lundi 7 juin 2010

La vie aquatique avec Fleur de Liane de Bertrand Duchaufour pour L’Artisan Parfumeur)



Lors du lancement de Fleur de Liane, j’avais bien évidemment l’intention de le tester jusqu'à ce que le mot tant redouté d’« aquatique » me fasse détaler en marmonnant « l’horreur…l’horreur… » à la Marlon Brando dans Apocalypse Now. Mais il y a quelques semaines, en passant chez L’Artisan rue de l’Amiral de Coligny, j’ai décidé de m’asperger de Fleur de Liane, pour voir. L’instant d’après, je me lamentais auprès de Stéphanie Bakouche, qui y assure les formations… Comment elle s’y est prise pour me convaincre d’en rapporter trois échantillons à la maison, je ne saurais le dire, mais c’est bien joué : essai transformé.

Les notes aquatiques sont en général utilisées pour créer une impression de fraicheur. Ce n’est pas le cas ici. Comme la jungle panaméenne qui est censée l’avoir inspiré, Fleur de Liane est moite, touffu et vaguement menaçant sous son exubérance tropicale. En remontant le fil des récentes compositions florales de Bertrand Duchaufour, il me semble qu’il travaillait déjà ici sur l’effet lacté dense et trouble d’Amaranthine. Sous sa fleur de liane inventée, ce sont des remugles de pourriture végétale qui remontent, suscités par les facettes terreuses du patchouli et du vetiver et des effets champignon. Cet effluve de corruption, la densité crémeuse de l’accord floral, les notes animales (miellées, indolées), déportent cet accord muguet/magnolia vert et savonneux vers quelque chose de plus inquiétant. Des effets métalliques rôdent sous la végétation, évocation du sang versé dans cette jungle…

Porter Fleur de Liane après Amaranthine éclaire de façon rétrospective la direction que prenait Bertrand Duchaufour avant que n’éclate en plein jour la torsion qu’il imprime aux notes florales. Ce parfum a presque réussi à me réconcilier avec les notes aquatiques, lorsqu’elles sont arrachées aux clichés que sont devenus Cool Water, L’Eau d’Issey et leurs dérivés. Car dans la jungle imaginaire où pousse cette fleur, les lianes peuvent vous étrangler. Les piranhas patrouillent dans les eaux. Et Sa Majesté des Mouches est tapie entre les feuillages.



Illustration: Tableau de l'artiste suisse Adolf Wölflli

12 commentaires:

  1. Je ne connais pas ce parfum mais vous écrivez tellement bien, quel plaisir, on s'y croirait! Faites attention, vous propulsez une telle richesse d'interprétation sur les parfums qu'en les sentant, nous n'allons pouvoir être que déçus.. "Mais où est la majesté de mouches ??" !!!

    RépondreSupprimer
  2. Dries, c'est parfois mon souci... exciter de telles attentes qu'elles ne peuvent qu'etre trompees (pardon pour le manque d'accents, je suis sur clavier anglais, d'ailleurs je suis chez les anglais)

    RépondreSupprimer
  3. Mais oui ma chère, je me disais que tu devais être à London, baby!
    Good luck for your intensive course!
    Malgré ta prose magnifique, tu ne me feras pas aimer cette Fleur de Liane mais c'est merveilleux comme tu sais apporter de l'intérêt et surtout un nouvel angle à une fragrance surtout quand je ne l'aime pas. Mais les notes aquatiques, même maîtrisées ne sont décidemment pas pour moi.
    So long dear. See you soon.
    I enjoy selling the Kilian fragrances very much.

    RépondreSupprimer
  4. Rebecca, je comprends tout a fait, je me suis surprise moi-meme! And I'm happy you're happy in your new job, i'll drop in to see you soon!

    RépondreSupprimer
  5. Tiens c'est amusant de lire quelque chose concernant un accord lacté dans un parfum de Bertrand Duchaufour, j'allais justement parler de son travail en réponse à la question concernant des "aversions conquises"...

