La nouvelle création de Bertrand Duchaufour pour
la « Collection excessive » de The Different Company forme le
troisième panneau d’un triptyque sur le thème du cuir irisé entamé avec La Traversée du Bosphore (L’Artisan
Parfumeur) et Cuir de Nacre (Ann Gérard).
Le parfumeur l’a conçue à la fois comme « une violette vibrante et
moderne » et comme « un cuir végétal ».
Sur ce point, I
Miss Violet relève de la même intention que le Cuir d’Ange de Jean-Claude Ellena : tirer un cuir des fleurs,
mais surtout, s’affranchir du « cuir de parfumeur », cuir de Russie
goudronneux fumé, ou cuir à la Bandit
basé sur l’isobutyl quinoléine. Certes, étant donné les écritures respectives
des deux hommes, les résultats sont forcément divergents. Alors que le cuir d’Ellena
est lumineux, éthéré, d’odeur et de texture poudrée, celui de Duchaufour est
sombre, gras, issu d’une fleur plantée dans l’humus gorgé de pluie du printemps.
Ce cuir de violette est aussi culotté, sans pour
autant s’apparenter à la botte de Cosaque ni au jus de motard : c’est à
ses parti-pris olfactifs qu’il doit sa radicalité. Retravaillée pour
l’occasion, la base cuir composée pour La
Traversée du Bosphore sert de tuteur à la composition. Mais c’est la chair
que soutient ce tuteur qui donne son caractère à I Miss Violet; cette façon éminemment signée qu’a Duchaufour
de s’appuyer sur les aspérités de ses
matériaux -- en l'occurrence des fleurs à notes cuirées -- plutôt que de les masquer.
Ceux qui ont déjà senti des absolus de feuille de
violette, de cassie, de mimosa ou d’osmanthus en conviendront : outre
leurs communs effets poudrés et cuirés, ils partagent des relents de végétaux
détrempés oscillant entre la cosse de pois cassée, la vieille eau de vase à
fleurs et le concombre. Or, expliquait Duchaufour lors du lancement, pour lui
la peau de concombre sent le cuir d’anguille : il a donc renforcé les
facettes cucurbitacées de ses ingrédients par des aldéhydes ad hoc comme le
nonadiénal. L’osmanthus, membre de la famille des Oléacées tout comme l’olivier
(et d’ailleurs le jasmin), contribue une facette olive noire qu’il partage avec
le castoréum, matériau traditionnel des notes cuirées…
Pour sophistiqué qu’il soit avec son fond musqué
vanillé, le résultat dégage d’étonnants relents de chair mi-végétale,
mi-animale. Les facettes aqueuses durent peu sur ma peau, mais l’effet végétal
persiste plusieurs heures, tout comme la facette confiture d’abricot de
l’osmanthus où se fond le sucre poudre de la violette. S’il n’est sans doute
pas, sur moi, aussi « mousseux » ou « diaphane » que ne l’a
voulu son créateur, le parfum ne vient pas buter contre le mur goudronné opaque
des cuirs de parfumeur classiques : il continue à déployer une belle
naturalité jusque dans les notes de fond.
Si le projet olfactif de I Miss Violet est indéniablement abouti, je m’avoue moins
convaincue par sa présentation. Puisque « violette » est à la fois
une note et un prénom, Luc Gabriel, co-fondateur et propriétaire de The
Different Company expliquait lors du lancement que « le prénom appelle
l’incarnation, [et que] l’incarnation appelle l’image. » Le parfum est
donc incarné par Cécile, une jolie rousse féline dans une série de visuels aux
allures de rédactionnel de mode -- et pour cause, c’est un photographe de
mode, Alexis Limousin, qui les a réalisés. Et d’un récit, celui d’une
« Violet » globe-trotteuse – dîner à Venise, gala à Paris, clubbing à
Hong Kong – dont les aventures tiennent du synopsis de film publicitaire. Laquelle
Violet laisse son parfum à celui à qui elle manque déjà avant de voguer en mer
de Java… Le visuel reproduit ci-dessous n’est toutefois pas une pub, mais une affiche
proposée aux points de vente.
Doter un parfum d’un visage et d’une histoire
glamour ? C’est précisément ce que fait le mainstream. Mieux qu’une marque de niche, forcément – question de
budget et d’expérience, d’autant que la plupart des marques mainstream viennent de la mode. En
s’aventurant sur ce territoire, The Different Company s’écarte des valeurs
d’une parfumerie d’auteur qu’elle a contribué à créer lors de sa fondation en
2000 par Jean-Claude Ellena, le designer Thierry de Bachmakov et Luc Gabriel.
C’est grâce aux pionniers de cette deuxième vague du niche que les parfumeurs
ont pu à nouveau signer leurs créations (rappelons qu’à leurs débuts, ni
L’Artisan, ni Goutal, ni Lutens ne nommaient leurs nez), après avoir été
éclipsés par les couturiers pendant plusieurs décennies. Que le parfum s’est
affranchi des histoires de nana-qui pour s’inspirer d’autres récits. Bref, que
les parfumeurs ont pu répondre de
leurs créations, leur donner un nom et un visage.
Certes, le dossier de presse de I Miss Violet fait une large part à
l’auteur du parfum et à sa démarche olfactive. Et certes, TDF n’est pas la
seule marque de niche à produire des visuels : la question (déjà abordée
au sujet de Byredo) mériterait d’être plus largement fouillée. Disons
simplement que ce qui rend la « Company » de Luc Gabriel « Different » se
décèle bien moins à l’œil qu’au nez…
Et comment I Miss Violet se compare a Cuir Amethyste d'Armani Privé? Je suis curieuse, car j'adore Cuir améthyste mais le prix fais en sorte que je ne le porte que pour les grandes occasions! :(
RépondreSupprimerValérie, je n'ai pas comparé les deux parfums côte à côte car je n'ai pas Cuir Améthyste, mais de mémoire IMV est plus végétal, plus "gras" -- on sent les plantes...
SupprimerJe me permets d'apporter ma contribution (hello Denyse ;) ) : je trouve qu'ils n'ont pas grand chose à voir. J'ai beaucoup de mal à trouver le cuir dans CA, qui sur moi fait l'effet d'un épais sirop de violette (ma peau sucre beaucoup les parfums), alors que dans IMV effectivement les plantes ne se font pas oublier. L'osmanthus joue sur des facettes animales très intéressantes (elles font évoluer le parfum sur la peau, selon le jour ou le moment de la journée), et la violette est au final quasi pas poudrée et peu sucrée. Les deux ont un pitch cuir/violette, mais ne sont pas des jumeaux, plutôt des cousins éloignés!
SupprimerHello M! Merci de mettre ton grain de sel -- ou en l'occurrence, de sucre! Comme tu le sais, Miss Jicky est très sensible elle aussi aux facettes animales de l'osmanthus (à quand une analyse de l'effet des matières premières de parfumerie sur les félins ?). Je suis d'accord, cette violette est assez peu sucrée-poudrée -- la référence est moins confiserie-parfumerie que botanique.
SupprimerMerci! :)
RépondreSupprimerA quand une critique de la religieuse? Je suis assez curieux de savoir ce que vous en avez pensé. L'avez-vous aimé?
RépondreSupprimerComme vous avez dû le remarquer j'ai beaucoup négligé le blog, ce qui fait que j'ai une vingtaine de sujets en souffrance... Je n'ai pas encore re-senti La Religieuse depuis sa présentation, hélas!
SupprimerJ'attends votre retour avec impatience.
SupprimerMoi aussi.
SupprimerNiice post
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