More to Read - Encore des lectures

mardi 28 février 2012

Hedi Slimane back at Yves Saint Laurent? And what's up with M7?



Wires are crackling all over the fashion world with the officious announcement by the AFP agency (which says its sources are unimpincheable) of Hedi Slimane’s appointment as the creative director of Yves Saint Laurent in replacement of Stefano Pilati. Before his epoch-making stint as the artistic director of Dior menswear, Slimane had been hand-picked by Yves Saint Laurent and Pierre Bergé to design the menswear of YSL. He left when Tom Ford stepped in.

The whippet-thin creator of the slim suit, who has been working as a photographer during his hiatus from fashion, will be fondly remembered by perfume lovers as the man behind Olivier Polge’s Dior Homme. The iris note was selected by Polge as a response to Slimane's claim he loved "old-school" scents; its chocolate facet was drawn from scientific observation of the common points between orris butter and cocoa.

Dior Homme translated the olfactory essence of the eponymous menswear line: classic yet edgy, gender-bending in that Slimane's suits, though perfectly masculine, could be worn by women too.
Critically hailed but not received as enthusiastically by the public, the scent started being tweaked almost from the outset, even before its formula and production were "repatriated" by LVMH, which never felt comfortable with its androgynous essence. Slimane also art-directed the "neo-cologne" trio Eau Noire, Cologne Blanche (both by Francis Kurkdjian) and Bois d’argent (Annick Menardo).

Slimane's successful transformation of the humdrum Dior menswear line into a rock-chic label meant he could be indulged when he turned his attention to fragrance.Should he become Yves Saint Laurent's successor after Alber Elbaz, Tom Ford and Stefano Pilati, it is doubtful he will be given such a free hand with the house's scents, since the Yves Saint Laurent Beauté license was bought by L’Oréal in 2008.

Still, with less-than-groundbreaking launches like Saharienne, Belle d’Opium or the Parisienne series, one can hope Slimane’s arrival might inject the jolt of olfactory originality that characterized Tom Ford’s tenure (Nu and M7 were launched during that period).

Speaking of which… M7 Oud Absolu must be on its way to blockbuster status, judging from the hundreds of daily hits I’m getting for it – it is consistently among the top three search keywords in my stats. What’s up with that? Have your nostrils been submerged by wafts of M7 lately? Enquiring minds want to know.

Yves Saint Laurent: retour d'Hedi Slimane côté femme (et le mystère M7)



Depuis que l'AFP a officieusement -- mais selon des sources que l'agence affirme dignes de foi -- annoncé qu'Hedi Slimane remplacerait Stefano Pilati chez Yves Saint Laurent, les lignes de la fashion crépitent. Cela représenterait en quelque sorte un retour au bercail pour le créateur, sélectionné par Pierre Bergé et Yves Saint Laurent pour assurer la direction artistique de leur ligne masculine, passé chez Dior lors de l'arrivée de Tom Ford avenue Marceau lors de la prise de contrôle d'YSL par le groupe PPR.

Les aficionados du parfum se rappelleront avec tendresse que c'est sous la direction artistique de Slimane qu'a été créé le Dior Homme d'Olivier Polge, fondé sur les goûts olfactifs "old school" du créateur, d'où la note iris qui avait également l'intérêt d'exprimer l'androgynie rock de ses slim suits, avec une facette chocolat, issue d'observations scientifiques du beurre d'iris, qui présente des molécules communes avec le cacao.

À la fois classique et contemporain, masculin mais à la limite du féminin, Dior Homme traduisait en odeur l'esprit injecté par Slimane à Dior Homme. Un succès critique mais pas commercial, dont les reformulations auraient commencé très en amont du « rapatriement » de la formulechez LVMH, qui s'est attaché à écarter la notion d'androgynie originelle de la fragrance.
Hedi Slimane a également suscité un trio de "néo-colognes", Eau Noire, Cologne Blanche (toutes deux de Francis Kurkdjian) et Bois d’Argent (d’Annick Menardo).

Manifestement, vu le succès rencontré par Slimane chez Dior -- dont la ligne masculine était jusque-là très anecdotique --, le créateur s'était vu accorder une grande liberté dès le moment où il s'était intéressé aux parfums masculins (il est arrivé chez Dior en 2000, Dior Homme a été lancé en 2005).

Comme depuis L’Oréal a racheté à PPR la licence Yves Saint Laurent Beauté, il est peu probable qu’Hedi Slimane jouisse de la même marge de manœuvre chez YSL que chez Dior s'il succède bien à Alber Elbaz, Tom Ford et Stefano Pilati dans la maison de l'avenue Marceau. Néanmoins, on pourrait espérer que son arrivée injecte un peu plus d’audace olfactive à une maison dont les lancements ces derniers temps – de Belle d’Opium à Saharienne en passant par les Parisiennes – se sont moins distingués sur ce plan que ceux de l’ère Tom Ford qui, rappelons-le, est à l'origine de Nu et de M7, créations audacieuses.

