lundi 23 décembre 2013

Alien Liqueur de Parfum 2013 : le mutant prend de la bouteille


En 2007, l’équipe des parfums Thierry Mugler suivait le fil du langage pour passer d’Angel à la part des anges, terme alchimique désignant le cognac qui s’évapore lors de son vieillissement (son sillage, si l’on veut). Appliqué au parfum, ce processus de macération en fût, breveté, était étendu à Alien et A*Men en 2009. Depuis, les expériences se sont multipliées. Un autre fil de l’ADN d’Angel a inspiré l’ajout de notes alimentaires (« Le Goût du parfum », 2011), puis c’est le cuir qu’on a fait macérer dans les parfums (« Pur cuir », 2012), ensuite allégé par l’addition d’eaux florales (les « Aquachic » de l’été dernier).

Les éditions limitées de cet hiver reprennent le chemin du chai, à ceci près, nous assure le dossier de presse, que le bois des fûts a été toasté. En fait, tous les fûts destinés aux vins et spiritueux sont soumis au chauffage, dont le mode et l’intensité permettent de développer des arômes en proportions différentes. Ainsi, un chauffage fort accentuera les arômes grillés, toastés et caramélisés (logique), qui domineront les notes vanillées et fumées. Le processus appliqué par les tonneliers Séguin Moreau a sans doute été spécifiquement mis au point pour les différents parfums Mugler soumis à ce traitement.

C’est Alien Liqueur de Parfum 2013 que j’ai testé. De tous les féminins de la maison, il n’y a que celui-là que je peux porter, même si, la première fois que j’ai porté Alien, il a réalisé le programme de son nom en bondissant de mon poignet pour dévorer tous les parfums que j’ai vaporisés dessus pendant trois jours…

Développé par les parfumeurs Dominique Ropion et Laurent Bruyère, Alien est fondé sur ce que son directeur artistique olfactif Pierre Aulas appelle les « poly-blocs ». « Quand j’ai travaillé sur Alien », explique-t-il, « j’ai essayé de comprendre la particularité olfactive d’Angel, qui était outrancier, overdosé. Thierry a tout le temps dit “ma mesure, c’est la démesure”. Donc forcément, il fallait qu’on applique ça. Sur Alien, c’était la première fois qu’on overdosait le cashméran dans un féminin de cette manière-là, qu’on overdosait l’ambroxan. Ce qui rendait ces overdoses féminines, c’est un accord fleurs blanches jasminé-oranger, un peu classique, qui arrondissait tout ça. »

Du coup, Alien est considéré par ses créateurs comme le plus « classique » des féminins de Mugler. Il n’en reste pas moins un OVNI, qui prend à contrepied la plupart des codes de la parfumerie mainstream. Un sillage de diva outrancier, là où on vise en général le frais-girly. Un assemblage de haute précision de notes masculines et féminines, exaspérées jusqu’à l’hermaphrodisme, là où le marché a depuis longtemps misé sur la spécialisation sexuelle. Une revendication assumée de la synthèse, alors que la concurrence met l’accent sur des naturels, dont on soupçonne qu’ils n’ont été qu’agités un instant au-dessus des cuves de concentrés. Mais aussi, des naturels en overdose – selon Pierre Aulas, la formule est tellement chère qu’on ne peut pas copier Alien aux prix du marché.  Ultime subversion de la série Liqueurs de Parfum : faire macérer ce mutant comme s’il s’agissait du plus noble produit du terroir français…

Étant donné ma première rencontre avec Alien, j’ai appliqué sa version Liqueur 2013 avec parcimonie – c’était avec des êtres humains que je dînais ce soir-là, pas la Ripley de Sigourney Weaver. Mais en fait, soumis au traitement « cognac », Alien prend du moelleux. L’accord floral radioactif est en partie absorbé par les notes ambrées boisées, mettant en relief le petit effet « poussière » qui donne son velouté au cashmeran. Le bois du fût ajoute des arômes vanillés-amandés, sans verser dans le gourmand. Le jus a toujours la demi-vie du plutonium sur la peau, mais son sillage n’est plus de l’ordre de la retombée nucléaire. C’est très beau.

Pour ces éditions limitées de l’hiver 2013, Thierry Mugler a demandé à Thierry Hernandez, directeur du bar du Plaza Athénée, d’inventer des recettes de cocktails assorties aux parfums.

Voici celle d’Alien :

- 5 cl de rhum Neisson brun
- 2 cl de Grand Marnier
- 4 cl de jus d’abricot
- 1 cl de jus de passion
- 1 cl de sirop d’orgeat
- 1 goutte de cèdre
- 2 gouttes d’essence de jasmin
- 2 gouttes d’essence de fleur d’oranger

Tchin-tchin, et joyeux Noël !


