jeudi 28 août 2014

Coco Noir Parfum : Miroir de Venise


« Pourquoi est-ce que tout ce que je fais devient byzantin ? », se demandait Chanel. C’est ce penchant pour l’Empire Romain d’Orient, reflété par le miroir vénitien, qui a fourni le concept de Coco Noir (tout comme l’orientalisme de l’appartement de la rue Cambon avait jadis inspiré Coco).

L’eau de parfum lancée en 2012, si elle était assez chargée en patchouli pour justifier l’épithète de « noir », suggérait plutôt une petite robe que les brocarts d’une dogaresse. La nouvelle version parfum offre une expression beaucoup plus riche et plus juste de l’inspiration vénitienne.

Coco Noir Parfum ouvre la structure fruitchouli de l’eau de parfum pour libérer les fleurs. Plutôt que notes, rose de mai et jasmin offrent à la composition une matière veloutée, une mâche qui amplifie le style rétro déjà décelable dans la première version. Mais c’est à un ingrédient bien moins glamour qu’est dû l’effet le plus intéressant… 

Tout comme Coco a transformé l’humble jersey en tissu couture, le géranium rosat, cultivé dans les champs des Mul à Grasse avec le jasmin, la rose, la tubéreuse et l’iris dont les récoltes sont réservées à Chanel, se mue en star. C’est sa fraîcheur rosée-menthée, glacis posé sur le brocard de velours des bois et des baumes, qui confère à Coco Noir Parfum l’éclat d’un miroir noir.

La métaphore m’est venue avant même de savoir que les miroirs noirs existaient, et qu’ils étaient utilisés pour la divination et la convocation des esprits, comme la boule de cristal. On le sait, Chanel, comme ses amis surréalistes, s’intéressait à l’occultisme – intérêt éveillé par son grand amour, Boy Capel. Elle a découvert Venise, ville criblée de symboles maçonniques et alchimiques, après la mort de ce dernier – mort qui l’aurait poussée à créer le N°5, sublimation de son deuil, selon Jean-Louis Froment, commissaire de l’exposition N°5 Culture Chanel… On ne trahit donc pas forcément l’esprit de Gabrielle lorsqu’on se sert du miroir noir de Coco Noir Parfum pour convoquer les spectres.

Ce spectre, c’est le chypre. Ou plutôt, cette part du chypre qui lie le fruit au bois – penchez l’axe de Coco Noir sur la carte olfactive, et vous frôlerez l’un des territoires annexes de Femme, Féminité du Bois (l’orientalisme épicé du premier Coco pouvant jeter un pont entre ces derniers). L’un et l’autre co-signés par Christopher Sheldrake n’ont pas la même odeur : c’est plutôt l’équilibre de leur structure fruit-bois-musc qu’ils partagent. Si bien que lorsqu’on louche de ce côté-là, Coco Noir devient tout d’un coup nettement plus byzantin. Question de magie noire.



Illustration: Le Titien, La Femme au miroir, vers 1515 (Musée du Louvre)

4 commentaires:

  1. (je n'ai pas encore senti l'extrait)
    Chypre?
    C'est drôle, parce que je pensais à ce que Coco Blue héritait de Pamplelune. A travers la transparence des fleurs floues il y a ce pamplemousse léger qui reste, et il y a ce patchouli cashmere transparent pour l’accueillir en note de fonds. Ce genre de patchouli (fractionné?) qu'on ne pense pas à détecter, car il n'a pas les accents terreux et vin rouge d'un "aromatic elixir".

    A mon avis, il y a une "beauté diluée" comparable dans "l'eau de narcisse bleu" et "terre d'hermès" (l'un pour les fleurs, l'autre pour le patchouli, mais je commence à soupçonner le patchouli d'être partout).

    Pour revenir au chypre et à pamplelune, cet accord pamplemousse patchouli permet un effet cyclique. Comme un "coda" en musique, un guide pour le nez pour reprendre le parfum du début, répéter un refrain. Je pense que c'est ça l'effet que faisait la bergamote brute dans le chypre, claire incisive et pétillante.
    "31 rue Cambon" mise à fond sur l'huile essentielle de mandarine, très bon substitut. A elle seule, elle est étonnament une bergamotte new age et un musk merveilleux. Mais elle ne crée pas cet effet cyclique.