À propos : M7 Oud Absolu prend des allures de blockbuster, du moins à en juger par les centaines de visites quotidiennes qui atterrissent sur mon post à son sujet – le parfum arrive systématiquement dans les trois mots-clés de recherche. Que se passe-t-il ? Vos narines sont-elles submergées d’effluves de M7 ces derniers temps ? Aidez-moi à éclaircir ce mystère…

dimanche 26 février 2012

A drop of perfume around your neck: Duncan Stevens’s Parfumare


This 54mm amphora is a tech-era priestess’s jewel: it holds 1 ml of the scent of your choice, which you can either dab on skin from the tiny aperture at the top, or let evaporate as the metal is heated by your skin (no risk of spillage because of the weight at the base of the pendant).

The young South African jeweler-artist Duncan Stevens thus revives a multi-secular tradition of perfume-bearing adornments – not only fans and gloves, but also pomanders and, further back, pieces of jewelry holding solid or liquid fragrances, such as the one worn by Salammbô in Flaubert’s eponymous novel:

“She had as earrings two little sapphire scales, each supporting a hollow pearl filled with liquid scent. A little drop would fall every moment through the holes in the pearl and moisten her naked shoulder.”

Perfume-bearing jewels are nothing new: many brands, most recently Thierry Mugler and Jean-Paul Gaultier, have offered them as promotional gifts or sold limited editions. And a quick Google search will yield several ceramic jewels that can sprayed with fragrance.

But Duncan Stevens’s streamlined, modern-archaic design makes his Parfumare a particularly elegant, covetable piece. And unless you spring for the gold and diamond limited edition, the price point means you won’t have to mortgage a kidney.


Gold and diamonds limited edition version : €460.00, $575.00 & £418.00  (18k Gild & Sterling silver pendant with 9 diamonds on chain)
Black Rhodium/silver version and diamonds limited edition version is  €325.00, $406.00 & £295.00
Sterling silver version on black silk is €61.00, $77.00 & £56.00 (depicted above)
Black Rhodium version on red silk is €62.00, $78.00 & £57.00 (see French version below)

For more information:  www.duncanstevens.com 


Pour porter son parfum en sautoir : Parfumare de Duncan Stevens


Cette amphore de 54 mm est un bijou pour prêtresse de l’ère techno : elle peut recevoir 1 ml de votre parfum préféré, que vous pouvez réappliquer dans la journée (il y a une petite ouverture au sommet de l’amphore) ou laisser évaporer quand la chaleur de votre peau réchauffe le métal... Aucun risque de fuite, puisque le poids du sautoir est dans sa base.

Le jeune joaillier-artiste Sud Africain Duncan Stevens renoue ainsi avec la tradition multiséculaire des parures à parfumer – non seulement les gants, les éventails ou les mouchoirs, mais aussi les pomanders et, si l’on remonte plus loin, les bijoux antiques portant des fragrances solides ou liquides, comme ces boucles d’oreilles imaginées par Flaubert pour Salammbô :

« Elle avait pour pendants d'oreilles deux petites balances de saphir supportant une perle creuse, pleine d'un parfum liquide. Par les trous de la perle, de moment en moment, une gouttelette qui tombait mouillait son épaule nue. »

Les bijoux à parfum ne sont pas rares : Thierry Mugler et Jean-Paul Gaultier en ont créé en guide de cadeaux promotionnels ou d’éditions limitées. Et l’on trouve assez facilement des bijoux en céramiques à imprégner de parfum.

Mais les lignes épurées, modernes-archaïques des créations de Duncan Stevens en font des pièces bien plus désirables, d’autant que leur prix, si l’on n’achète pas l’édition limitée en or incrustée de diamants, n’oblige pas à hypothéquer un rein…

Or et diamants : €460.00 (édition limitée)
Rhodium noir ou argent et diamants : €325.00 (édition limitée)
Argent sterling sur cordonnet en soie noire : €61.00 (voir version anglaise)
Rhodium noir sur cordonnet en soie rouge : €62.00 (ci-dessus)

Pour en savoir plus : www.duncanstevens.com 



samedi 25 février 2012

IFRA gets a sense of Europe


Pinning half the woes of contemporary perfumery on IFRA has become a quasi-pavlovian reflex for perfume lovers. But it’s worth recalling, because there’s still a lot of confusion around the matter, that our favorite bogeyman’s standards are not legally binding.  One of the reasons for these standards is that the industry decided to self-regulate preventively to avoid having even stricter standards imposed by legislators.

