lundi 11 février 2013

Dries Van Noten par Frédéric Malle: Portrait en forme de speculoos


L’innovation la plus radicale de Frédéric Malle en 2000 a été de faire figurer le nom du parfumeur sur le flacon. Dans « XXX par Frédéric Malle », sa nouvelle collection de portraits olfactifs, il n’y figure plus. Certes, on comprend que trois noms sur une étiquette, ça puisse faire désordre. Néanmoins, cela brouille la notion d’auteur qui est au cœur d’Éditions de Parfums… Le « Frédéric Malle » introduit par la préposition « par » est-il une maison, ou un (co)auteur ? Et dans ce cas, quid du parfumeur ?

Le livret glissé dans l’étui aborde cette nouvelle équation « modèle + directeur artistique + parfumeur » -- ce dernier étant en l’occurrence le Français Bruno Jovanovic, d’IFF New York, qui a déjà créé trois bougies pour la marque. Lors de la présentation à la presse, Frédéric Malle a précisé que Bruno Jovanovic et Dries Van Noten n’ont pas travaillé directement ensemble. D’abord pour ne pas faire dérailler la synergie établie au fil des ans entre Malle et « ses » parfumeurs, ensuite parce que de manière générale, on considère qu’un créateur de mode n’a pas à s’intégrer à des échanges plutôt techniques. C’est donc Frédéric Malle qui s’est fait l’interprète du monde de Dries Van Noten pour Bruno Jovanovic, et qui a traduit pour le créateur belge la création en cours, processus plus proche de celui des développements de parfums de créateurs dans le mainstream, sans doute plus directif pour le parfumeur.

Portraits olfactifs et/ou collaborations ponctuelles entre un créateur de mode et une marque de parfumerie de niche ne sont pas des démarches entièrement inédites : on les retrouve chez État Libre d’Orange, Comme des Garçons et Six Scents (dont c’est le concept même). On sait par ailleurs que Dries Van Noten a été en pourparlers avec une grande société détentrice de licences de créateurs pour lancer sa propre marque. Sans doute n’a-t-il pas voulu associer sa maison, restée indépendante, à une démarche forcément beaucoup plus commerciale et qui l’aurait contraint à faire de la pub, ce à quoi il s’est toujours refusé. D’où ce choix d’une maison de parfum également indépendante.


L’esthétique de Dries Van Noten est riche en sources d’inspiration olfactive. Ses collages audacieux de couleurs, de motifs et de textures puisent plus volontiers dans l’histoire et les costumes traditionnels de différents peuples que dans les références fashion. Son approche relève plutôt du Bauhaus ; son rapport au corps, s’il peut être sensuel, s’écarte délibérément du « sexy » et brouille volontiers les cartes du masculin/féminin. Malgré cette audace, il se dégage de son univers une tendresse, une pudeur, un respect de l’autre… On sait aussi que le créateur cultive un vaste jardin secret aux environ d’Anvers, et lorsque j’ai appris que Frédéric Malle créait un parfum pour lui, j’ai immédiatement imaginé des odeurs végétales, florales, la fraîcheur tendre d’un jardin du Nord…

Mais Frédéric Malle a opté pour un intérieur flamand bien rangé, chaleureux, et des douceurs qu’on offre au visiteur. Dries Van Noten par Frédéric Malle est donc un gourmand délicat aux senteurs boisées fondé sur un accord laiteux de santal de Mysore et de speculoos – cannelle, girofle, vanille, ethyl maltol. Pour susciter les facettes noisette, levure, grillées du biscuit, Frédéric Malle et Bruno Jovanovich ont eu recours au sulfurol, matière première le plus souvent utilisée dans les arômes alimentaires mais donc les vieux parfumeurs de Grasse se servaient pour booster le santal – ce sulfurol figurait d’ailleurs dans le curieux Fey d’Issey aux inflections pain et lait. Patchouli cœur (c’est-à-dire dépouillé de ses facettes moisies-camphrées), méthyle ionone (« bois de violette ») et muscs encadrent l’accord gourmand de notes boisées et cosmétiques. Le jasmin, qui figure dans la liste des notes, n’est pas forcément lisible en tant que tel.

