vendredi 27 septembre 2013

Notes sur Pitti Fragranze, 1ère partie

Aller à la rencontre d’un parfum est un acte intime, d’autant plus délicat à réaliser que des centaines de flacons s’offrent au choix, et que le propriétaire de la marque vous scrute attentivement tandis que vous humez la mouillette.
De toute façon, au fond, je vais à Pitti moins pour les fragranze que pour Florence (et les amis, et la cuisine). Ce qui suit n’est donc pas un passage en revue des nouveautés, qui arriveront bien assez vite à Paris, mais quelques réflexions suscitées par trois personnages d’allure exotique, dont les marques me semblent indiquer certaines directions prises par le marché du niche… Comme c’est assez long, je publierai le billet en trois tranches.

Première escale : la Chapelière et les Nouveaux Nez


Dans la famille des fashion excentriques, digne descendante d’Edith Sitwell via Anna Piaggi, je demande Naomi Goodsir. La modiste australienne a lancé l’an dernier deux premiers parfums, désormais référencés dans les boutiques de niche les plus pointues de L.A. à Vilnius et acclamés par les blogs. Forcément. La marque coche toutes les cases du genre. Créatrice charismatique qui floute les frontières entre la mode et l’art. Notes plus-niche-tu-meurs avec un Cuir Velours et un Bois d’Ascèse encens-fumée. Parfumeur indépendant avec Julien Rasquinet.


Formé par Pierre Bourdon et Christine Nagel, Julien Rasquinet fait partie d’un groupe de parfumeurs fédéré par Accords & Parfums, la branche fabrication d’Art & Parfum, fondé par Edmond Roudnitska (la société produit les concentrés de parfumeurs indépendants comme Bertrand Duchaufour, Marc-Antoine Corticchiato, Thomas Fontaine ou la regrettée Mona Di Orio). La demande pour ces parfumeurs indépendants ne peut que s’accroître, au fur et à mesure que des acteurs non-issus de l’industrie fondent des marques. Ne serait-ce que parce que les grandes maisons de composition rechignent souvent à laisser leurs nez consacrer de longues heures au développement de jus qui ne seront produits qu’en quantités minimes (il arrive cependant qu’une formule existante, mais non-commercialisée, soit adaptée à leur demande).

Plusieurs de ces indépendants ont passé de longues années à peaufiner leur technique et leur culture parfum dans de gros labos : c’est le cas de Duchaufour, Mark Buxton, Christophe Laudamiel ou Geza Schoen, par exemple. Mais la nouvelle génération de trentenaires qui se profile désormais a en partie fait l’économie de ce long processus. Des noms comme ceux de Julien Rasquinet, Barnabé Fillion, Amélie Bourgeois, Cécile Zarokian, font de plus en plus souvent leur apparition au générique de Pitti, d’Esxence ou d’Elements.

Encore que. Dans l’édition 2012 d’Esxence, l’artiste islandaise Andrea Maack se gardait bien de révéler que Julien Rasquinet avait composé ses parfums – la tendance des directeurs artistiques/propriétaires de marques à s’accaparer les créations est une dérive, comme on dit, qui semble gagner le secteur du niche (ce qui, au fond, n’est qu’un retour aux origines puisqu’à leurs débuts, ni Jean-François Laporte, ni Annick Goutal, ni Serge Lutens ne nommaient leurs parfumeurs). Évidemment, quels que soient leur âge et leur expérience, tous les parfumeurs ne sont pas des auteurs capables de travailler seuls. Et évidemment, l’apport de directeurs artistiques peut susciter des partenariats créatifs fructueux.

Encore que. Au fur et à mesure que ceux que j’ai surnommé les « amateurs émetteurs » se lancent dans la création de marques, on assiste à un déferlement de jus me-too fourgués à des propriétaires peu formés ou informés. À Pitti, un stand sur deux semblait proposer qui son énième encens boisé sec, qui son ambre gras. Et pour deux Naomi Goodsir d’excellente qualité, on a pu sentir dix trucs mal ficelés ou copiés-collés.

Question : ces nouveaux nez, qui n’ont pas blanchi sous le harnais de la formulation de mainstreams, seront-ils les pionniers d’écritures inédites ? Ou ces années passées à peaufiner sa technique dans une grande maison sont-ils nécessaires à fonder un style réellement personnel ?

Quoi qu’il en soit, comme tous les diplômés d’ISIPCA ne décrocheront pas de poste de parfumeurs chez Givaudan, IFF ou Firmenich (lesquels recrutent aussi désormais des talents locaux dans des marchés fine fragrance émergents comme le Brésil ou l’Inde), il est très probable que le nombre de jeunes nez indés est appelé à se multiplier.

La suite de ces quelques réflexions suscitées par Pitti sera publiée la semaine prochaine.

4 commentaires:

  1. Est-il vraiment approprié de classer l'Inde parmi les terres émergentes en parfumerie haut de gamme?
    Il me semble que ce pays, comme d'ailleurs une bonne partie du Moyen Orient, a des traditions bien ancrées.

    Je trouve que la parfumerie d'art se répète. Toujours les mêmes noms en deux termes, nom+ nom ou nom + adjectif. La même indistinction des bouteilles. Très souvent le choix de la facilité dans les jus, autour de l'ambre, l'encens, le cuir (tellement niche!), l'iris. Or, il a existé une parfumerie abstraite après les bouquets. Les grands classiques ne sont pas tous des parfums soli"thèmes", exemple parfait: L'heure bleue.
    Florence, je rêve de connaître cette ville. Profite bien de ton séjour.

    Lalla,

    RépondreSupprimer
  2. Lalla, il est évident que l'Inde a une réelle et très antique tradition de parfumerie, je parle simplement de la fine fragrance à l'occidentale.
    Quant au niche, ses codes (noms et flacons) proviennent de ses budgets: on ne peut pas faire fabriquer de moule spéciale pour les flacons dont on les achète tous faits, et quant aux noms "matières", c'est parce qu'on n'a pas besoin de les déposer.
    Et quand vous pourrez aller à Florence, écris-moi un mot, je te recommanderai un petit hôtel très bien et pas cher!

    RépondreSupprimer
  3. Est-ce que tu aurais des exemples de nouvelles marques indiennes ou de parfumeurs qui montent? Je suis curieuse.
    Disons que la pauvreté (relative) n'est pas un frein absolu à la créativité. Les phénomènes d'école non plus mais j'ai le sentiment qu'on est dans un excès...
    Merci pour Florence, je n'y manquerai pas.
    Bon weekend,
    Lalla,

    RépondreSupprimer
  4. Lalla, d'après ce que j'ai compris par des gens comme Neela Vermeire, dans le domaine de la fine fragrance, le marché indien en est toujours au stade des grandes marques occidentales. Ma parenthèse visait simplement à indiquer que les maisons de matières premières et de composition créent des branches dans plusieurs pays, dont certaines comportent des écoles, destinées aux marchés locaux.

    RépondreSupprimer