The fact is, the pace of restrictions accelerated after the EU lavishly funded research on the "dangers" of cosmetics ingredients in 2003. Throw millions at a group of scientists and oddly, they'll tend to come up with a lot of findings. A chill ran through the industry. The precautionary principle was applied. We could point out that the industry carried out its policy too zealously. That it would have better inspired to defend the integrity of its products and raw materials as soon as they started being threatened.

Well, now it seems that IFRA is, at last, attempting to reverse the trend with a positive imaging campaign directed at EU organisations and legislators. Since a significant part of the fragrance industry is in Europe, the laws voted by Brussels affect its production worldwide. But European MPs don’t necessarily know more about perfume than their constituents.  This is why IFRA now organizes visits to the labs so that lawmakers can get a better picture of the perfume-making process, and of the jobs and wealth the industry generates. In early February, it also presented the “A Sense of Europe” exhibition in the European Parliament in Brussels.

Throughout the exhibition, installations retracing the history of the European Union were illustrated by landmark fragrances such as Eau Sauvage or the scent of the Ariel washing powder for the “You never had it so good” decade, and by olfactory sculptures created by Christophe Laudamiel: the smell of the Italian palazzo where the Treaty of Rome was signed; “Oranges and Bananas” to celebrate the fall of the Berlin wall (Ossies famously feasted on the fruit when they crossed over to the West); “Sweaty Smoky Nightclub” for the creative boom of the 90s and, ironically, “The Smell of Money” to illustrate the recent woes of the Eurozone…And finally, “Community”, whose entire formula was disclosed to visitors along with Laudamiel’s short descriptions of each ingredient. This unprecedented move aimed to make MPs realize how complex a fragrance composition is (a common misconception is that the allergens listed on boxes are the actual formula), but also to convince them that disclosing perfume formulas would not help consumers determine whether a product presents potential risks, at a time when some groups are pushing for full transparency.

 “Trial and error is the only way to advance and to create in this Art, which is sometimes considered as one of the most difficult Arts there is”, writes Laudamiel. “So please appreciate it, protect it and be inspired! Your nose is made to smell like your eyes are made to see. You will not damage your nose just by smelling scents, like you do not damage your eyes just by looking at pictures. Besides, unlike your eyes, your olfactory cells die and get renewed every couple of weeks, like the teeth in sharks. Perfumers smell every single day and much stronger things because of their jobs and still live very long inspired lives... Finally, smelling is even considered good aerobic exercise for your brain helping to protect against senility and keep a healthy sharp brain. So enjoy!”

Here is a video of the exhibition:

For IFRA’s official press release, click here.


L'IFRA a le sens de l'Europe



Attribuer à l’IFRA la moitié des maux qui affectent la parfumerie contemporaine est devenu une espèce de réflexe pavlovien chez les amoureux du parfum. Il n’est pas inutile de répéter, tout de même, que les standards sur l’usage des ingrédients en parfumerie établis par notre croquemitaine préféré n’ont pas force de loi. S’ils ont été établis, c’est justement parce que l’industrie a préféré s’auto-règlementer préventivement plutôt que de se voir imposer des standards encore plus restrictifs par les législations. Le fait est que le rythme des restrictions s'est sensiblement accéléré après qu'un groupe de scientifiques ait reçu des fonds conséquents de l'Europe pour effectuer des recherches sur les "risques" des ingrédients cosmétiques pour la santé publique en 2003. Or lorsqu'on accorde des millions à un groupe de recherche, il a tendance à trouver de quoi justifier ses budgets. L'industrie, sentant le vent du boulet, a appliqué le principe de précaution. On peut estimer que c'est avec un zèle excessif. Que l'industrie du parfum, en se pliant au principe de précaution, s'est tiré une balle dans le pied. Qu'elle aurait mieux fait d'exposer aux instances législatives des arguments permettant de défendre l'intégrité de ses créations et de ses matières premières...
 
Mais justement: l'IFRA entreprend aussi désormais des actions destinées à faire connaître le fonctionnement de l'industrie aux députés européens.Campagne d'autant plus déterminante que dans la mesure où une bonne partie des activités de l'industrie du parfum se situe en Europe, les lois votées à Bruxelles affectent la production à l’échelle mondiale.
 
Or les députés européens ne sont pas forcément mieux renseignés sur le sujet que leurs électeurs. C’est pourquoi l’IFRA leur propose des visites dans les grands labos afin qu’ils comprennent mieux les processus de création et de fabrication, ainsi que les enjeux économiques du parfum. C’est aussi ce qui a motivé l’organisation de l’exposition « A Sense of Europe » au Parlement Européen à Bruxelles au début de février.

