dimanche 15 août 2010

Propositions pour un Top Ten des nouveaux classiques (1990-2010)



Un magazine chinois m’a demandé récemment de compiler une liste du Top Ten des classiques lancés au cours des deux dernières décennies (comme quoi, tout arrive). Ce qui m’a poussée à me demander, avant même de dresser cette liste, ce qui, dans un parfum contemporain, pourrait lui mériter un tel statut. Je suis parvenue aux critères suivants :


1) Originalité : créer de nouvelles formes ou renouveler suffisamment une forme classique pour lui donner un second souffle.



2) Fécondité : Inspirer une famille de parfum et/ou suffisamment d’imitations pour cette nouvelle forme passe dans le vocabulaire olfactif.



3) Popularité : Être acheté par suffisamment de personnes pour que le produit suscite une identification durable. Autrement dit : qu’il se vende assez pour passer dans le vocabulaire social.


Ce qui élimine à mon grand regret les parfums de niche (donc tout ce que j’aime). Au débotté, je ne trouve que deux parfums de niches qui soient iconiques, Mûre et Musc de L’Artisan Parfumeur et L’Eau d’Hadrien d’Annick Goutal. Mais tous deux ont été lancés avant 1990 et sortaient donc de la période qu’on m’avait assignée pour la liste. De plus, je ne suis pas tout à fait certaine que leur statut d’icône dépasse les frontières françaises.

Les grandes marques mainstream sont les seules à avoir assez de poids, et à être assurées d’une existence sur le long terme, pour que leurs produits atteignent une part suffisante de la population et puissent ainsi devenir des classiques au même titre que les Shalimar, Joy et N°5 d’antan.

Bref, le critère de popularité (donc de large disponibilité) a éliminé la plupart de mes préférés, sauf Féminité du Bois et N°5 Eau Première. Il m’a aussi contrainte à inclure deux parfums que je ne supporte plus, justement parce que leur popularité m’y a surexposée, Angel et L’Eau d’Issey. J’aurais voulu inclure un Guerlain et si Guet-Apens/ Attrape-cœur avait été moins confidentiellement diffusé (et si on ne l’avait pas retiré du marché), il aurait bien évidemment figuré dans mon top ten. Mais le reste ? On ne peut pas dire que la maison ait introduit des parfums influents : ses grands lancements suivent la tendance. J’ai aussi envisagé le très populaire J’Adore de Dior : excellent, mais original ? Pas forcément.

Ma liste est aussi, cocorico, passablement franco-centrique, ce qui reflète sans doute mes propres préjugés en la matière. En toute honnêteté, j’aurais dû y faire figurer Pleasures d’Estée Lauder et CKOne de Calvin Klein, le premier parce que son accord poivre rose/pivoine/musc a fait beaucoup de petits, le second parce qu’il a lancé la tendance unisexe et qu’il a été une espèce de phénomène de société. Mais bon. Dix, pas plus. Et pour le public chinois, qui plus est... Enfin, les voici , en ordre chronologique:


Angel de Thierry Mugler par Olivier Cresp (1992): Le premier parfum gourmand, l’un de plus imités de l’industrie et l’un des concurrents sérieux de N°5 dans les best-sellers, année après année.


L’Eau d’Issey d’Issey Miyaké par Jacques Cavallier (1992): Ce n’est pas à strictement parler le premier aquatique puisque Cool Water de Davidoff (1988), New West for Him (1988) et For Her (1990) d'Aramis et Escape de Calvin Klein (1991) l’ont précédé, mais c’est sans doute le plus emblématique.


Féminité du Bois de Serge Lutens, anciennement de Shiseido, par Pierre Bourdon et Christopher Sheldrake (1992): Parce qu’il a réintroduit les notes boisées dans les féminins, 70 ans après le Bois des Iles de Chanel. Maintenant qu’il a été rapatrié chez Serge Lutens il n’appartient plus au mainstream, mais en tant que matrice du style Lutens, qui a beaucoup influencé l’industrie, il mérite toujours sa place dans les classiques.


Eau Parfumée au Thé Vert de Bulgari par Jean-Claude Ellena (1992): Novateur à plusieurs titres : il a renouvelé le vocabulaire de l’eau fraîche, introduit un style limpide à une époque d’odeurs saturées ainsi qu’un nouvel usage de matériaux « classiques » (l’hédione et les ionones) et enfin, proposé une vision du parfum comme évocation d’ambiance plutôt qu’expression d’une image féminine ou masculine, dans la lignée longtemps négligée d’un Après l’Ondée.


Lolita Lempicka d’Annick Menardo (1997): Comme Luca Turin le fait observer dans Perfumes : The Guide, c’est sans doute le seul des descendants d’Angel à présenter une réelle originalité. J’aurais préféré faire figurer à cette liste un autre joyau de la grande Menardo, Bulgari Black, mais il croupit en bas de rayon et l’on peut craindre qu’il soit déphasé. Lolita Lempicka se retrouve donc ex aequo avec Hypnotic Poison de Dior, toujours de Menardo : phénomène rarissime pour un flanker, ce dernier a vu ses ventes croître au fil des ans sans campagne publicitaire pour le supporter, jusqu’à récemment.


Déclaration de Cartier par Jean-Claude Ellena (1998): A inspiré une bonne part des masculins du marché, et concurrence une autre création de JCE, Terre d’Hermès, auprès des messieurs qui trouvent que Vétiver et Habit Rouge de Guerlain, Pour un Homme de Caron et Eau Sauvage de Dior sentent un peu trop le papa.


Flower by Kenzo d’Alberto Morillas (2000): Un archétype de la parfumerie contemporaine : une brume statique, irradiante et poudrée qui parvient à évoquer à la fois la sensualité et l’innocence. Éminemment emblématique d’une forme très actuelle de féminité.