Image: Costume de Muglerette créé et photographié par Manfred T. Mugler pour son spectacle de cabaret au Comedia à Paris: Mugler Follies

mardi 17 décembre 2013

Two magnolias will blossom in January at Grandiflora: one by Sandrine Videault, one by Michel Roudnitska


Sandrine Videault chose a unique path. Formally trained by two of the most respected perfumers in the industry, Edmond Roudnitska and Pierre Bourdon, she became an independent. Much of her work focused on less-explored avenues of composition: she recreated historic perfumes, like the Egyptian kyphi produced for the Museum of Cairo, sponsored by L’Oréal. She worked with artists (such as Fabrice Hyybert) and as an artist for installations and events. She also chose to move back to her native New Caledonia, a French territory, far from industry centers, and had started to create a client portfolio in Australasia. She only took on commercial projects which afforded her total creative freedom, and with clients whose vision she could totally embrace.

Saskia Havekes, a prominent floral designer based in Sydney, Australia, was one such client. The first time I met Sandrine in the flesh in Paris, she was just starting on a magnolia fragrance for Saskia, whom she adored. Until the end, she kept working to get it just right, to make Saskia happy…

Sandrine’s heartbreaking demise pushed back the launch of Magnolia Grandiflora, which was to become her last creation. Now it will be coming out at last, but no longer alone. When visiting Art & Parfum, where the fragrance would be produced, Saskia met Michel Roudnitska. Clearly, he fell for her as Sandrine had. Though he doesn’t really work as a commercial perfumer any longer, he did have his own interpretation of the scent of magnolia, the very magnolia that grew in his father’s – now his – garden…

In January, Grandiflora will be launching two fragrances: Magnolia Sandrine and Magnolia Michel. Both rooted in the land of Cabris, Michel’s home and the place where Sandrine was born as a perfumer. A unique project – when has another brand been launched with two different interpretations of its namesake flower? And a beautiful tribute to the spirit that nurtured the inspiration of Sandrine Videault and Michel Roudnitska.

Deux magnolias fleuriront en janvier chez Grandiflora: celui de Sandrine Videault et celui de Michel Roudnitska





Sandrine Videault avait choisi un itinéraire inusité. Formée par des grands, Edmond Roudnitska et Pierre Bourdon, elle était devenue parfumeur indépendant. De même, son travail s’écartait souvent des voies commerciales. Recréation de parfums historiques comme le kyphi égyptien pour le Musée du Caire, projet soutenu par L’Oréal. Créations contemporaines, avec des artistes (notamment Fabrice Hybert) et en artiste. De retour dans sa Nouvelle-Calédonie natale, loin des capitales de l’industrie, elle avait commencé à développer son activité en Australasie. Mais elle n’acceptait que des projets lui offrant une réelle liberté de création, que des clients pour lesquels elle avait eu un coup de cœur.

Saskia Havekes, designer floral de Sydney, en Australie, en faisait partie. La première fois que j’ai rencontré Sandrine en vrai, elle entamait le développement d’un magnolia pour Grandiflora, la société de Saskia, qu’elle adorait. Jusqu’au bout, elle aura travaillé pour mener ce projet à son aboutissement, pour que Saskia en tombe amoureuse…

La disparition tragique de Sandrine a contraint Grandiflora à décaler la commercialisation de son Magnolia. Entretemps, Saskia a rendu visite à Art & Parfum où le concentré est produit. Elle y a rencontré Michel Roudnitska, qui, à son tour, a eu un coup de cœur pour elle. Il lui a montré, en passant, un magnolia qu’il avait lui-même composé en s’inspirant de l’arbre planté dans le jardin de son père, devenu le sien…

En janvier, ce n’est pas un, mais deux parfums que lance Grandiflora : Magnolia Sandrine et Magnolia Michel. Lancement unique en son genre pour toutes sortes de raisons. Aucune maison n’avait auparavant proposé, pour ses deux premiers parfums, deux variations d’une même note. Mais surtout, unique parce que ces deux magnolias, enracinés dans la terre de Cabris où Michel Roudnitska a grandi, où Sandrine Videault a découvert sa vocation de parfumeur, est un magnifique hommage à leur idéal : celui d’une parfumerie libre, sans compromis, qui vient du cœur. 

Magnolia Sandrine et Magnolia Michel de Grandiflora seront disponibles dès janvier chez Colette.