Cette exposition retraçait les jalons de l’histoire de l’Union Européenne via des installations illustrées par des parfums emblématiques – par exemple, les Trente Glorieuses évoquées par Eau Sauvage et l’odeur de la lessive Ariel, symbole de l’accès de la majorité des ménages à la machine à laver. Pour l’occasion, Christophe Laudamiel a également composé une série de sculptures olfactives : l’odeur du palais italien où a été signé le Traité de Rome ; « Oranges et Bananes » pour évoquer la chute du mur de Berlin (on se rappellera que les Allemands de l’Est se sont précipités sur ces fruits en passant à l’Ouest) ; « Sweaty Smoky Nightclub » pour symboliser les trépidantes années 90 et enfin, trait d’ironie, « L’odeur de l’argent » pour représenter la crise de l’euro en 2012. 

La formule de « Community », dernière fragrance de l’exposition, a été communiquée dans sa totalité aux visiteurs, accompagnée de courtes descriptions de chaque ingrédient par Laudamiel. But de cette transparence sans précédent : d’abord faire comprendre la complexité du travail du parfumeur (il n’est pas rare qu’on s’imagine que les allergènes listés sur l’étui représentent la formule). Ensuite, dans un contexte où certains groupes, notamment aux USA, militent pour que les formules soient rendues publiques, convaincre les députés que les consommateurs n’y gagneraient rien puisque celles-ci s’avèrent indéchiffrables aux non-spécialistes. 

Christophe Laudamiel concluait ainsi le texte accompagnant l’exposition, qui expliquait le processus de création du parfum : « S’il vous plaît, appréciez-le, protégez-le, laissez-le vous inspirer ! Votre nez est fait pour sentir comme vos yeux sont faits pour voir. Vous n’endommagerez pas votre nez rien qu’en sentant des parfums, tout comme vous n’endommagez pas vos yeux rien qu’en regardant des tableaux. En plus, contrairement à vos yeux, vos cellules olfactives meurent et se renouvellent toutes les deux semaines, comme les dents des requins. Les parfumeurs sentent tous les jours des choses bien plus fortes à cause de leur métier et vivent quand même des vies très longues et inspirées… Enfin, sentir est même considéré comme un bon exercice aérobique pour votre cerveau, qui aide à protéger contre la sénilité et à maintenir l’acuité intellectuelle. Alors profitez-en ! »

Voici une vidéo de l’expo :


Pour lire le communiqué complet de l’IFRA (en anglais), cliquez ici.



mardi 21 février 2012

Cuir Fétiche and The Ladies' Paradise, part 2


(To read part one of this post, click here)

Of course, in defining perversion and classifying its manifestations, psychiatrists were echoing the shifts in perceptions and practices of Western societies. In a world where commodities were becoming increasingly available and diversified, the sex industry had started catering to “niche markets” by providing specialized services and ever more spectacular erotic scenarios. Havelock Ellis reports the case, in 1894, of a prostitute stating that “several of her clients desired the odor of new shoes in the room, and that she was accustomed to obtain the desired perfume by holding her shoes for a moment over the flame of a spirit lamp.”
Thus, leather entered the vocabulary of perfumery as a dominant note, rather than as a material to be treated by perfume, at the precise period in history in which hitherto “aristocratic” perversions trickled down to the very bourgeoisie to whom Messieurs Guerlain and Rimmel sold their Cuir de Russie.

But by that time the word “fetish” had acquired yet another meaning, “commodity fetishism”, introduced by Karl Marx as early as 1844 and developed in Das Kapital (1867). Again, this is a displacement of the initial definition of fetishism as the attribution of supernatural properties to man-made objects. In Marx’s definition, it means attributing an intrinsic, “natural” value to an object which initially has none. This ultimately leads to a personification of commodities, which come to possess quasi-magical powers; it also severs them both from their conditions of production and from the individual who owns them. For instance: the gowns of a society lady in the 19th century were made for her by a dressmaker. They had no labels. The beauty of an outfit was an outcome of the refined taste of the woman who wore it. When Charles Frederick Worth opened the first couture house in Paris in 1858, the couturier became the author: a Worth gown acquired value independently from its wearer, and indeed it bestowed value on her.