Dries Van Noten est un parfum-doudou, une boule santal-vanille musquée qui pourrait évoquer par moments le style câlin de Sophia Grojsman (grande dame d’IFF où travaille Bruno Jovanovic). Mais même une overdose de bergamote, ajoutée dans les dernières étapes du développement pour donner à la composition des allures de parfum old-school à la Shalimar, ne parvient pas à faire le faire décoller. Je l’ai porté à plusieurs reprises maintenant et, sur moi en tous cas, son sillage reste franchement timide. Peut-être s’agit-il d’un choix délibéré destiné à refléter la pudeur de son modèle ?

Ajouté le 12/02

Après discussion avec plusieurs autres blogueurs et connaisseurs qui ont pu tester Dries Van Noten, l'impression générale sur le sillage du parfum est la suivante : la personne qui le porte a tendance à ne plus le sentir assez rapidement mais l'odeur reste très présente pour l'entourage. 

Je pourrais rapprocher cela d'une expérience semblable éprouvée par certains d'entre nous avec L'Heure Promise de Cartier, un accord santal-iris. J'ai aussi remarqué que le Santal Blush de Tom Ford Private Blends, encore un santal-iris, m'était à peine perceptible alors que pour d'autres c'est une "bombe". Idem pour le Volutes de Diptyque qui repose également sur ce type de notes.

Cas d'anosmie ou d'insensibilisation à certains composants? Mystère.


Illustrations: Détail d'une scène d'intérieur flamande de Pieter de Hooch et photo du défilé Dries Van Noten, février 2012, tirée du blog de Bergdorf Goodman.


6 commentaires:

  1. Exactement. Après avoir été séduite dans les premières minutes parce que forcément, qui dit speculoos dit enfance, j'ai été déçue par le sillage (le moins qu'on puisse attendre d'un parfum de ce prix).
    C'est dommage, car le parti-pris initial (le côté chaleureux) aurait pu assumer un sillage moins modeste. D'autant plus que parfois, le style Van Noten peut flirter du côté de l'exubérance sophistiquée.
    Sur le reste, que dire de plus ? Inspiration ou marketing, peu importe. Ce que je recherche, à titre personnel, c'est d'être emballée par le parfum, le discours étant le bonus. Même si ce parfum présente une certaine cohérence (style/odeur), que la marque a marqué la parfumerie de niche et depuis des années j'admire le style Van Noten, je n'achèterai pas ce parfum. Non pas qu'il me déplaise, mais il y a tant de merveilles... Dispensable ?

    Narriman

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  2. Narriman, il est vrai que beaucoup de personnes redoutent un sillage trop marqué de peur d'importuner, donc ce n'est pas forcément un moins pour tout le monde. Mais en effet, pour moi ça a été un problème. Peut-être sur tissu? Je n'ai pas testé.

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  3. Oui, c'est vrai. La déception vient sans doute, plus que du manque de sillage, du fait que le parfum ne parvient pas à "décoller" comme vous le dites bien. Après deux ou trois heures, il ne reste pas grand-chose, juste un santal gourmand et une sensation de déjà senti. On attend un nouveau Malle avec une certaine excitation et sûrement une certaine exigence, depuis Portrait of a Lady, parfum majeur (et pourtant, je suis plus santal que rose...).

    Narriman

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  4. Narriman, c'est vrai, chaque nouveau Malle est un événement, et Dries Van Noten est l'un de mes créateurs préférés (même si je n'ai jamais pu m'acheter beaucoup de pièces)... comme je ne peux pas m'imaginer que Frédéric Malle laisse sortir un parfum qui ait un problème technique, étant donné son degré d'expertise, je dois donc en déduire que cette discrétion est délibérée.

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  5. Bonjour, à vous, j'ai pu le sentir hier à la Scent Room du Printemps. Après essai sur le dessus de la main (vers 12h30), le parfum était encore bien présent vers 20h00, avec juste un pschitt... Je retenterais. J'aime bien son univers qui effectivement me rappelle bien Shalimar.

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  6. Dolores, côté substantivité, rien à dire, en effet, je l'ai suivi sur la peau d'une amie hier et il a tenu bien au-delà de huit heures. Et vous avez raison, on est un peu dans l'univers Shalimar (qu'explorait déjà selon moi Musc Ravageur) avec ces notes baumées et légèrement cuirées...

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