    (Dans l'heure bleue et après l'ondée, c'est la violette le guide. Il y une facette boisé dans les notes de fonds qui fait dérailler le nez comme un disque rayé vers la violette l'iris l'eugenol et le neroli du début)

    Je n'ai pas senti l'extrait, est-ce qu'il tire vraiment plus vers le geranium, la prune-pêche-madère (et le cèdre)? Ton allusion à Venise et "Féminité du bois" me fait songer à un cabinet de curiosité : odeur épicé d'apothicaire, et odeur de fruits qui macèrent.
    La facette "rose" est-elle celle du geranium, où y a-t-il une "rose confituré" rose de Damas?

    (Est-ce qu'il vaut un blind buy? Est-ce qu'il plaira à ma mère? blablabla blablabla j'arrête ^_^! )

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    1. Ah, c'est marrant, je n'aurais jamais vu d'effet musqué dans le départ hespéridé de 31 rue Cambon... qui partage un patchouli en effet fractionné avec Coco Mademoiselle. Ni, je l'avoue, de lien entre Pamplelune et Coco Noir! Mais pourquoi pas?
      Ce que tu appelles l'effet cyclique, c'est ce qui donne une verticalité au parfum en agissant en tête-coeur-fond?
      L'extrait a en tous cas de la vraie rose et pas seulement du géranium. S'il vaut un blind-buy, je n'en sais rien, c'est toujours risqué, à moins que ta mère n'adore déjà Coco Noir!

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  2. L'huile essentielle de mandarine a tout d'un musc blanc naturel dès que les notes de tête sont passées. Je m'en suis rendu compte en sentant les HE des ateliers L'artisan parfumeur. Ils en ont en référence à "Mûre et musc". Et ce n'est qu'après que j'ai compris ce que "31 rue Cambon" devait à cette qualité de mandarine. Jusqu'alors j'y voyais un recréation proche de "Diorella".
    (Il y avait aussi de l'HE de tubéreuse, qui fidèle à elle-même, pue 15mn avant d'être sublime. Et du géranium rosat. Etc.)

    Oui : d'abord la verticalité tête-coeur-fond de cet accord pour la structure, puis un effet "bonus" de cet accord à raviver certaines notes de tête alors qu'on s'approche du drydown.
    Mais je théorise. "Coco noir" est un parfum un peu fouillis -pas que abstrait-. Alors j'essaie de comprendre ses ressorts, comme on chercherait les murs porteurs parmi les colonnes en stucs et les ornementations purement décoratives du palais vénitien.

    Bizarrement la touche de "Coco noir" plait à ma colloc argentine parmi la vingtaine de mouillette. Elle aime aussi Bois des îles et Chaldée. Qui des deux camps sont les bêtes curieuses? Les acheteurs usuels de parfums modérés et doux, ou les perfumistas que rien effraie, et qui voient un départ incisif comme un indice d'une évolution future du parfum. *

    Je place des espoirs sur l'extrait (que je vais essayer d'acheter d'occasion). Le goût de ma mère est un de mes indicateurs. Quand un parfum lui plaît je lui offre ou elle me le rachète. Le dernier fut "Une voix noire" (et avant "Séville à l'aube") (et avant une EDT Mitsouko des années 90). C'est assez rare, parce que je renouvelle ses flacons de Femme de Rochas et de L'heure bleue vintage autant que je peux. (mais pour l'heure bleue ça devient vraiment compliqué) .

    * J'ai trouvé un Gold femme et homme d'Amouage 1ère génération. J'avais jamais senti des notes animales en note de tête durer si longtemps -musc tonkin!-, et les fleurs venir ensuite.

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    1. Ta mère est indéniablement une femme de goût! (comme on dit au Québec: "Les chiens ne font pas des chats", version rustique de "bon sang ne saurait mentir"). Je re-sentirai l'HE de mandarine dans cette perspective la prochaine fois que je l'aurai sous le nez. Quant aux bêtes curieuses... le mot essentiel, là-dedans, quels que soient les goûts, est la curiosité qui permet de les faire évoluer ou de les affiner!

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