The very first steps in ready-to-wear, as depicted in Zola’s The Ladies’ Paradise, offer an even more striking depiction of the rise of commodity fetishism. For the first time, women could buy clothes off-the-peg. To render his merchandise as covetable as possible, Octave Mouret, a consummate seducer, turns his department store into a glittering spectacle, a debauchery of tempting colours and textures into which women pour out their frustrated sexual energies. Zola describes shoplifting as an erotic thrill: 

“She stole for the pleasure of stealing, as one loves for the pleasure of loving, goaded on by desire, urged on by the species of kleptomania that her unsatisfied luxurious tastes had developed in her formerly at sight of the enormous and brutal temptations of the big shops.”

Perfume was born in its modern form during the very decades in which fetishism was defined by psychiatry, described by literature and sexually exploited by commerce, both directly (in the specialised brothels catering to the men of the bourgeoisie) and indirectly (in the dazzling cornucopia of consumer items offered to their mates).
But because of its invisible, quasi-immaterial nature, fragrance requires even more spectacle than clothing or accessories to become an object of desire. In the olden days of maîtres gantiers-parfumeurs, fragrance was an artisanal product, blended by master tradesmen. But only once the development of organic chemistry allowed perfumes to be manufactured industrially, perfume-makers could no longer rely on the one-to-one relationship of a favoured supplier with his clients. In The Ladies’ Paradise, their products had to speak for themselves. Or rather, perfume companies had to devise magic lanterns to transmute their industrial products into the stuff women’s dreams were made of.

In the first decades of the 20th century, the world-famous Paris couturiers would become the perfume industry’s most efficient promoters, turning “French perfume” into the ultimate consumer fetish. And so the spectacle of commodities conceived under the hyper-materialistic reign of Napoleon III would find its most accomplished expression in fragrance marketing and advertising.

So what’s it all to do with leather? Possibly not much, beyond the fact that the glove that kick-started the French perfume industry in the Renaissance has allowed me to wrap the threads of sexual and commodity fetishism around a bottle of perfume… But I suspect that many more threads could be woven into this eminently reversible object.

Apart from the quoted authors, these posts were fed by Octavian Coifan’s articles on leather notes (1000fragrances), my interview with Elisabeth de Feydeau for The Perfume Lover and Alain Corbin’s Women for Hire

Illustration: Pornokratès by Félicien-Rops (1896)

Cuir (et) Fétiche, 2ème partie


(Pour lire la première partie, cliquez ici)

En définissant les « perversions » et en classifiant leurs manifestations, les psychiatres se faisaient l’écho des déplacements des pratiques et des perceptions des sociétés capitalistes occidentales. Dans un monde où les marchandises devenaient de plus en plus aisément disponibles et de plus en plus diversifiées, l’industrie du sexe commençait elle aussi à proposer des services spécialisés et des scénarios érotiques de plus en plus spectaculaires à certains marchés de niche. Ainsi, le sexologue britannique Havelock Ellis rapporte le témoignage d’une prostituée en 1894, qui affirme que « plusieurs de ses clients désirent l’odeur des chaussures neuves dans la chambre, et qu’elle a l’habitude d’obtenir le parfum désiré en tenant ses chaussures pendant un moment au-dessus de la flamme d’une lampe à alcool. »
De sorte que le cuir intègre le vocabulaire de la parfumerie fine au moment exact de l’histoire où des perversions jadis considérées comme « aristocratiques » s’infiltrent dans la société bourgeoise à laquelle Messieurs Guerlain et Rimmel vendent leur Cuir de Russie.

À ce stade, le mot « fétiche » avait déjà acquis un autre sens : dès 1844, Karl Marx introduisait la notion de « fétichisme de la marchandise » qu’il développerait dans Le Capital (1867). Encore une fois, il s’agit d’un déplacement de la définition du fétichisme comme attribution de pouvoirs surnaturels à un objet fabriqué. Selon Marx, il s’agit de l’attribution à un objet d’une valeur intrinsèque, « naturelle », indépendamment de sa valeur d’usage ou de son processus de production. Ceci conduit à une personnification de ces marchandises, dotées de propriétés quasi-magiques ; elles sont à la fois détachées de leurs conditions de production et de leur propriétaire. Par exemple : les tenues portées par une femme de la haute société au cours de la première moitié du 19ème siècle sont réalisées sur ses indications par sa couturière. Elles ne sont pas griffées. La beauté d’une tenue résulte donc du goût raffiné de la femme qui la porte. À partir du moment où Charles Frederick Worth ouvre la première maison de haute couture à Paris en 1858, la valeur de la tenue est attribuée au couturier, indépendamment de la personnalité de sa propriétaire : c’est à elle qu’une robe de Worth confère de la valeur.

