lundi 13 avril 2009

Human Repeated Insult Patch Test (si, si, c'est un texte en français)



Le terme n’est pas traduit en français. Il signifie, grosso modo, le patch-test des “insultes humaines répétées”… Quand je l’ai vu la première fois, j’ai imaginé des compresses m’abreuvant d’injures ou marmonnant des remarques désobligeantes pour mettre à l’épreuve mon sang-froid. En fait, il s’agit d’un test effectué par les dermatologues pour évaluer le caractère allergène de certaines substances en les appliquant sur la peau à plusieurs reprises sur une période donnée…

Je connais. J’ai toujours eu des allergies. Enfant, j’ai été testée positive pour des tas de trucs, y compris les chats, les acariens et les parfums. Mes parents ont décidé de ne rien changer à notre mode de vie – nous avons gardé le chat et les bouquins ramasse-poussière, dont aucun d’entre nous ne pouvait se passer.

C’est toujours le cas. Bon, j’ai des accès d’éternuement de temps en temps, et alors ? Je suis toujours là, avec une chatte, plusieurs milliards d’acariens et plus de deux cents flacons de parfum.

Quand j’ai commencé à avoir des plaques rouges sur le visage, je suis retournée faire des tests à l’Institut Pasteur. J’ai parlé de mon addiction aux parfums à l’allergologue, qui a claqué de la langue – elle m’a rappelé les bonnes sœurs du lycée, auxquelles elle ressemblait, d’ailleurs, avec ses cheveux blancs coupés à la hache et cette sorte de pâleur qu’on ne retrouve que chez les nonnes. Vous ne savez pas à quel point les allergologues détestent les parfums : ils semblent les considérer comme une raison futile de leur donner plus de boulot.

En fin de compte, ce n’était pas le parfum. Je n’ai jamais su ce qui causait les éruptions, mais comme je soupçonnais les antirides hyper-technologiques que j’utilisais, je les ai remplacés par les produits sans conservateurs d’Avène, et ça semble avoir marché.

La morale de cette histoire ? J’ai été exposée depuis l’enfance à des allergènes et je n’en suis pas morte (je ne dis pas qu’on ne peut pas mourir de réactions allergiques : j’ai eu la chance qu’elles ne soient pas sévères, et ne s’intensifient pas au fil des ans.) Et quand je pense qu’un truc me donne des boutons, je l’ ÉVITE. Aussi simple que ça.

Mais en tout état de cause, “l’insulte humaine répétée”, j’ai l’impression de la subir de la part des membres de l’IFRA[1], qui semblent considérer inenvisageable d’ajouter un label « attention, risque d’allergie » sur les boîtes (comme il en existe pour les aliments contenant des arachides, qui, elles, représentent pour certains un risque mortel). Non, ils préfèrent fantasmer sur le « zéro-risque », comme si ça existait. En cela, ils ne font qu’afficher le même mépris pour leur patrimoine que celui qu’ils expriment depuis des années en reformulant en douce leurs parfums sans avertissement – encore une « insulte humaine répétée ». Je ne parle pas ici des gens qui travaillent dans le pôle créatif des labos et des maisons de parfums : ceux-là pleurent.

On soupçonne beaucoup ces jours-ci les grands labos d’avoir fait du lobbying pour renforcer les directives de l’IFRA, afin de pouvoir vendre plus de molécules de synthèse en remplacement des matériaux naturels. C’est possible, mais comme nous n’en avons pas été témoins, nous ne le saurons sans doute jamais.

Cela dit, la plupart des matériaux tombant dans le collimateur sont soit des matériaux naturels (jasmin, ylang-ylang, mousse de chêne) ou présents dans les matériaux naturels à un tel niveau de concentration que ces derniers sont indirectement visés.

De plus, la plupart des synthétiques listés par l’amendement 43 sont de « vieilles » molécules – d’où leur présence dans les classiques – et, donc, elles ne sont plus brevetées. Elles seront toujours fabriquées, puisque la demande existera encore, mais en quantité moindre. (Merci à Octavian Coifan de m’avoir fourni ces précisions).

Donc, les synthétiques tous nouveaux, tous beaux, qui sont toujours brevetés se vendront sans doute plus. Il revient aux labos de réaliser les reformulations – les marques ne les rémunèrent pas pour ce travail. Et comme lesdites marques ne paieront pas plus la nouvelle formule, il ne s’agit pas seulement de retirer les matériaux allergènes pour les remplacer : si on ajoute un synthétique plus onéreux que le naturel qu’il remplace, il faudra faire des économies ailleurs. Si c’est le labo qui produit le synthétique, il dépensera moins que s’il doit l’acheter à un autre labo… Bref, c’est compliqué.

Alors, quand tout est dit, les grands labos sont-ils entièrement responsables du saccage d’un siècle de parfumerie ?

