lundi 3 février 2014

La Panthère de Mathilde Laurent pour Cartier: chimère de fleur et de fauve

 Notre fascination pour les fauves remonte peut-être à l’époque où ils se terraient au fond des cavernes où nos lointains ancêtres se réfugiaient, écrivait jadis Bruce Chatwin dans Le Chant des pistes… Aujourd’hui, c’est dans un buisson de gardénias que la panthère se tapit. Et comme Mathilde Laurent a le cœur bien accroché, elle est allée la dompter.

Le thème de la panthère, déjà exploité dans un parfum de 1986, s’imposait d’évidence : c’est l’emblème de Cartier, souvent décliné en bijou. Mais aussi le surnom de Jeanne Toussaint, muse et maîtresse de Louis Cartier, une ancienne cocotte qui réinventait la joaillerie dans les Années Folles, comme son amie Coco Chanel bouleversait les vestiaires. 



 « Seule bête, selon le philosophe Théophraste, à ne pas être malodorante, la panthère utilise le parfum suave qu'elle exhale pour attirer ses proies. Ce souffle exquis est un piège d'une séduction mortelle. De là à assimiler ce piège animal parfumé à ceux que tendent les femmes aux hommes, il n'y a qu'un pas, franchi par Aristophane qui les appelle les courtisanes des "panthères"», écrivais-je en 2008 dans mon troisième billet, dédié à Muscs Koublaï Khan.

 Même légende, même déduction : Mathilde Laurent a manié assez de vrai musc Tonkin chez Guerlain pour savoir que c’est la seule note animale à ne pas sentir la cage aux fauves. Elle s’est donc employée à l’évoquer autour du musc cétone, qui serait la molécule la plus proche de cette matière-fantôme de la parfumerie…

Quant au gardénia, quintessence des fleurs film noir, toujours déjà à la limite de la corruption, elle l’a choisi parce qu’elle ne voulait pas d’un oriental opulent, trop premier degré pour un parfum de panthère. Mais aussi parce qu’elle ne voulait pas d’une fleur trop cliché (elle avait suivi le même raisonnement pour le lys de Baiser Volé). Or en effet, si le gardénia fleurit dans la parfumerie de niche (Boutonnière d’Arquiste, Une Voix Noire de Serge Lutens, Gardez-moi de Jovoy) et s’insinue dans quelques créations mainstream (c’est le cœur de Jour d’Hermès), il reste beaucoup plus rare que les éternels duettistes des féminins, la rose et le jasmin.

Enfin, comme tous les parfumeurs sans exception, Mathilde voue un culte à Mitsouko et Femme : elle voulait donc s’attaquer au genre du chypre fruité. L’acétate de styrallyle, molécule utilisée depuis Ma Griffe pour évoquer le gardénia – autre chypre à thème félin, ne serait-ce que par son nom – ferait office de tête fruitée avec ses facettes rhubarbe, pomme, abricot et fraise…

Et ça marche. Mitsouko nous frôle, même si c’est plutôt à la façon de La Féline de Jacques Tourneur qu’à celle du remake Eighties de Paul Schrader : on ne voit pas le fauve en face, on l’hallucine du coin de l’œil. La mousse de chêne et le musc cétone susmentionné – utilisé en parfumerie depuis une éternité – ajoutent à cette ambiance hantée par les classiques…



Dans La Panthère, la structure verticale du chypre s’habille d’un flouté (ou plutôt, dans ce cas, d’une fourrure) à la texture plus contemporaine. C’est le gardénia qui fournit l’axe tête-cœur-fond, autour duquel s’enroule le musc-panthère. La note florale est réaliste – elle se fonde sur le headspace de la fleur, et reproduit toutes ses facettes, depuis son vert rhubarbe fusant jusqu’à ses relents de mousseron. Mais elle ne se perçoit qu’à travers la nimbe de musc : ceci n’est pas un soliflore, mais une chimère de fleur et de fauve qui se roule dans un tapis de mousse.

La Panthère déploie un sillage au soyeux de pétale et de pelage. Assez racé pour plaire aux connaisseurs, mais pas au point d’effarer les civils, ouf ! Une rareté dans le mainstream… De quoi faire ses griffes sur le canapé et pétrir les coussins en ronronnant comme une Harley.

La Panthère sera disponible le 15 mars. On n’annonce pas encore de flanker Panthère Rose (un diamant, rappelons-le, dans le film de Blake Edwards).



Illustrations: Arlette Gruss, portrait de Jeanne Toussaint par Paul César Helleu (grand-père du regretté Jacques, directeur artistique Chanel Beauté), Simone Simon dans La Féline de Jacques Tourneur et flacon La Panthère.

6 commentaires:

  1. Denyse, comme toujours merci pour ce rapport !

    J'ai hâte de sentir cela mais.. mais.. je vois l'image du flacon, et j'ai l'impression de n'avoir pas vu de flacon aussi beau depuis longtemps ! L'as tu vu en vrai ? ça a l'air extrêmement chic et moderne !

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  2. Oui, je l'ai vu en vrai. Il est beaucoup plus beau que sur la photo parce que les facettes de la panthère sont sculptées en volume à l'intérieur du flacon et prennent la lumière.

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  3. Je viens de découvrir cette belle Panthère. C'est le premier nouveau parfum que je sens après le décès de mon mari... Ma première impression: ah, c'est bon! J'y sens une inspiration années 80 avec une évocation des grands chypres orientaux comme Magie Noire ou Diva; même volume, même intensité dramatique. C'est ça que j'aime. Plus tard le côté vert du gardénia se dessine avec un accord rose et le côté ronronnant du musc cétone. C'est simple, j'en veux un flacon. C'est rare quand un coup de foudre mainstream m'arrive. Et puis, j'avais déjà parlé du parfum à Pascal et lui avais montré son beau flacon.

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    1. Rebecca, je suis profondément désolée d'apprendre cette triste nouvelle... Difficile de renouer le fil d'une conversation parfum après cela, mais puisque tu le fais toi-même: oui, en effet, pour moi aussi La Panthère a quelque chose d'un peu rétro 80s, pas forcément dans la structure qui est très contemporaine, mais dans la tonalité, le côté affirmé. Et puis le trop rare musc cétone. D'accord aussi pour le coup de foudre mainstream!

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  4. Je suis triste. Ce parfum ne plait pas, il déplaît énormément même. Pourtant je l'adore, je le trouve moderne, actuel avec de la trempe, mais non, on est dans un monde où tout parfum qui ne cible pas une gamine de seize ans passe automatiquement pour un parfum de vieille.. sad but true!

    Emma

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    1. Disons qu'il est clivant... Et, ah la la, ne me parles pas de ces "parfums de vieille", je n'arrête pas d'engueuler mes étudiants pour leur dire d'arrêter d'employer ce terme ! Un, parce que tout ce que je leur souhaite, c'est d'être vieux un jour (preuve qu'ils seront encore en vie). Deux, parce qu'ils réagissent comme un panel de consommateurs, et que je leur fais un cours d'histoire... Ils sont accros aux sucrailleries, sad but true comme tu dis !

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