Les tous débuts du prêt-à-porter, narrés par Zola dans le Bonheur des Dames, illustrent de façon encore plus frappante l’ascension du fétichisme de la marchandise. Pour la première fois, les femmes peuvent acheter des tenues toutes faites. Pour les rendre les plus désirables possible, Octave Mouret, séducteur chevronné, transforme son magasin en spectacle enivrant, débauche de tentations auxquelles succombent les femmes sexuellement frustrées. Le vol à l’étalage devient en lui-même un plaisir érotique :
« (…) elle volait pour voler, comme on aime pour aimer, sous le coup de fouet du désir, dans le détraquement de la névrose que ses appétits de luxe inassouvis avaient développée en elle, autrefois, à travers l’énorme et brutale tentation des grands magasins. »

La parfumerie moderne nait au moment même où le fétichisme est défini par la psychiatrie, décrit par la littérature et exploité commercialement, à la fois directement (dans les bordels fréquentés par les bourgeois) et indirectement (dans la débauche de biens de consommation proposés à leurs compagnes).
Mais son invisibilité, sa nature quasi-immatérielle, exige un spectacle encore plus saisissant pour le transformer en objet du désir. À l’époque des parfumeurs-gantiers, le parfum était un produit artisanal, souvent réalisé sur mesure pour un client, qu'on lui vendait directement. Il n'était pas "griffé", lui non plus. À partir du moment où le développement de la chimie organique permet de fabriquer des parfums en quantités plus importantes, le parfum devient une industrie. Dès lors, les parfumeurs ne peuvent plus compter sur les rapports privilégiés qu’ils établissent avec leur clientèle. Au Bonheur des Dames, leurs produits doivent se défendre sans eux. Du coup, les maisons de parfum doivent inventer des lanternes magiques qui transforment leurs produits industriels en machines à faire rêver.

Ce sont les couturiers parisiens qui, au cours des premières décennies du 20ème siècle, créeront cette fantasmagorie grâce à leur renommée internationale, et transformeront « le parfum français » en summum de la marchandise fétichisée: le spectacle de la marchandise inventé sous le Second Empire trouvera son expression la plus achevée dans le marketing et la publicité du parfum.

Quel rapport avec le cuir, me direz-vous ? Peut-être aucun, à part le fait que le gant, origine de l’industrie du parfum français à la Renaissance, m’a permis d’enrouler les fils du fétichisme sexuel et du fétichisme de la marchandise autour du col d’un flacon. Mais je soupçonne qu’on pourrait broder encore bien d’autres motifs sur cet objet éminemment réversible…

Outre les auteurs cités, cette réflexion s’appuie en partie sur les articles consacrés au cuir par Octavian Coifan, sur mon entretien avec Elisabeth de Feydeau pour The Perfume Lover (dont elle élabore les thèmes dans Les Parfums : Histoire, anthologie,dictionnaire) et sur Les Filles de Noce d’Alain Corbin.

Illustration: Marion Cotillard dans Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet

lundi 20 février 2012

Cuir Fétiche (Maître Parfume et Gantier): A Glove in the Ladies' Paradise



Gloves and perfume have gone hand in hand for centuries, so that when Jean Laporte founded Maître Parfumeur et Gantier, he was leaping back in history to the original glove-makers’ trade guild from which perfumery had sprung. It is somehow fitting that just as the house’s founder passed away, his successor Jean-Paul Millet Lage created a scent inspired by his visit to a manufacture in the town of Millau, renowned for glove-making since the 19th century.

While Cuir Fétiche’s leather note steeped in a classic jasmine, rose and iris bouquet on a smooth amber and vanilla base does, indeed, conjure lambskin scented with flowers to counteract the stench of tanning products,  it certainly doesn’t live up to the kinky red corset that dresses up its bottle. Today, we envision fetish garb as giving off rougher whiffs. Still, because this cuir is offered by a gantier, it does hint at an object which espouses its wearer’s body so closely as to mimic it almost perfectly and which, like perfume, blends its smell with that of the body that bears it: the glove.

The leather glove is a perfect candidate for fetishization: because of its shape, texture and smell, it can act as a synecdoche (i.e. the part for the whole) of the object of desire. This mechanism did not escape one of the most olfactory-obsessed writers of the late 19th century, Émile Zola. The leather glove features in two strikingly erotic (and fragrant) scenes of Les Rougon Macquart, a cycle of twenty novels conceived as "The natural and social history of a family under the Second Empire".
The first is drawn from The Joy of Life (1884), in which the shiftless, weak-willed Lazare, pining for the beautiful Louise, finds an old glove she has left behind:
 
“The glove had retained a strong odour of the original skin of which it was made, and this was softened to a musky fragrance by Louise's favourite perfume, heliotrope. Lazare, who was very susceptible to the influence of odours, was violently agitated by that scent, and in a state of emotion had lingered with the glove pressed to his lips, draining from it a draught of sweet recollections.
From that day onward he began to yearn for Louise (…). He took up the glove again, as soon as he was alone, kissed it, inhaled its scent, and fancied that he was still holding the girl in his embrace with his lips seeking hers.”