    J'ai coutume de dire que je n'aime pas les parfums "gourmands-gustatifs"... Et pourtant, il y a quelques années, j'ai eu un coup de foudre pour "Calamus" (Comme des garçons), une création de Duchaufour que je porte plus que souvent tellement elle me correspond. C'est donc finalement un parfum certes avec des notes vertes, mais aussi des notes laiteuses et un peu sucrées, une évocation gourmande, que je me sens le mieux. j'en suis la première surprise !

    Delphine

    RépondreSupprimer
  6. Delphine, si vous avez lu son interview, vous verrez qu'il parle en effet du calamus comme d'un materiau fascinant qui a des effets verts, mais aussi de vase et de quatre-quarts sortant du four... Il dit uaai que c'est l'un des pre;iers parfums qui lui aient fait ressentir l'impression d'en etre l'auteur. Il faut vraiment que je le revisite.

    RépondreSupprimer
  7. Oui j'ai trouvé effectivement une parenté entre Fleur de Liane et Amaranthine. Deux parfums fort intéressants mais le premier est peut-être trop léger pour moi, j'ai glissé, passé mon tour, un peu indifférente. A l'inverse, pour Amaranthine, j'ai craqué (hum je crois pouvoir attribuer à votre style magique et dithyrambique un % de responsabilité ,-), l'ai acheté mais malgré tout l'intérêt et le respect que je lui porte, ce n'est pas ma cup of tea, celle dans laquelle j'ai envie de me plonger avec délices, la sniffant aux premières lueurs , accompagnée de ses effluves jusqu'à la fin du jour. Bref, je l'apprécie mais ne l'aime pas.
    Pour quitter le (très) personnel et revenir au sujet, l'aquatique, il me semble que là on touche à l'aquatique lent et tranquille d'eau stagnante, de moiteur de canopées... Le rond, le lent, le mou...presque maléfique, d'où mon malaise à vivre avec. Rien du clair et (trop?)propre des eaux vives et iodées mêlées aux vents et battues sur les rochers pointus !
    Alizarine

    RépondreSupprimer
  8. Oh oui j'ai lu son interview avec un vif intérêt !

    je serais ravie de lire votre avis sur "Calamus"...

    Delphine

    RépondreSupprimer
  9. Je n'ai senti que tres vite en passant cette fleur de liane, je me rappelle seulement que la ressemblance avec "un jardin apres la mousson" d'Ellena, que je porte de temps en temps, m avait frappee, mais cette description me donne envie de la connaitre mieux, d'autant que j'aime bien les aquatiques. La calone n'est pas une note qui me fait rugir de plaisir comme la feve tonka, la violette, le tiare, mais de temps en temps c est agreable. Par contre j ai le souvenir d un voyage cauchemardesque en avion avec une collegue qui s etait aspergee d'eau d 'issey au duty free. Je ne pense pas qu il y ait aucune note que je deteste, ah si, celle fraise-tagada de miss dior cherie. Sinon, j'ai eu du mal a apprivoiser la tubereuse, c'est fait a present, mais j'ai toujours une reaction de rejet avec Tubereuse Criminelle, qui me degoute vraiment, pourtant je persevere, j'ai remarque que ce sont souvent les choses qu on a detestees au premier abord qui sont les plus delicieuses et les plus adictives une fois qu on a appris a les apprecier (je pense au gorgonzola et d'autres choses...). Je ne suis pas sure de faire le meme effort pour Flora de Gucci, Lola, Daisy, Eau Mega, The One et compagnie. PS. dsl pour les accents, clavier anglais aussi ;)

    RépondreSupprimer
  10. Alizarine, je crois que c'est justement ce côté moite et menaçant qui me plait!

    RépondreSupprimer
  11. Delphine, je me promets de le tester la prochaine fois que je passerai par la boutique CdG parfums.

    RépondreSupprimer
  12. Clochette, certains parfums méritent qu'au moins on tente de les approcher, d'autres... pas forcément, non? Mais bon, on ne peut pas conquérir toutes ses aversions: il n'y a que dans les comédies romantiques que les héros commencent par se détester avant de roucouler.

    RépondreSupprimer