Ou ne s’agirait-il pas, aussi, de la mentalité poltronne du « risque zéro » de notre société, propulsée par l’explosion des allergies dans le monde occidental ? (On a constaté dernièrement un nombre record de chocs anaphylactiques potentiellement mortels, dont aucun n’a été provoqué par le parfum, soit dit en passant.)

S’agirait-il d’un symptôme de l’intolérance généralisée de tout par tous, dans un monde où nous subissons quotidiennement des « insultes humaines répétées » ? Le parfum est insidieux : il est perçu par un sens passif. Et il peut agir, en particulier en Amérique du Nord, comme révélateur d’intolérance (tout comme il peut tenir lieu d’arme de destruction massive si on en abuse). On peut choisir de ne pas porter de parfum, mais on ne peut pas s’empêcher de le sentir. C’est là que le bât blesse, je crois : les néo-puritains ne revendiquent pas un Mitsouko qui ne leur donnera pas d’urticaire – ils veulent sa peau… Et parce que le parfum est un produit « facultatif », un luxe magnifiquement inutile, il peut souffrir d’une campagne puritaine anti-parfum. Les grands argentiers du monde du luxe le savent très bien.

Ainsi, il s’agit peut-être effectivement d’une question de censure, à laquelle l’industrie se plie en espérant qu’en roucoulant « mais nos produits sont parfaitement inoffensifs », elle échappera à l’échafaud dressé par le tribunal des peine-à-jouir.

Quoiqu’il en soit, je vais continuer d’enquêter et de poser des questions – si je peux trouver les bonnes questions : c’est une affaire extrêmement compliquée et où il sera difficile d’obtenir des réponses – notamment au sujet des études sur lesquelles l’IFRA s’est fondée pour rédiger ses directives.

En attendant, je reviendrai dans la semaine aux critiques de parfums. Si mes allergies me le permettent. (Eh oui : c’est la saison des rhumes des foins !)


[1] Petite précision sur un point qui semble générer une certaine confusion : l’International Fragrance Association (IFRA) est une organisation dont les membres sont pratiquement TOUS les fabricants de matériaux et de mélanges aromatiques, ainsi que les maisons qui composent elles-mêmes leurs parfums (comme Guerlain, Chanel ou Hermès). Les membres de l’IFRA sont tenus de suivre les directives de l’IFRA en matière de sécurité des produits, et dans la plupart des pays, ce label suffit sans qu’il y ait besoin de législations supplémentaires. Il ne s’agit donc pas de lois imposées de l’extérieur par l’industrie. Elle se tire elle-même une balle dans le pied.

11 commentaires:

  1. Il y a une "hyginénisation" de la société, qui me semble venir de comportements made in USA il y a déjà quelques lustres.
    Pour ne parler que des directives européennes, et prendre un exemple que je connais, j'utilisais l'eau précieuse Dépensier depuis mes 16 ans, et j'ai toujours eu une peau parfaite malgré les recommandations de me dermato qui me signalait que c'était un peu rustique et abrasif. Et puis un jour, les dermatos ont du gagner, on a viré la résorcine (en dose minime dans l'eau précieuse), et ce n'était plus la même. Des générations d'ado n'en sont ni mortes ni sorties défigurées.

    Pour les parfums, pourquoi ne pas suivre ce conseil de Luca Turin (? ou un autre), de vendre les flacons inchangés mais avec un label "attention, se parfumer peut-être dangeureux pour la santé".

    Vivre aussi. Allons nous vers un cauchemar façon "meilleur des mondes" ? On interdit tout pour votre bien, vive l'asepsie !

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  2. j'applaudis des mains et des narines quand je lis votre "coup de gueule", carmencanada, sur cette locution dont on nous rebat les oreilles depuis quelques années: le "risque-zéro".
    sous couvert de veiller à notre santé, physique et mentale, pouvoirs politiques et sanitaires nous imposent des normes et des lois dont on peut se demander la légitimité dans le but d'un réel mieux-être.. sans parler des libertés et responsabilités individuelles qui se trouvent chapeautées par un paternalisme bienveillant mais limite "big brother"..
    il en va de cette tendance "sécuritaire" dans beaucoup de domaines: cosmétiques et alimentation, mais aussi dans le cadre du travail, à l'école, etc, etc..
    il y a effectivement une demande de la population, une vigilance accrue par rapport à la fabrication des produits, leur implication sur l'homme et l'environnement et parfois cette vigilance est à bon escient..
    mais que penser de ces normes imposées dans la fabrication de parfums, par exemple, lorsque par ailleurs, pesticides et herbicides, engrais nocifs et j'en passe, sont encore largement et allègrement utilisés... et ce grâce à de bons gros lobbies agro-alimentaires..
    on nage dans l'hypocrisie, les intérêts des uns ne sont pas les intérêts des autres!
    à quand des salles "parfumés" et "non-parfumés"....???
    c'est en tout cas comme cela qu'on éduque les gens à se méfier de tout, à vivre dans un monde aseptisé, aplani, identique d'un bout à l'autre et suivant des règles hygiénistes dictées par la psychose et la peur de sa propre vulnérabilité plus que par un bon sens réel..
    c'est absolument navrant!
    je connais des "pro-bio" qui engueulent leurs mamans quand elles sont "trop" parfumées et qu'elles s'occupent des petits-enfants... même s'il faut faire attention à ne pas s'en asperger évidemment, je trouve dommage de ne plus accorder d'intérêt qu'à ce qui est "sûr" bien avant de penser à ce qui est "bon"..
    allez courage...!