The second comes from Zola’s epic narrative of the invention of the modern department store, modelled after Le Bon Marché, The Ladies' Paradise (1883). Mme Desforges, the mistress of the store’s owner Octave Mouret, is being sold gloves by Mignot, a clerk who fancies himself a ladies’ man – department stores were among the few places where high society women would rub elbows with the lower classes.
“Half-lying on the counter, he was holding her hand, taking her fingers one by one and sliding the glove on with a long, practised and sustained caress ; and he was looking at her as if he expected to see from her face that she was swooning with voluptuous joy. But she, her elbow on the edge of the velvet, her wrist raised, gave him her fingers with the same detached air with which she would give her foot to her maid to allow her to button her boots. He was not a man; she used him for such intimate services with the familiar disdain she showed for those in her employ, without even looking at him.
  ‘I’m not hurting you madam?’
 She replied in the negative, with a shake of the head.
The smell of Saxon gloves, that animal smell with a touch of sweetened musk, usually excited her; and she sometimes laughed about it, confessing her love for this ambiguous perfume, like an animal in rut which has landed in a girl’s powder box.”

In the first scene, the sweetly-scented glove becomes not only a fragment of the desired body, but a substitute for it, in a textbook fetishistic shift. In The Ladies’ Paradise, the glove-fitting session is an explicit metaphor for attempted seduction that turns into a titillating domination fantasy (the disdainful high society woman treating a man like a servant). Both showcase the erotic potency of the scent of leather: a blend of feminine adornment (“a girl’s powder box”) and sexual odours (“an animal in rut”).

Intriguingly, Zola wrote these scenes in which the smell of the glove plays such a prominent erotic part at just about the same time as the perfume industry was severing the scent of leather from the actual material (in the same way as Louise’s glove is separated from/stands in for her body). The two main leather notes were reproduced in fine fragrance between the mid-1870s and the mid-1890s: Guerlain and Rimmel’s respective Cuir de Russie in 1875 and 1876; Roger & Gallet and Houbigant’s Peau d’Espagne a decade later.

1876 was also the year when the French psychiatrist Alfred Binet first applied the word “fetishism” to a sexual perversion: up to then it had designated the attribution of supernatural powers to man-made objects. The leather fetish itself was studied in the Austrian sexologist Richard von Krafft-Ebing’s Psychopathia Sexualis (1886). Fetishism in general and leather fetishism in particular had of course existed before they were identified as such: the prolific French libertine author Restif de la Bretonne (1734-1806), for instance, was a famous shoe sniffer. But it was only when the study of sexuality became the province of psychiatrists that the attempt to understand “perversions” gave rise to their classification. Up to then, people had sexual tastes; henceforth, they would have sexual identities. 

Come back tomorrow for part II of this post...

Illustration: Yvette Guilbert's Black Gloves by Toulouse-Lautrec (1894) 

Cuir (et) fétiche : du Maître Parfumeur et Gantier au Bonheur des Dames



Pendant des siècles, gants et parfums sont allés main dans la main : lorsque Jean Laporte a fondé Maître Parfumeur et Gantier, c’était vers le passé qu’il se tournait pour aller de l’avant. Aussi est-ce poétiquement logique qu’au moment où M. Laporte nous quittait, son successeur Jean-Paul Millet Lage ait lancé un parfum inspiré par les gants (plus précisément par une visite dans une fabrique de la ville de Millau, dont c’est la spécialité depuis le 19ème siècle)…

La note cuirée, imprégnée d’un très classique bouquet jasmin, rose et iris sur un fond ambré vanillé, évoque en effet les cuirs traités avec des matériaux aromatiques pour contrer l’odeur désagréable des produits de tannage à l’époque préindustrielle. Mérite-t-elle pour autant l’épithète de « fétiche » illustré par le corset en cuir rouge dont est revêtu son flacon ? De nos jours, le rituel BDSM dégage des senteurs plus corsées. Mais comme ce cuir est proposé par un gantier, on peut tout aussi bien songer à un objet épousant le corps si intimement qu’il le mime à la perfection et qui, comme le parfum, mêle son odeur à celle de son propriétaire : le gant, justement.

