La première fois
que j’ai vu Quentin Bisch, c’était il y a un peu plus d’un an à une table ronde
de l’Institut Français de la Mode, autour du professeur André Holley,
spécialiste de l’olfaction. Quentin devait donner le point de vue du parfumeur.
Prestation assez spectaculaire, ce qui n’a rien d’étonnant puisque ce diplômé
des arts du spectacle a étudié la danse, le piano et le chant ; il est
également auteur-compositeur et a même dirigé sa propre compagnie théâtrale
pendant trois ans.
Tout ça, parce
qu’il n’était pas assez calé en sciences pour décrocher un diplôme de chimie
lui ouvrant les portes de l’ISIPCA… Parce que la vocation de Quentin, c’était
parfumeur. La faute à l’une de ses profs qui sentait divinement bon. Il avait onze ans. Il lui a demandé le nom
de son parfum. Elle l’a engueulé. Pas découragé, le petit Quentin relève le
défi, fonce chez Sephora humer tout le rayon parfum et revient avec un nom :
Opium. Touché. Entre la prof et le
collégien s’engage un jeu de « devine ce que je porte aujourd’hui »…
Arts du
spectacle, donc – performance plutôt que parfum. Mais Quentin, toujours aussi
têtu, assiège l’industrie jusqu’à ce qu’il soit enfin accepté par la
prestigieuse école Givaudan… Depuis, il a composé plusieurs senteurs pour
accompagner des spectacles musicaux. Mais La
Fin du monde est sa première signature fine
fragrance en solo. Évidemment, pour État Libre d’Orange, le casting est
parfait : le brief – disons plutôt le livret, comme en opéra – a dû
beaucoup l’amuser.
La
Fin du monde filmée par l’ange N.D. (pour « Notre-Dame »)
est issue d’un moignon. Celui de Blaise Cendrars, qui a perdu son bras droit
durant la Grande Guerre. Ce texte est le premier qu’il écrit de la main gauche –
en tous cas, c’est ce qu’il raconte, mais Cendrars a toujours été, dit-on, un
affabulateur hors pair. Le récit surréaliste de l’apocalypse vue par Cendrars n’est
pas simple à résumer – je ne m’y attaquerai donc pas. Pour en savoir plus, cliquez ici.
Comme la série
des Scream de Wes Craven, La Fin du Monde est « méta » :
ironie, distanciation, mise en abyme. Ce n’est pas l’apocalypse, c’est un film
catastrophe qu’on regarde, calé dans son canapé. Le site d’ELO fournit d’ailleurs
quelques exemples de ce genre cinématographique sur son site – la marque s’est
toujours distinguée par un dispositif référentiel bourré à bloc pour porter ses
lancements.
Le parfum
lui-même se déploie sur deux vitesses. D’abord, le Big Bang : une machine
à popcorn muée arme de destruction massive, geyser aromatisé de ce liquide au
beurre dont on arrose le popcorn dans les cinémas américains (les Français, qui
le mangent sucré, auront du mal à reconnaître la note). Puis, l’entropie :
le parfum est aspiré par un trou noir réglisse aux accents cramés-caramélisés.
À ce stade, l’apocalypse sent le cuir cuit dans le beurre.
Lorsque l’odeur
beurrée se dissipe, des effets agrestes prennent le relais – une note vert
céleri, épicée-curry, presque âcre qui rappelle l’angélique, même si l’ingrédient
n’est pas revendiqué (ce qui aurait sans doute été le cas, puisque la fin du
monde de Cendrars est filmée par un ange). Certains ont comparé le parfum à Dior Homme : franchement, je ne
vois pas. Iris et notes aromatiques, d’accord, mais ça ne suffit pas à les
rendre semblables. Peut-être s’agit-il d’une habituation de mon nez aux notes
irisées, mais pour moi, ça n’est pas forcément le cœur du propos.
Le parfum reste
assez dense, presque collant, jusqu’aux notes de fond : sans parvenir aux
accords hard rock du Rien d’Antoine
Lie (autre parfum ELO inspiré par l’anéantissement), l’effet est assez culotté,
un peu brouillon, fougueux. Bref, punk.
Image tirée
de La
Fin du Monde filmée par l’Ange N.D.,
illustrée par Fernand Léger (1919),
sourcée sur le site de la Bibliothèque Nationale des Pays-Bas
J'ai rincé des flacons, l'autre jour ; y avait du diacétyl (note beurre), de l'eyhyl maltol avec du C16 fraise, un vieux reste de pierre d'Afrique enrobé d'éthylène brassylate, du cyprès bleu et de l'eugénol méthyl ether. Au dessus de l'évier c'était assez punk comme odeur. Je me suis dit : tiens, un parfum pour ELO ;-)
RépondreSupprimerBien le bonsoir chère Denise. Ravi de vous (re)lire. Un peu absent du net ces derniers temps, bcp de travail. On peut pas être partout :)
J'ai moi-même été un peu hors-circuit, pour les mêmes raisons. Mais les flacons se pressant autour de mon ordinateur se faisaient de plus en plus accusateurs...
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