« C’est le rouge qu’elle voulait, pour le rose de l’émoi, la tumescence des lèvres que l’on mord (chair de fraise), l’œillet de sa boutonnière à lui. »
Lorsqu’un parfum se crée en liberté, on peut supposer que le texte qui l’accompagne reflète avec justesse l’intention du parfumeur. Celui de la nouvelle Heure de Parfum de Cartier, II – L’Heure Convoitée, campe une scène de strip-tease, « danse cadencée dans l’aura d’un velours de scène », depuis le point de vue de l’artiste. Et ça chauffe sous les spots.
Dans les Heures, Mathilde Laurent a souvent travaillé ses thèmes olfactifs en fractales, autrement dit en éclatant, à travers différents accords et matériaux, les facettes d’une même idée reproduite à toutes les échelles : citrus/vert pour la Brillante, fruits rouges pour la Folle, fumée pour la Treizième. La Convoitée décale le propos en travaillant cette fois sur une couleur, le rouge.
Rouge : fraise, rose, œillet, rouge à lèvre, velours (ce dernier traduit par des notes poudrées iris/musc).
Rouge : brûlure.
Rouge : luxure.
Quel rapport, à part leur rubescence, entre la fraise et l’œillet ? Comme une tête d’infante (autrement dit, sa fraise) dans un portrait du Prado, le fruit est posé sur une collerette dentelée dont le froncé/bouillonné évoque aussi l’explosion déchiquetée de l'œillet (le clou de girofle rappelant, quant à lui, la fraise du dentiste).
Vu le thème, cette fraise, dont le rendu juteux/acidulé est souligné du trait vert de sa collerette, pourrait tout aussi bien être celle du sein (« petite boule d'ivoire /Au milieu duquel est assise /Une fraise ou une cerise », Clément Marot, Le Blason du beau tétin). Mais après cette note de tête champêtre, c’est l’œillet qui ramène sa fraise, rouge comme une lanterne de claque, voire comme une fesse claquée…
Les Heures de Cartier sont souvent aussi des relectures de l’histoire de la parfumerie, et après l’hommage indirect à L’Eau Sauvage dans la Fougueuse, à Mûre et Musc dans la Folle, à l’orientalisme Guerlain détourné (cacao plutôt que vanille) dans la Défendue, c’est à Caron que la Convoitée semble faire allusion, et plus précisément à Poivre, œillet enflammé de girofle, décliné en eau de toilette sous le nom de Coup de Fouet.
Sous un voile cosmétique rose-rouge à lèvres et musc irisé, Mathilde Laurent manie cet œillet en arme fatale, houppette chargée d’épices embrasées qui mettent le feu aux poudres. C’est, d’une certaine façon, l’antithèse de son récent Baiser Volé, qui planque sa ténacité et son volume implacables derrière un assaut de tendresse. La Convoitée, inspirée par le « Déshabillez-moi » de Juliette Gréco, dévoile sans pudeur sa puissance de feu.
Denyse,
RépondreSupprimerCoup de foudre ou coup de chapeau ?
Anne (fan de la XIIe heure)
On dirait d'un parfum pour David Lynch, tellement passionné des rideaux et du velour (soit rouge, soit bleu). Je viens de me souvenir de plusieurs scènes de Mulholland Drive en lisant votres évocations.
RépondreSupprimerSinon je devrais sentir ce nouvel opus: j'ai du mal à imaginer la fraise dans ce boudoir luxueux et certainement décadent.
Bien à vous, chère Denyse.
Anne, j'adore la XII aussi, c'est celle dont j'ai un flacon... Pour le reste... Coup de hanche?
RépondreSupprimerSchlimmelmann, j'ai moi aussi pensé à Mulholland Drive en écrivant ce papier, à tel point que j'ai failli l'illustrer d'une photo tirée du film... Et puis je me suis dit que tout de même, cette Heure Convoitée était moins inquiétante!
RépondreSupprimerveux tu dire qu'il est érotique ?
RépondreSupprimerAnne, ah quand même, oui! Féminin, provocant, et... franchement chaud.
RépondreSupprimerD'ordinaire je me sauve quand je tombe sur le mot fraise en parfumerie mais un parfum qui s'inspire directement de Poivre de Caron m'intrigue assez pour que je me rende au stand Cartier de Saks Fifth Avenue prochainement.
RépondreSupprimerPoivre de Caron, l'ancien, le vrai pre-reformulation bien sur pas l'actuel qui n'est qu'un pipi de moineau, est un de mes parfums preferes, je guette toutes les ventes vintage sur ebay depuis quelques annees.
Emma
Emma, j'ai beaucoup porté Poivre il y a bien longtemps. Dire que la Convoitée s'en inspire directement, je ne sais pas: je relève la parenté, un peu inévitable lorsqu'on travaille un oeillet très épicé. Quant à la fraise... Il ne faut sans doute jamais dire jamais quand il s'agit d'une note puisque tout dépend du rapport qu'elle entretient avec les autres notes, non?
RépondreSupprimerDisons qu'il y a fraise tagada et on sait tres bien de quelle parfumerie il s'agit, celle-la je la fuis comme la peste. Je ne dis pas non a la vraie fraise pour ses rondeurs, sa chair, son gout, son rouge insolent enfin les transgressions qui en resultent,,,
RépondreSupprimerExactement! La fraise est une coquine.
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