En 2009, un parfumeur a, pour la première fois, avoué quasi-officiellement que l’un de ses parfums avait été reformulé (plutôt que « réorchestré » ou « modernisé ») : c’était Serge Lutens, dans un commentaire adressé au blog de l’historienne du parfum Elisabeth de Feydeau, lors du relancement de Féminité du Bois sous son propre label.
2009 est aussi, incidemment, l’année où l’instance (auto)réglementaire de l’industrie du parfum, l’IFRA , a fait machine arrière en suspendant les restrictions projetées sur l’usage de la vanilline à la suite des protestations outrées de ses membres (on imagine mal ce que serait la parfumerie actuelle sans des doses massives de ce matériau si flatteur aux goûts contemporains.)
2009 est aussi l’année où deux parfumeurs réputés se sont affranchis des grands labos pour lancer leurs propres sociétés : Christophe Laudamiel a quitté IFF pour fonder Aeosphere, une société « fragrance media » qui ne s’en tiendra pas à produire des parfums à porter, puisque son acte de naissance a été Green Aria, un « opéra olfactif » dont les personnages sont des compositions parfumées.
Quant à Francis Kurkdjian, sa maison éponyme propose un concept bien ficelé où à chacun des parfums à porter (trois à partager, deux déclinés en masculin-féminin) correspondent un parfum d’ambiance, une bougie, du papier à brûler, un bracelet empreint de l’odeur en question et, dans le cas d’Aqua Universalis, une lessive – la première à être signée par un auteur de parfumerie fine. Bien que les compositions se cantonnent à des registres déjà explorés par Francis K., le seul fait que le nom d’un parfumeur soit jugé digne d’investissement reflète une mutation dans cette industrie, qui est le fruit, notamment, de l’attention soutenue portée par la blogosphère parfumée aux auteurs.
2009 est aussi l’année où la parfumerie fine s’est affranchie de son support-peau grâce à Frédéric Malle, qui a sollicité à certaines des stars de la profession (Dominique Ropion, Carlos Benaïm et Sophia Grojsman) des parfums d’ambiance réalisées selon les mêmes exigences que les parfums à porter. Deux systèmes de diffusion originaux, la « Fleur Mécanique » qui projette la fragrance en continu, et le « Rubber Incense » une sorte de « tapis-souris » imprégné de parfum, se sont ajoutés aux traditionnelles bougies. Entre les centaines de lancements annuels et des restrictions croissantes sur le port du parfum dans les lieux de travail (notamment aux USA et au Canada), le marché du parfum à porter semble avoir atteint la saturation alors que celui du parfum d’ambiance reste encore à développer, et il est très probable que les années à venir marqueront l’apparition de propositions de plus en plus variées et d’une qualité accrue.
En 2009, deux maisons de joaillerie ont lancé des collections « exclusives ». Leur prix, leur diffusion limitée, le sentiment que ces maisons ne faisaient que suivre le mouvement des Guerlain, Chanel et autres Armani, sans compter un grand moment de lassitude à l’idée de devoir découvrir en simultané des offres multiples, ont suscité cris et lamentations chez certains amoureux du parfum – qui ont pourtant tendu leurs poignets et écarquillé les narines…
La « Collection Extraordinaire » de Van Cleef & Arpels comprend six parfums signés par six parfumeurs différents : bien qu’aucun ne soit révolutionnaire, et que l’un d’entre eux soit curieusement déséquilibré (Lys Carmin, pourtant parti d’une bonne idée, celle d’un lys épicé), deux d’entre eux ont recueilli les suffrages, Bois d’iris et Gardénia Pétales.
“Les Heures de Parfum” de Cartier marquait le retour très attendu de la rebelle Mathilde Laurent, dont le travail chez Guerlain avait suscité de grands espoirs mais qu’on n’avait entraperçue ces dernières années qu’avec Ensoleille-moi de Gas Bijoux et Roadster de Cartier : elle se consacrait à la composition de parfums sur mesure pour les clients du grand joaillier. Et, manifestement, à l’invention d’une grammaire si personnelle qu’il faudra sans doute un certain temps pour l’apprécier pleinement. Je suis convaincue que sa voix – et sa patte – compteront beaucoup dans les années à venir.
Une autre voix découverte en 2009 nous est arrivée de la lointaine Nouvelle-Calédonie, en passant par la Suisse : avec son Manoumalia pour LesNez, Sandrine Videault a peut-être inventé à elle seule un nouveau genre que l’on pourrait appeler – bien que ce soit réducteur – la parfumerie ethnographique en traduisant les rituels odorants de l’île de Wallis dans le langage de la haute parfumerie française. Ce qui n’a rien d’étonnant, puisque Sandrine a fait ses classes chez le grand Edmond Roudnitska. J’attends avec impatience qu’elle nous propose de nouvelles explorations olfactives.
