Fragment d’une conversation avec un Nez.
Moi : « Alors, tu as senti le nouveau Balenciaga ? »
Le Nez : « Ouais, tout le monde en parle. »
Pas étonnant que le gratin de l’industrie en ait plein les narines. Après le succès planétaire de Dior Homme – que plus d’un parfumeur, semble-t-il, aurait aimé composer – le travail d’Olivier Polge est surveillé de près. Nicolas Ghesquières, depuis qu’il a assumé son poste chez Balenciaga en 1998, est adulé par la presse fashion, à la fois parce qu’il a su prolonger les recherches formelles du fondateur de la maison, et parce qu’il a su les traduire en termes rigoureusement contemporains, voire futuristes. Quant Charlotte Gainsbourg, qui prête son visage à la campagne, elle incarne désormais quasiment à elle seule la quintessence du chic bohème parisien – savamment négligé, un brin mélancolique et spontanément élégant – sans y perdre sa crédibilité d’actrice sensible et courageuse (parfois jusqu’à l’effroi : l’Antichrist de Lars von Trier est quasiment insoutenable).
Pari réussi sur deux points : la délicate violette de Balenciaga Paris reflète à la fois l’héritage olfactif de la maison (Le Dix de Francis Fabron, premier parfum Balenciaga en 1947, également sur le thème de la violette) et la beauté en sourdine de Charlotte Gainsbourg. Symbole d’humilité et de fidélité, couleur de l’« amour contenu, mystérieux, voilé » pour Baudelaire, odeur désuète de bonbon ou de rouge à lèvres à l’ancienne (dont Sophia Grojsman a su jouer en la mariant à la rose dans Paris), la violette est ici en partie dépouillée de sa mièvrerie Belle Époque : ce sont ses facettes boisées et métalliques qui sont accentuées.
Mais l’humeur délibérément intravertie de Balenciaga Paris est trompeuse. Car si le parfum semble frémir juste en dessous du seuil de perception olfactif, il occupe pourtant un terrain considérable, gonflé par une bulle verte de muguet teintée de l’humidité de la feuille de violette. Le fond poudré musqué flotte au-dessus de la peau pendant des heures, s’exhalant par bouffées au gré des mouvements. L’effet chypré revendiqué par Olivier Polge – la composition comporte le trio canonique du genre, bergamote/mousse de chêne/labdanum – se développe à un niveau pratiquement subliminal, petites plaques de terre mouillée accrochées au fond boisé. Les facettes poivre-girofle-œillet sont tout aussi discrètes. Balenciaga Paris ne tente pas l’illusion du chypre à la manière du 31 rue Cambon de Chanel : il l’évoque dans un chuchotement qui n’est pas sans rappeler la voix de son égérie. De même, tout comme le personnage de Charlotte Gainsbourg s’enrichit immanquablement du culte et de l’amour que l’on porte à ses parents, Balenciaga Paris est hanté par les réminiscences de ses antécédents plus hauts en couleurs…
Et c’est là que Balenciaga Paris tourne un peu court. Parce qu’il est joli et qu’il évite l’option fruitée-florale que l’on aurait pu redouter d’une création Coty ; parce qu’il est composé par Polge sous la direction de Ghesquières et l’inspiration de Charlotte Gainsbourg et enfin, parce qu’il évite la plupart des clichés des lancements mainstream, on lui pardonnera sans doute beaucoup plus que s’il sortait sous le label Dolce & Gabbana, par exemple. Il n’en reste pas moins que l’odeur est un peu mince et synthétique par moments : c’est peut-être délibéré, mais cela manque un peu de coffre -- là encore, comme sa muse, du moins lorsqu'elle chante, même si elle sait admirablement tirer parti de son filet de voix…
Conclusion du dialogue avec le Nez.
« Alors, tu en penses quoi ? »
« Boh. »
Oui, bof!
RépondreSupprimerIl est vrai qu'en comparaison de l'Eau Meka sentie en même temps, j'ai trouvé relativement agréable les premières notes du Balenciaga. Mais c'est quand même incroyable d'avoir à confronter deux parfums médiocres pour en faire ressortir un. Pour le coup, l'idée est cohérente en effet surtout quand on pense aux notes poudrées du Dix et à l'image plutôt réservée de Charlotte, bien associée au style de NG.
Le début du parfum est assez prenant mais la note verte de la violette s'estompe en 3 minutes chrono. Ensuite, reste une atmosphère feutrée, boisée, mélancolique, pas déplaisante mais floue. On aimerait sentir cette bonne idée avec du corps, de la chair, du volume (bien que le message symbolique de modestie de la violette soit respecté à la lettre).
