lundi 1 octobre 2012

Mito de Vero Profumo : Ça défouraille dans les fourrés



Contrairement à certains parfumeurs indie (souvent autodidactes, et n'ayant pas été formés dans les grandes maisons), Vero Kern ne pratique pas l’art naïf : son travail profondément cultivé, imprégné de l’histoire du parfum, arrache des lambeaux aux classiques pour les ré-assembler à larges traits chargés d’une matière dense, charnue, charnelle. C’est ce qui, avec une mémoire qui semble se prolonger jusqu’à bien avant sa naissance, donne aux parfums de Vero une qualité non tant rétro qu’archaïque. 

Mito relève d’une famille olfactive plus aisément identifiable que Kiki, fougère dévoyée par la gourmandise, ou Onda, chypre cuiré retourné à l’état sauvage. Sentez-le, et vous songerez à Cristalle ou Chamade avec leurs accords hespéridés-verts sur cœur jasmin-jacinthe. Plongez le nez plus avant, et vous dénicherez la chair fruitée un peu blette d’un Mitsouko ou de Femme.

Mais si Vero Kern, jadis conseillée par le grand Guy Robert, n’ignore pas la sens exquis de la mesure des parfumeurs français de l’ère classique, tient plus de la louve que de l’élève. Sa sagesse, comme son rire, sont paniques. Viscéralement incapable de faire sa chochotte, Vero. Précisément parce qu’elle en sait assez long sur ce qui se fait, mais qu’elle n’a pas été modelée-dressée à faire sa première de classe par les lois du marché. Donc, ça défouraille.

S'il se situe dans un registre similaire d'hommage aux chypres verts floraux des Seventies que le ravissant Private Collection Jasmine White Moss d'Estée Lauder ou le vaporeux Tiaré d'Ormonde Jayne, Mito est plus charnu que le premier et plus haut en couleurs que le second.  Son accord magnolia tendre et printanier, elle le charge de citrus râpeux, l’englue de sève, le roule dans les pétales turgescents : un jardin de la Renaissance italienne à l’orée de l’état sauvage, plutôt qu’un fantasme d’Eden. Vero flaire la nature délinquante dans ce qu’elle a de plus cultivé – l’art du jardin, celui du parfum – et la tire de derrière les buissons comme une nymphe échevelée en pleine galipette avec un satyre.

Surdimensionné, culotté, expressif et joyeux, Mito est également un parfum éminemment aimable, qui m’a valu des compliments spontanés, ce qui atteste de son volume et de son sillage. Plus facilement appropriable sans doute que les trois premiers Vero Profumo, sans forcément faire de concessions. En plus, tout bêtement, il me fait sourire.

Illustration: Bartolomeo di Giovanni, Nymphes et satyres (détail)

9 commentaires:

  1. celui là, je l'aime déjà sans l'avoir jamais testé ! Et je suis pourtant certaine de ne pas me tromper. Déjà pour Onda, imaginé et rêvé par blogs interposés (le votre en première place), j'avais touché juste. A l'éphémère salon des parfums qui a eu lieu à Paris il y a 3 ou 4 ans, je m'étais plantée devant Mme Vero Kern en lui assénant que je venais exclusivement pour elle et Onda pas encore senti. Je n'ai pas été déçue... Par ce Mito aussi, pas de doute, je serai emballée !

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  2. Venaziana, en effet Vero Kern et ses parfums valent le déplacement à Paris, et je me rappelle très bien de ce salon! Elle a dû être ravie de ce que vous lui avez dit. J'adore Mito, je crois que vous ne serez pas déçue.

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  3. Rien que pour vos envolées sur les "pétales turgescents" et les "nymphes échevelées", ça vaudrait déjà le détour! Bon, ça tombe bien, j'avais déjà décidé de me procurer un échantillon, j'y suis d'autant plus résolue maintenant que je vois que c'est un classique vigoureusement troussé. Allez zou.

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  4. Jack, si je vous ai poussée un peu avant dans les bosquets de la Villa d'Este, tant mieux! Y'a pire...

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  5. Oh!Oh!Oh! Ca commence fort : sur les quatre classiques cités en référence, 3 font partie de mon Panthéon personnel : Mitsouko, Chamade et Femme... Ca ma ouvert les narines tout ça. Reste plus qu'à trouver le lieu où on peut sentir cette petite merveille ? (voir ces petites merveilles car j'ai cru comprendre que les prédécesseurs ne sont pas mal non plus ?)

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  6. Ambre Rouge, comme vous l'avez sûrement remarqué, je ne donne pas souvent le nom de détaillants. Veroprofumo a son propre site où l'on peut commander des échantillons. À Paris on trouve ces parfums chez Jovoy et Marie-Antoinette.

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  7. Bonsoir Denise!
    Votre plume me ravit! Et au ravissement s'ajoute l'envie de sentir les créations de Vero Kern. J'aime bien les jus charnus, palpables, qui ont du corps, sans non plus vous écraser de leur densité.
    C'est drôle, la tendre folie qui semble s'exhaler de Mito m'a fait immédiatement penser à l'actrice Rossy de Palma!
    Saxo

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  8. Saxo, même si Vero est suisse et que sa marque est italienne, en vieille almodovarienne, je dis pourquoi pas Rossy? Même si elle a déjà son parfum, la gueuse... et que d'après les auteurs dudit parfum, elle a mis le nez dedans.
    Les créations de Vero mérite par ailleurs elles aussi, et plus que largement, qu'on y mette le nez. C'est unique, culotté, émouvant.

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  9. Sûr que Rossy de Palma a le caractère qu'il faut pour ce gere de parfum. Mais Vero Kern n'a pas vraiment besoin de muse, elle incarne parfaitement à elle toute seule ses créations !
    Ca y est, j'ai un petit échantillon de Mito glané chez Jovoy (ils ne le vendent pas encore). J'avoue avoir été surprise au premier test par cette profusion de citron. J'imaginais un vert plus vert que jaune, et surtout plus sombre, en référence aux chyprés années 70 dont il est souvent question à propos de Mito.
    Et puis j'ai été bluffée par sa diffusion et sa persistance : Mito reste dans la note incisive des hespéridés tout en prenant de l'ampleur et de la complexité à chaque nouveau test (en fait, ce n'est pas le parfum qui se complexifie, mais mon nez qui perçoit mieux à chaque fois, bien sûr !).
    Hier, l'échantillon sur mon bureau diffusait légèrement ses notes, et sans y penser, ni même le voir, j'avais dans la tête le 19 en extrait. Quand j'ai compris que c'était Mito qui me l'évoquait, c'est devenu évident. Il y a bien une filiation avec le seul parfum au monde à qui je sois fidèle : même vivacité alliée à une certaine rondeur, même complexité, même élégance.
    Et je suis bien d'accord, c'est un parfum qui met de bonne humeur !

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