En 2009, l’oud s’est définitivement posé en successeur du patchouli, notamment pour séduire la clientèle moyen-orientale folle de parfums et pas encore tout à fait fauchée. By Killian en a proposé une interprétation magnifiquement veloutée (mais d’un prix assez dissuasif) signée Calice Becker, Pure Oud. Quant à Bertrand Duchaufour, son Al Oudh magnifiquement bestial pour L’Artisan Parfumeur a fait poussé des hauts cris au public américain cuminophobe, mais apparemment, il se vend si bien au grand magasin du Louvre qu’il frôle la rupture de stock.
2009 est également l’année où la vanille s’est enfin libérée du rayon pâtisserie et de son registre gourmand trop simpliste, subvertie par deux des parfumeurs les plus intelligents de la décennie. Avec sa remarquable Vanille Galante, Jean-Claude Ellena a métamorphosé la gousse en hybride orchidée/lys/ylang, puis l’a étirée jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’une brume impalpable. Bertrand Duchaufour a greffé la sienne sur le tabac, en exacerbant les facettes moins explorées – animales, médicinales, épicées – de la gousse en même temps que ses aspects baumés, ce qui fait de Havana Vanille une mutante, choquante pour ceux qui s’attendaient à une variation de la Spiritueuse Double Vanille de Guerlain, par exemple. En un mot : une vanille pour ceux que la vanille ennuie à pleurer (moi, par exemple : j’y consacrerai très prochainement un post).
Enfin, 2009 est l’année où la parfumerie s’est mise au vert, à deux titres. D’abord en passant au bio – Honoré des Prés a sans doute présenté, dans ce registre, la gamme la plus réussie, ne serait-ce que parce que ses parfums ont été composés par Olivia Giacobetti, qui se fait trop rare ces derniers temps.
Mais le vert a aussi été la note du jour de quelques lancements grand public qui ressuscitent (et récrivent, sans mousse de chêne) la famille Seventies des chypres verts : le flanker de Cristalle chez Chanel, Cristalle Eau Verte ; A Scent by Issey Miyaké de Daphné Bugey et le Private Collection Jasmine White Moss d’Estée Lauder. Côté parfumerie d’auteur, le ravissant Tiaré d’Ormonde Jayne joue également de cette note tropicale sur un registre étonnamment vert et frais (avis à suivre prochainement).
Pour conclure cette rétrospective qui est loin d’être complète, voici les lancements 2009 qui ont intégré ma collection, ceux pour lesquels j’ai voté avec ma peau, dans le désordre…
Les vanilles subversives :
1) Havana Vanille de Bertrand Duchaufour pour L’Artisan Parfumeur
2) Vanille Galante de Jean-Claude Ellena pour les “Hermessence” d’Hermès
Les tropicaux carnivores:
3) Amaranthine de Bertrand Duchaufour pour Penhaligon’s
4) Manoumalia de Sandrine Videault pour LesNez
Les floraux verts crémeux:
5) Tiaré de Linda Pilkington et Geza Schoen pour Ormonde Jayne
6) Gardénia Pétale de Nathalie Feisthauer pour la « Collection Extraordinaire » de Van Cleef & Arpels
7) Private Collection Jasmine White Moss d’Estée Lauder
Les élixirs fumés:
8) Turtle Vetiver d’Isabelle Doyen pour LesNez
9) L’Heure Mystérieuse et…
10) La Treizième Heure de Mathilde Laurent pour « Les Heures de Parfum » de Cartier
L’oriental dévoyé :
11) Oriental Lounge de Céline Ellena pour The Different Company.
Cette liste se cantonne à ceux que je porte régulièrement : sinon, elle comprendrait certainement le Fille en Aiguilles de Serge Lutens, le Géranium pour Monsieur de Dominique Ropion pour Frédéric Malle, le Pure Oud de Calice Becker pour By Kilian et le Mythique de Yann Vasnier pour les Parfums DelRae’s. Et j’en oublie sans doute…
Maintenant, à vous : quels sont les lancements 2009 qui vous ont le plus séduits ?