En tout cas, c'est drôle car ce parfum est vraiment celui dont tout le monde parle et justement j'en parlai à un nez (Patricia de Nicolaï) l'autre soir et elle me disait, sans l'avoir senti, c'est le même thème que Violette in Love, le dernier né de la marque qui elle, sans éviter le côté synthétique, joue les violettes enjouées avec certain volume...
Rebecca, en réfléchissant à la cohérence marque-parfum, je pense que les créations de NG manquent elles aussi de chair, elles sont très intellectualisées en fin de compte... Donc, cohérence respectée.
RépondreSupprimerQuant au buzz, oui, c'est marrant, je crois que c'est parce que c'est Olivier Polge, du moins dans l'industrie.
Même impression, "pas mal, mais pas top"...
RépondreSupprimerEn fait, j'ai eu la même réaction que pour Idylle: sur l'ensemble des sorties mainstream actuelles, BP se démarque agréablement.
Prise isolément, elle est jolie même si un peu trop anorexique à mon goût (dans la famille violette Balenciaga, je demande le grand-père Dix, pour sûr!)
Dans l'histoire de la parfumerie, par contre...
Bof bof aussi. Cette "violette incest", est plus que chuchotante à mon nez. Je la trouve assez pâlotte, elle ne prend pas parti : ou bonbon ou humide-sous-bois, non, elle hésite et s'en va en trois petits tours. Le reste est bien joli, mais manque cruellement de corps, sans être mièvre, c'est quand même assez "mouais bon et après ?". N'étaient Charlotte et Polge, je pense qu'elle passerait assez inaperçue, cette nouvelle fragrance Balenciaga (au flacon hideux, au passage).
RépondreSupprimerJe pleure toujours la disparition du Dix.
Ce qui me gêne le plus, c'est le départ, très acide et métallique; après, c'est agréable, je vous rejoins, c'est mieux que fuel for her ou eau mega, mais comme vous je la trouve trop decharnée. Dans le genre je préfère The Unicorn Spell ou Verte Violette (sans connaître celle de Nicolaï).
RépondreSupprimerC'est par contre en cohérence avec l'égérie, sans doute. J'ai l'impression qu'en ces temps paranoïaques et phobiques, on aura de plus en plus de parfums de ce genre: qui cherchent avant tout à ne pas se faire remarquer et surtout ne pas gêner. Des parfums acceptables même au canada dans la ville sans parfums!
clochette
A propos d' "effet chypré" le dernier post sur le Chanel Rue Cambon m'est revenu à l'esprit en découvrant ce Balenciaga et le nouveau Givenchy "Mademoiselle", qui se prétend chypré également; et je suis vraiment d'accord, chypré, ce n'est pas qu'une question de composition, c'est aussi une émotion qui n'est pas véhiculée par tous ces neo-chypres, qui tantôt sont trop musqués(for her) tantôt trop fruités (dans le cas de Mademoiselle par ex) pour qu'on les ressente chyprés!
RépondreSupprimerclochette
Six, en effet: c'est pas mal du tout. Mais ça manque de chair.
RépondreSupprimerLamarr, je vois que je me répète d'une réponse à l'autre... Il est vrai que les sorties mainstream manquent de parti-pris: c'est sûrement délibéré.
RépondreSupprimerClochette, cette ville canadienne se nomme Halifax... et me fait honte de mon passeport.
RépondreSupprimerClochette, à propos des chypres: je crois qu'ils ont une dimension sombre qui manque aux néo-chypres. Cette violette n'est pas sombre, juste un peu renfrognée.
RépondreSupprimerMoi aussi, je pleure "Le Dix" : riche, poudré, et certainement considéré "vieillot"... mais moi, je le trouvais génial . Pourquoi assassiner les parfums qui ont "du corps" ? Oui, je sais : parce - qu'ils risquent de ne pas plaire au plus grand nombre. C'est déprimant .
RépondreSupprimerOh la maman de Charlotte a aussi un filet de voix mais "son" parfum est bien plus intéressant à mon sens, l'air de rien...
RépondreSupprimerAlizarine
Zab63, j'aimais aussi beaucoup Quadrille... Forcément, c'était un chypre.
RépondreSupprimerAlizarine, il est vrai que L'Air de Rien vous a des relents 60s assez musqués... Le propos était différent puisqu'il ne s'agissait pas de relancer la branche parfums d'une maison historique. Et il semble vraiment que ce soient les notes qu'adore Jane Birkin: Lyn Harris m'avait dit à l'époque qu'elle était folle de la mousse de chêne!
RépondreSupprimerpareil, pas mal mais sans plus, mieux que plein de sorties mainstream, un fond très agréable mais bon... je trouve aussi qu'il manque de corps, même si le côté violette rappelle le Dix (que je luin préfère) et son côté doux, chuchotant évoque charlotte...
RépondreSupprimerSoph, on est d'accord... mais il peut avoir son charme, après tout!
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