Je l’ai déjà dit : j’aime le jasmin, mais je redoute les soliflores au jasmine, en partie à cause des effluves de gazoline de l’absolu, en partie à cause de souvenirs trop vivaces de nuits sévillanes… Mais je suis toujours disposée à essayer de nouvelles variations sur la fleur.
En attendant la Nuit de Cellophane de Serge Lutens où elle figure de façon prédominante, d’après la description qu’Elisabeth de Feydeau en a faite (avec l’osmanthus, l’écorce de mandarine, le santal, la myrrhe, la civette et le castoréum – variation sur Sarrasins ?), je me suis intéressée tardivement à deux sorties 2008, Jasmin Noir de Bulgari et Drama Nuuï de Parfumerie Générale (lancé en même temps que Felanilla).
Dès la première vaporisation, Drama Nuuï m’a donné l’impression d’être le personnage de Patrick McGoohan, Numéro Six, dans la série Sixties culte Le Prisonnier, éternellement poursuivi par une énorme balle bondissante sur une plage galloise : je ne distinguais que ce que je surnomme la Grande Bulle Blanche et Verte, cet accord muguet placé au cœur de tant de parfums contemporains pour ouvrir un espace entre les notes.
La GBBV est tellement centrale dans Drama Nuuï qu’elle semble pratiquement repousser la note vedette hors cadre : un jasmin vert très délicat, dépouillé d’arômes animaux, orné d’un soupçon d’amertume au débouché (l’absinthe) et d’une pincée d’épice. Le jasmin à son plus virginal, ravissant, frais et timide.
Le Jasmin Noir de Bulgari, composé par le vétéran d’IFF Carlos Benaïm avec Sophie Labbé, est tout aussi discret, comme si sa touche « volume » avait été réglée au plus bas. Ce parfum m’est souvent presque imperceptible et apparemment, je ne suis pas la seule à être frappée par cette curieuse anosmie : Robin du blog américain Now Smell This a fait la même expérience. Comme moi, elle ne sent Jasmin Noir qu’en se collant le nez au poignet. C’est dommage, car sans avoir l’audace novatrice de certains Bulgari (le Thé Vert de Jean-Claude Ellena et le Black d’Annick Ménardo), il est d’un équilibre exquis. Comme dans Drama Nuuï, le bouquet entêtant du jasmin est coupé de verdeur (en l’occurrence une note de « sève verte »). Mais au lieu d’étoffer la base boisée-ambrée par l’omniprésente vanille , Benaïm et Labbé ont choisi une note apparentée dans le registre du brûlé-sucré, la réglisse, qui confère au parfum une facette presque cuirée. Les accents froids et anisés de la réglisse se marient parfaitement au jasmin ; sa couleur justifie sans doute l’ajout de l’adjectif « noir » -- bien que je ne puisse pas m’empêcher de songer à un trou noir qui aspirerait l’essentiel du sillage… Comme le fait remarquer Octavian Coifan dans 1000fragrances, Jasmin Noir est d’un tel raffinement qu’il pourrait presque passer pour un Chanel. Le jasmin à son plus introverti : chic, taciturne et profond.
Image : Embrace, sérigraphie sur soie de Lee Krasner (1974), courtesy Alex Rosenberg Fine Art.
Bonjour, j'ai une amie espagnole à qui j'ai conseillé Jasmin Noir. Sur elle, je peux vous affirmer que le sillage est bien présent tout au long de la journée, mais jamais envahissant en effet. Finesse de l'hédione, rondeur des bois lactés, une vraie belle surprise.
RépondreSupprimerOui, c'est très curieux, n'est-ce pas? Sur certaines personnes, le sillage est présent - je n'en fait malheureusement pas partie et je le déplore, c'est un très beau parfum.
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