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  3. Kotchki: la suggestion de Luca Turin me paraît excellente, mais il y a fort à parier que les marques ne voudront jamais y avoir recours pour ne pas nuire à l'image de leur produit. Pour les décisionnaires (ceux qui tiennent les cordons de la bourse), ce qu'il y a de précieux dans un parfum, ce n'est pas sa formule (auxquels ils n'ont pas accès puisqu'elle est détenue par le labo fabricant), mais le nom et le flacon...

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  4. Fleur de Seul: je crois que ce sont ces "pro-bio" qui font peur aux marques. En tous cas, c'est le discours qu'avance l'IFRA pour se justifier.
    Je trouve en effet grotesque de devoir bouffer des pesticides et herbicides à coeur de jour, sans rien y pouvoir, et d'être privée de mes parfums préférés dans leur forme originale.
    Je continue d'étudier le sujet, c'est beaucoup moins marrant que de parler parfums mais je suis très remontée.

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  5. Et pourquoi alors ne fait-on rien pour les produits colorants pour les cheveux à mon sens bien plus allergisants ( de nombreuses coiffeuses sont obligées de changer de métier à cause de ces problèmes d'allergies) et nocifs que la mousse de chêne et le jasmin. ll est indiqué que l'utilisateur doit faire un test avant la 1° utilisation ... Apparemment rien de logique dans tout ça...
    On a beaucoup parlé des parfums chyprés français mais que va devenir Aromatic Elixir par exemple qui contient jusqu'à présent de la mousse de chêne?

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  6. Senga, je pense que c'est parce qu'on n'a pas trouvé la solution pour colorer les cheveux autrement!

    Pour AE: tous les parfums importés en UE mais aussi dans plusieurs pays ayant adopté les standards IFRA sont concernés.

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  7. Il faut dire que la campagne de greenpeace(?)alertant sur la toxicité de nombreux cosmétiques a eu son effet sur les gens. C'est drôle, mon pote et collègue me dit ne pas supporter le parfum et argue le risque cancérigène, mais à côté de ça il fume un paquet par jour! Bon moi je préfère empester Mitsouko ou Chanel 5 (kamikaze? :) que Marlboro...
    Muguette

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  8. Muguette, mon propre papa chéri était un facho du parfum alors qu'il fumait deux paquets par jour... En effet, la campagne de Greenpeace a sûrement nui, c'est d'ailleurs l'argument avancé par l'IFRA pour justifier les restrictions: tranchons-nous le pied nous-mêmes pour ne pas qu'on nous tranche la tête...

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  9. Les dermatologues sont en effet historiquement anti-parfum, grâce à des lobbies puissants, notamment venant des pays scandinaves, chez qui le parfum n'est évidemment pas dans la culture... Or il n'y a en contre partie aucun lobby de la parfumerie ! Les maisons de parfums vivent dans la compétition et la rivalité et ne se sont jamais unies contre les dermatos ! C'est ça la principale raison, selon moi, de la situation dramatique actuelle. Car à l'inverse, l'industrie agro-alimentaire, dont les lobbies sont sur-puissants, peut elle continuer à utiliser tout un attirail d'ingrédients toxiques en toute impunité !
    Par ailleurs, saviez-vous que L'Oréal interdit depuis longtemps les allergenes dans les parfums des colorations capillaires, soit disant pour rassurer les consommatrices... Cela illustre bien l'absurdité de l'industrie !

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  10. Jeanne, merci, j'attendais votre intervention! Plus ça va, plus je doute de l'hypothèse "plan diabolique des labos pour vendre leurs synthétiques", et plus je crois à un mélange de conflits d'intérêt, de trouille pure et simple (des dermatos, des pressions de consommateurs ou d'ONG), et... d'un double mépris: celui du consommateur à qui on va fourguer un truc qui n'aura plus de la formule originale que le nom (car peu de marques seront prêtes à dépenser de l'argent comme Guerlain l'a fait pour Mitsouko), et celui de leur propre travail, qui n'est considéré que comme un produit et pas comme une création digne de respect.
    Mais ça, on le savait déjà...

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  11. l'indifférence est encore plus révoltante...

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