Eden
intergalactique de Sophie Labbé
Dans un film de 1972, le réalisateur Douglas
Trumbull (responsable des effets spéciaux de 2001, Odyssée de l’espace) imagine une serre orbitale abritant les
derniers spécimens de flore et de faune d’une Terre désormais stérile. Sophie
Labbé ne connaissait pas le film, mais elle en a imaginé l’odeur : ou plus
précisément, elle s’est demandé ce que sentirait le jardin d’une station
orbitale. Qu’emporteraient des pionniers de l’espace pour se rappeler leur
planète natale ?
Réponse de Sophie : une palette représentant
les grandes familles olfactives, où figurent mandarine, basilic, lavande,
gingembre, poivre rose, bourgeon de cassis, mais également un vétiver et une
carotte cœur de LMR. Et, forcément, le jasmin et la rose, qu’aucun parfumeur n’imaginerait
abandonner. Plus une lichette de miel, parce que la vie n’existerait pas sans
les abeilles. Quant à l’ambiance « zéro gravité », elle est évoquée
par la bien-nommée Edenolide™, molécule captive IFF de la famille des muscs,
très facettée et assez puissante pour envoyer une serre entière en orbite. Des
relents ozoniques métalliques avec une touche béton-qui-sèche traînent dans l’air…
En tentant d’imaginer le futur antérieur, Sophie a composé un paradoxe olfactif
et temporel, à la fois évocateur de la parfumerie classique et résolument
futuriste, vrai parfum et anti-parfum dématérialisé.
La planète
jaune d’Aliénor Massenet
Les explorations olfactives d’Aliénor Massenet l’ont
également propulsée hors de l’orbite terrestre, pour graviter vers The New Planet, œuvre de l’artiste danois Olafur Eliasson montrée à la FIAC 2014. Une goutte géante aux facettes
jaunes et argentées suspendue au plafond et tournoyant lentement sur elle-même,
dont la forme et le mouvement semblent engendrer une distorsion de l’espace :
alors qu’on avance pour la contourner, elle semble nous tirer vers l’arrière…
En centrant sa composition sur les notes
hespéridées que semble appeler le jaune, Aliénor a dû travailler sur le
problème principal posé par ces notes : leur faible ténacité. New Planet pivote donc sur un axe
vertical d’AmberXtreme™ (bois qui pique sous anabolisants) qui évoque les
aspérités métalliques de l’oeuvre d’Eliasson. Le noyau de la planète se compose
de deux molécules évoquant les citrus, l’une et l’autre agissant en tête, cœur,
fond : la nootkatone à odeur de pamplemousse (qui la recèle d’ailleurs,
tout comme le vétiver), et le khusinyl, également apparenté au vétiver tout en
étant proche de la rhubarbe. L’effet est bel et bien celui d’un jaune froid,
tonique et moderniste : mission accomplie !
La jungle
amazonienne de Domitille Bertier
Avec le réjouissant B. Balenciaga, Domitille Bertier a récemment signé un parfum vert
des cimes aux racines, égayé d’un accord « edamame » proche du petit
pois frais. Elle poursuit la piste de la chlorophylle jusqu’au Brésil en
imaginant une plongée verticale dans la jungle amazonienne, de la canopée à l’humus.
En sollicitant au passage le seul ingrédient naturel de la palette à contenir
des aldéhydes aliphatiques (ceux du N°5), le polygonum. Overdosé en notes
vertes – violette feuille aux facettes de concombre et de terre humide,
galbanum résineux champignonné – et embuées de notes florales tropicales, cette
composition pétante de sève exhale une vraie naturalité tout en convoquant au
passage le fantôme du regretté Vent vert… (Dans cette photo, Domitille "fume" de la feuille de violette via une pipe à eau).
Le café
moussonné de Nicolas Beaulieu
La source d’inspiration relève des classiques de
la niche – un voyage en Inde, plus précisément au Tamil Nadu, dans le sud du
sous-continent. Cardamome, jasmin sambac, santal : les usual suspects de la région s’alignent
dans la formule. Le café moussonné, en revanche, est beaucoup plus inattendu,
même si l’une de ses facettes – dite « pyrazinée » en termes
techniques, c’est-à-dire grillée-rôtie – s’insinue dorénavant plus fréquemment
dans les pyramides olfactives. Le café en question, dont les grains encore
verts sont exposés à l’humidité de la mousson, reproduit l’arôme des grains jadis
fermentés dans les cales des navires marchands lors de leur long voyage vers l’Europe…
Dans la composition de Nicolas, cet accord café moussonné, perceptible en tête-cœur-fond,
agit en quelque sorte comme un patchouli. Ses notes grillées – suscitées en
partie par une absolue de sésame – s’associent au fumé crémeux d’un santal
indien cultivé en Australie. La cardamome, partenaire naturelle du breuvage à
la fois parce qu’elle est cultivée en Inde sur les mêmes terres que le café, et
qu’elle sert à l’aromatiser au Moyen-Orient, l’enrichit d’un contraste
vert-métallique.
Un coffret
contenant des vapos 15 ml des onze
créations sera disponible à partir du début de février chez Jovoy, à Paris.
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