Narciso Rodriguez for Her de Christine Nagel et Francis Kurkdjian (2004): « Clean et sexy » est sans doute le brief de 99% des féminins de la planète et For Her joue sur les deux tableaux à la perfection. C’est sans doute le meilleur exemple de l’école contemporaine du « ce que vous sentez à la première vaporisation est ce que vous sentirez toute la journée », et de cohérence entre une identité de marque et un parfum.

Dior Homme d’Olivier Polge (2005): Olivier Polge a mené la parfumerie masculine sur des nouveaux territoires en y introduisant la note iris. Dior Homme est l’un des rares parfums dont j’ai entendu dire à d’autres parfumeurs qu’ils regrettaient de ne pas l’avoir composé. Et, signe infaillible du classique : comme Eau Sauvage en son temps, il est piqué par les femmes.


Chanel N°5 Eau Première de Jacques Polge et Christopher Sheldrake (2008): J’ai un peu hésité sur celui-ci car il est un peu trop récent pour qu’on ait du recul sur sa popularité durable, mais je ne pouvais pas ne pas mettre un Chanel sur la liste. Je suis à peu près certaine que Coco Mademoiselle est plus populaire, et en tant que meilleur exemple de la réinterprétation brillante d’un classique, l’Eau Première a de bonnes chances de perdurer.


D'accord, pas d'accord? Des oublis flagrants?


Quels seraient pour vous les classiques des 20 dernières années ?



Illustration: La Bocca de Bertrand Lavier

dimanche 8 août 2010

By Kilian Love and Tears / Surrender: Jasmine from top to bottom




Let’s see… What have we got in the line-up? A vanilla gourmand? Check. A fougère-type lavender? Check. Tuberose, obviously. Something oudhy and woody for the boys… Rose, ok, done… We’ve added a variation on cologne and a fruity-type tobacco… An oudh and another rose for the Middle-East… Let me see, what are we missing? Looks like we haven’t done jasmine yet! Ok, get me Calice on the line!


I’ve said it recently: despite initial misgivings, I really like several of the Kilians. If money (and time to properly enjoy the stuff, and skin real estate) were no object, I’d add Love (the orange blossom meringue), Liaisons Dangereuses (the jammy rose), Pure Oudh and possibly Back to Black (the dried-fruit tobacco) to my collection alongside Beyond Love (the tuberose). The perfumes may not always be groundbreaking but the compositions are impeccable and the materials of above-average quality. Still, I couldn’t get my frillies in a bunch when I learned that next fall’s Kilian by Calice Becker, Love and Tears/ Surrender was a jasmine soliflore. Maybe that’s because I’m not crazy about them as a rule. Or maybe because I can’t help thinking the scent was added on not because Mr. Hennessy or Ms. Becker had some brand new vision of jasmine in mind, but rather because it was missing in the line-up. It probably makes good commercial sense for a niche brand to offer something for every taste; to keep the customer at the counter until she’s finally found a fragrance that falls within her preferred notes. (“What would you like, madame?” “I don’t know. Something fresh. Not floral.” “What do you usually wear?” “J’adore.”)


That “something for everyone” approach is not limited to Kilian (most niche brands do it), and obviously it makes sense to bring some variety to a collection, unless you’re Montale (“There must be an oudh plus something combination we haven’t done yet. C’mon, think harder, Pierre.”) or Les Parfums de Rosine (rose with everything is the brand identity). But filling out the missing slots (“OMG I can’t believe we haven’t done a vetiver yet!”) can feel a little uninspired.

Don’t get me wrong: Love and Tears is a good jasmine – Calice Becker couldn’t be bad if she tried, especially with a decent budget to play with. But it doesn’t shed a new light on the flower. Green top notes evocative of lily-of-the-valley and old-style gardenia merge with the green facets of the jasmine sambac, indoles turned down. The formula announces jasmine in all its guises – headspace, sambac, Egyptian, “solar”, and even “water jasmine”, and jasmine is pretty much what you get. Have I mentioned jasmine? Then a lactonic, honeyed heart with what feels like a frangipani accord – the notes list ylang-ylang, so that’s the tropical feel, and daffodil, which accounts for the honey -- fleshed out by musk. And an odd, almost metallic feel that creeps up and lasts into the drydown, giving Love and Tears an almost ink-purple hue (or maybe that’s just because it reminds me of the purple-died Serge Lutens Sarrasins in some phases).


There aren’t actually floods of jasmine soliflores on the market, probably because as a star player, it’s got so much character the number of variations it offers is somewhat limited. In the niche, Annick Goutal Le Jasmin (ginger-spiked), État Libre d’Orange Jasmin et Cigarette (self-explanatory), Parfumerie Générale Drama Nuui (bitter, green), The Different Company Jasmin de Nuit (spicy) offer quirkier interpretations ; Serge Lutens À la Nuit, a definitive rendition; Maître Parfumeur et Gantier’s super-saturated, almost oily Jasmin, a stunningly vivid rendition I haven’t tested recently, so I don’t know what state it’s in. In the mainstream, you could do worse than seek out Dior J’adore L’absolu, centered on jasmine sambac and a rework by François Demachy of Becker's own J'adore.

To sum up, Love and Tears is to jasmine what Beyond Love is to tuberose: beautiful, almost hyper-realistic, but not necessary unless jasmine is to you what tuberose is to me, a note whose every nuance you simply must explore.


Note to my readers: You may have noticed I've slowed down the posting. I'm writing like crazy, but for posterity, or at least for something that'll end up on paper, namely my book. Can't do it all, but I'm around!


Illustration: Jasmine screensaver from Flower Spirit.