Le gant de cuir se prête particulièrement bien à la fétichisation, car à cause de sa forme et de son odeur, il peut devenir la synecdoque (la partie pour le tout) de l’objet du désir. Cette propriété n’a pas échappé à l’écrivain le plus olfactivement obsédé de la fin du 19ème siècle, Émile Zola. L’accessoire figure dans deux scènes manifestement érotiques (et fortement odorantes) des Rougon Macquart, « Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire ».
La première est tirée de La Joie de Vivre (1884). Lazare, qui se languit de la belle Louise, retrouve un gant qu’elle a oublié chez lui :
« Le gant, en peau de Saxe, avait gardé une odeur forte, cette odeur de fauve particulière, que le parfum préféré de la jeune fille, l’héliotrope, adoucissait d’une pointe vanillée ; et, très impressionnable aux senteurs, violemment troublé par ce mélange de fleur et de chair, il était resté éperdu, le gant sur la bouche, buvant la volupté de ses souvenirs.
(…) Quand il était seul, il reprenait le gant, le respirait, le baisait, croyait encore qu’il la tenait à pleins bras, la bouche enfoncée dans sa nuque. Le malaise nerveux où il vivait, l’excitation de ses longues paresses, rendaient plus vive cette griserie charnelle. C’étaient de véritables débauches où il s’épuisait. »
La seconde est tirée du Bonheur des Dames (1883), récit trépidant de l’invention des grands magasins inspiré de la création du Bon Marché. Mme Desforges, maîtresse du propriétaire Octave Mouret, achète des gants à Mignot, vendeur qui se targue d’être un tombeur (les grands magasins étaient parmi les rares endroits où des femmes de bonne société frayaient aussi directement avec des hommes de classes « inférieures »).
« À demi couché sur le comptoir, il lui tenait la main, prenait les doigts un à un, faisant glisser le gant d’une caresse longue, reprise et appuyée ; et il la regardait, comme s’il eût attendu, sur son visage, la défaillance d’une joie voluptueuse. Mais elle, le coude au bord du velours, le poignet levé, lui livrait ses doigts de l’air tranquille dont elle donnait son pied à sa femme de chambre, pour que celle-ci boutonnât ses bottines. Il n’était pas un homme, elle l’employait aux usages intimes avec son dédain familier des gens à son service, sans le regarder même.
– Je ne vous fais pas de mal, madame ?
Elle répondit non, d’un signe de tête. L’odeur des gants de Saxe, cette odeur de fauve comme sucrée du musc, la troublait d’habitude ; et elle en riait parfois, elle confessait son goût pour ce parfum équivoque, où il y a de la bête en folie, tombée dans la boîte à poudre de riz d’une fille. Mais, devant ce comptoir banal, elle ne sentait pas les gants, ils ne mettaient aucune chaleur sensuelle entre elle et ce vendeur quelconque faisant son métier. »

Dans la première scène, le gant odorant n’est plus seulement un fragment du corps désiré, mais son substitut. Dans le Bonheur des Dames, la séance d’essayage est la métaphore d’une scène de séduction érotique qui tourne au scénario classique de domination (la grande dame dédaigneuse se laissant servir par un subalterne auquel elle ne confère même pas le statut d’homme). Les deux passages font ressortir l’action érotique de l’odeur du cuir, mélange « de fleur et de chair », de parure féminine (« la boîte à poudre de riz ») et d’animalité (« la bête en folie »).

Curieusement, Zola conçoit ces scènes où l’odeur du gant est fortement érotisée à l’époque précise où les parfumeurs détachaient cette odeur du matériau d’origine (un peu comme le gant de Louise, détaché de son corps, le remplace). Les deux accords cuir principaux deviennent en effet des parfums à porter entre 1875 et 1895 environ : Guerlain et Rimmel lancent leurs Cuir de Russie en 1875 et 1876 ; Roger & Gallet et Houbigant, leurs Peau d’Espagne au cours de la décennie suivante.

C’est également en 1876 que le psychiatre Alfred Binet applique le terme de « fétichisme » à la perversion sexuelle, alors que jusque-là, ce mot désignait l’attribution de pouvoirs surnaturels à des objets fabriqués par l’homme. Le fétichisme du cuir est étudié par le sexologue autrichien Richard von Krafft-Ebing dans Psychopathia Sexualis en 1886. Bien entendu, le fétichisme en général et celui du cuir en particulier existaient bien avant cela : il suffit de lire, par exemple, l’auteur libertin Rétif de la Bretonne (1734-1806), grand amateur de chaussures. Mais ce n’est qu’à partir du moment où ce sont les psychiatres qui s’emparent de l’étude de la sexualité que l’intérêt pour les perversions suscite leur classification. Jusque là, on avait des goûts érotiques : désormais, on aurait une identité sexuelle.

Rendez-vous demain pour la 2ème partie...

Illustration: Détail de La Dame au gant de Carolus-Duran (1869), Musée d'Orsay