Photo de Norman Parkinson pour le magazine Queen (1960)
Havana Vanille qui m'a réconcilié avec la vanille en note dominante, APOM pour Homme de Francis Kurdjian, Fourreau Noir et Filles en Aiguilles et surtout le voici le voilà : l'extraordinaire Patchouli pour homme de Patricia de NicolaÏ. Une merveille comme il ne nous en est que trop rarement proposé dans le flot de "nouveautés" dont on nous innonde.
RépondreSupprimerCharles, j'aime beaucoup le travail de Patricia de Nicolaï mais j'avoue avoir eu du mal avec son patchouli qui présente une note "poivron vert coupé" un peu trop prédominante. Mais c'est la loi du genre, dès qu'une note nous agace, on ne sent plus qu'elle, et le même effet peut être associé à tout autre chose pour une autre personne.
RépondreSupprimerRavie qu'Havana Vanille ait trouvé un autre amoureux!
Bonjour,
RépondreSupprimerJ'ai trouvé votre post intéressant et la facçon dont vous parlez des parfums donne envie de les (re)découvrir. Il serait amusant de voir l'inverse de vos coups de coeur de cette année 2009 et de présenter quels sont, selon vous, les flops, ou les parfums les moins intéressants, les moins convaincants, ceux qui ont raté leur cible, etc.
Au plaisir de vous lire.
A bientôt. Alexolide
A vrai dire 2009 n'a pas été une année marquante pour moi olfactivement parlant et je n'ai pas eu le bonheur de découvrir de merveilles à me damner ou tout du moins qui m'aient donné envie de manger des pâtes pendant 11 mois pour succomber à l'achat d'un flacon. Bref, deux ont retenu mon attention, mais je ne les porterai pas, j'aime leur construction et l'innovation qu'ils apportent à la parfumerie, mais je m'en tiendrai là : Vanille Galante, LA vanille éthérée, étirée, arachnéenne et non gourmande que j'attendais, merci JC Ellena, et Manoumalia, pour le superbe travail de Sandrine Videault, novateur, opulent, décadent, urbain et exotique tout à la fois, riche et complexe.
RépondreSupprimerC'est tout.
J'attends mieux de 2010...
Chère Denyse,
RépondreSupprimertout d'abord je te souhaite une très bonne année 2010 et longue vie à ton blog!
2009 n'a pas non plus été pour moi une grande année côté coups de coeur parfumés mais intéressante côté direction artistique comme tu le mentionnes, avant de nous donner ta liste. Seul Manoumalia a rejoint ma collection; Oriental Lounge pourrait également en faire partie, voire Amaranthine. Mon ami porte très bien le Patchouli Homme où je ne ressens pas cette note de poivron vert comme tu le sais.
Récemment, je me suis fait un petit plaisir en commandant sans l'avoir senti un flacon de Loukhoum Eau Poudrée et je ne le regrette pas, pas comme le 100% Love !!!
Le PC Jasmine White Moss se trouve depuis octobre/novembre en exclusivité au Bon Marché. C'est un joli parfum élégant digne de la marque mais il ne correspond pas à mes goûts.
Lamarr, c'est parfois aussi une question d'humeur... Quant à moi, j'étais disposée à être séduite et le suis toujours! ;-)
RépondreSupprimerRebecca, je ne connais pas ce Loukhoum eau poudrée... Mais juste au nom, je doute qu'il soit dans mon registre! Merci pour le renseignement sur le Lauder: les parfums sont tellement bien cachés au comptoir du Bon Marché que je n'avais pas remarqué.
RépondreSupprimerMes preferes de 2009: Pure Oud, Back to Black, Amouage Tribute, Fille en Aiguilles, Wazamba, Vanitas. Et j'attends avec impatience Tonka Imperiale en 2010, grace a toi! :-)
RépondreSupprimerJe suis contente de voir Jasmine White Moss sur la liste. Quand je l'ai senti pour la première fois j'étais agréablement surprise par sa conception et sa réalisation. Je trouve que ta revue de ce parfum, il y a quelque temps, décrit bien son caractère un peu rétro. Pourtant, il tombe dans les critères et goûts d'un parfum d'aujourd'hui.
RépondreSupprimerTara, à part l'Amouage senti trop brièvement et Vanitas, pas senti, j'ai beaucoup aimé tous ceux que tu cites. Et j'ai bien vu que la Tonka avait fait une conquête!
RépondreSupprimerAnonyme (mais on se connaît sûrement!), le Lauder m'a initialement prise un peu à rebrousse-poil, justement à cause de ce côté rétro -- après tout, on a encore Cristalle... Mais en fin de compte, j'ai fini par l'acheter à Montréal avant qu'il ne sorte à Paris. Ça m'amuse de voir que les codes qui disaient "jeune" fin 60/début 70 soient ceux-là même qui disent "rétro" et "lady-like" (mais pas dadame) aujourd'hui...
