C’est pour sa glycine que j’ai loué mon premier
studio à Paris, un truc à mezzanine dont l’escalier escarpé a failli me faire
la peau par quelques lendemains de fête. Le jour où j’ai visité l’endroit, des
grappes mauves dégoulinaient de la fenêtre en arche…
La glycine, donc. Et puis le fait qu’Hemingway ait
écrit Le Soleil se lève aussi dans
l’hôtel voisin. Que Valéry Larbaud ait traduit l’Ulysse de James Joyce dans l’immeuble même. C’est là que j’ai
décidé que je ne serais jamais prof de fac, dès que j’ai publié mon premier
article dans un magazine français. Là que j’ai savouré mon premier « petit
déjeuner parisien » -- « achète les croissants, j’apporte le
champagne » -- avec un étudiant rencontré dans le bus. Il m’a laissé un
exemplaire du Pedro Paramo de Juan
Rufo en partant. Je me suis vaguement demandé pourquoi il n’avait jamais
rappelé. Lorsque j’ai fini par lire le roman, j’ai découvert son numéro sur la
dernière page… Mais quand on a à peine plus de vingt ans, il y a carambolage de
garçons sur le paillasson, et je n’ai jamais rappelé celui-là. Dans l’hystérie
des glycines, c’était le printemps toute l’année.
Depuis, j’ai souvent harcelé les parfumeurs pour
qu’ils créent une glycine. En vain : comme bien des fleurs dites
« muettes », celle-là n’est apparemment qu’un salmigondis de fleurs
lorsqu’on la sent en flacon. Je pense même avoir songé au nom « Wisteria
Hysteria » -- rime richissime capable d’évoquer l’effarant
« enlacement ophidien » de ses vrilles, « sa puissance meurtrière,
qui sert une convaincante beauté », écrit Colette dans Pour un herbier… Amour printanier mais
baiser de la mort.
Pour sa deuxième collaboration avec Stephen Jones,
chapelier fou de la perfide Albion, Comme des Garçons s’est attaqué à cette
fleur fatale en l’emprisonnant dans une gangue de givre. C’est contre un mur en
acier brossé, inoxydable et impossible à tordre, qu’elle grimpe aux rideaux.
Nathalie Feisthauer, sous la direction de
Christian Astuguevieille, a soumis la glycine au même traitement que le lilas
« fleur de scotch » de l’eau de parfum ou la
violette-sur-une-météorite du premier Stephen Jones X CdG. Reproduire l’odeur
de la fleur telle quelle ? Pensez-vous, ce serait d’un gauche… Non, cette
glycine-là est une mutante, une vampiresse qui a sucé le sang de la créature
blafarde, issue de Cracovie via Kyoto, qui incarne le parfum dans la vidéo
d’Henry Pincus.
Cet effet minéral, métallique, presque sanguin,
c’est la conflagration du poivre, de l’encens et de l’indole qui la produit. En
filant sur sa météorite, la violette du premier Stephen Jones a lâché quelques
pétales. En souffle de fond, une bouffée de bois-qui-pique fait frémir les
grappes glacées.
Si cette wisteria
souffre d’hysteria, son symptôme se
manifeste plutôt sous la forme de ce que la psychiatrie, époque Charcot,
appelait « l’état crépusculaire »[1],
proche du somnambulisme ou de l’hypnose. Aussi chic et vaguement effrayant
qu’un bibi de Stephen Jones, en somme.
[1] « Altération transitoire de la vigilance, avec
sentiment de déréalisation et irruption de l'imaginaire mais maintien relatif
des repères temporospatiaux, voire d'une activité relativement coordonnée, bien
que souvent automatique », précise Psychologies.com
Vous racontez bien les histoires, Denyse :)
RépondreSupprimerLa glycine c'est un peu comme la violette ou l'iris, y en a qui sentent, d'autres qui ne sentent pas, tout dépend de la variété. J'ai dans un coin de ma tête une glycine blanche, aux effluves indolées-jasmin, traversés d'un souffle de lilas vanillé. Une sorte de mélange quoi, type bouquet floral. Il me paraît donc assez évident que c'est typiquement une fleur à "interpréter", pour lui donner une direction. J'essaierai ce nouveau CDG à l'occasion. Pour voir. Enfin sentir.
Je pense aussi que c'est typiquement le genre de fleur qui, en flacon, doit être nommée pour qu'on se dise "bon sang, mais c'est bien sûr"!
Supprimer"La haie fleurie du hameau" de l'Artisan parfumeur -production arrêtée- ventait une facette glycine.
RépondreSupprimerJe me demande ce que tu en as pensé.
J'avais écarté ce parfum à cause de l'intensité criarde de ses notes de tête, avant de me rendre compte que son sillage, quand ma mère le porte, est un pur jasmin indien.
Je suis d'accord sur cet impression de froufrou floral qui rejoint le lilas à la glycine.
Je songe aux Patou classiques, "Vacances" pour son lilas, et "Chaldée" pour l'envolée florale des débuts.
Des notes florales très chères dissipées avec prodigualité dès les premières secondes d'évaporation.
Clou de girofle et anis ont subis les restrictions européennes. Pourtant il y a une note moderne "oeillet poivrée" qui rebondit de "le temps d'une fête" (Nicolaï) à "vitriol d'oeillet" et que j'aime beaucoup.
"Insolence" EDP (Guerlain) utilise une violette anisée d'une intensité radioactive.
Il y a aussi des notes piments et poivre que j'aime beaucoup dans "vitriol d'oeillet" "épices marine" (hermès) et l'extrait de "Epic" chez Amouage.
Bref il y a une modernité enthousiasmante qui permets -j'ai la foi :D- d'étirer les accords floraux vers la glycine.
Il vous faudra aller mettre le nez dans l'Oeillet Bengale d'Aedes de Venustas, un régal d'épices florales...
SupprimerJ'en prends note :)
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