RépondreSupprimerAlexolide, pardon, j'ai oublié de vous répondre... Disons que je m'attache assez rarement à ce que je trouve affreux (la vie est trop courte). Je distinguerais de toute façon ce que je n'aime pas parce que ce n'est pas à mon goût, mais que je trouve par ailleurs bien fait, les trucs bien faits mais qui ne sont que des copies cyniques, les trucs qui n'ont pas été au bout de leurs idées par manque de budget ou pusillanimité...
RépondreSupprimerIl n'y a qu'une ligne qui m'ait vraiment arraché des cris d'horreur, et elle n'est pas distribuée en France.
Bonjour Carmencanada,
RépondreSupprimerUn grand merci pour avoir remarqué et adopté "Oriental Lounge".
et merci aussi à ceux qui le porte, ou simplement, qui ont posé un nez dessus...
Céline, il a fait partie de ceux que j'ai emportés au Canada pour me réchauffer!
RépondreSupprimerBonjour Denise
RépondreSupprimeravant toute chose, une belle année 2010 emplie de parfums étonnants et envoutants et un grand merci pour vos descriptions et vos avis que je partage très souvent.
Grâce à vous j'ai découvert l'heure mystérieuse de Mathilde Laurent, en suis tombée follement amoureuse, une sonate de Gabriel Fauré dont je ne me lasse pas. Quelle composition subtile et élégante!
2009 aura été une année intéressante avec de très belles créations, celles de Mathilde Laurent pour Cartier mais aussi havana vanille, la collection Van cleef et son gardénia contemporain.
Mon top de cet hiver
L'heure mystérieuse Cartier
MKK SL
fenalilla Pg
L'attrape coeur (encore Mathilde laurent) guerlain
Rossy de Palma Etat libre d'orange
Black Oud Montale
Rose de nuit SL
Alahiné Cabanel
Rose Chyprée Andy tauer
Noir Epices Michel Roudnidstka malle
En attendant le tonka de guerlain...
bonjour et bonne année,
RépondreSupprimerdifficile d'être objective sur cette année, étant retombée dans m passion fin 2008, forcément les découvertes ont été nombreuses cette année mais ce ne sont pas tous des parfums sortis cette année.
mais parmi ceux que j'ai trouvés intéressants cette année il y a gardénia pétale de van cleef, back to black, havana vanille,oriental lounge, et les heures de cartier. J'ai également été séduite par la démarche de différentes latitudes , quen je ne connaissais pas auparavant;
soph.
Anonyme... que je reconnais à la référence musicale?
RépondreSupprimerJe dois vraiment essayer Alahiné dont des tas de gens me parlent et au sujet duquel certains blogueurs sont dithyrambiques.
Je n'ai pas inclus Felanilla parce que c'est un lancement 2008, mais il est réellement excellent. Et décidément, il faut que je me mette aux Tauer. Certains ne m'avaient pas convenu et j'avoue ne pas avoir suffisamment persisté...
En tous cas, très bonne année parfumée!
Jérémy (la Soph que je connais ou une autre?), je vois que nous partageons nos coups de coeur. Différentes Latitudes est, par ailleurs, une société très dynamique (pour les lecteurs qui ne connaitraient pas, DL distribue et promeut des marques de parfumerie et de cosmétiques de niche) dont la démarche est à suivre de près, je suis d'accord!
RépondreSupprimerJe trouve aussi très intéressante la sélection de Différentes Latitudes que l'on trouve aux Galeries Lafayette notamment. Et j'aime beaucoup Alahine que je m'étais offert pour Noël 2008. Pour moi, j'y sens un descendant de L'Heure Bleue, en passant par Bal à Versailles avec un côté herbes aromatiques/fleurs d'oranger sur fond animalisé très marqué.
RépondreSupprimerRebecca, il faudra décidément que je découvre cet Alahine... Cela étant, même si j'aime beaucoup Bal à Versailles, je ne le porte en fait jamais. Mais on ne sait jamais!
RépondreSupprimerc'est curieux il faudrait vraiment que le re sente cet alahine, car la premiere fois que je l'avais senti, après avoir senti plein de trucs et dans une atmosphère saturée d'odeurs, ce qui explique peut être cela, je trouvais qu'il dégageait une note spéciale, que je n'arrivais pas à décrire, cela me faisait penser à du pruneau, dont je ne suis pas fan d'ailleurs, il faudrait donc que je re teste!
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