Le soir du 8 avril, le Pavillon Ledoyen pouvait se targuer de compter la plus grande concentration mondiale de nez d’élite pour la 18ème édition du Grand Prix du Parfum Marie-Claire organisée par la Fragrance Foundation France (anciennement les prix Fifi). On ne saurait imaginer l’impact qu’aurait eu une épidémie de grippe en pareil milieu… heureusement, la saison en est passée.
Parmi mes propres finalistes, La Treizième Heure et L’Heure Mystérieuse de Mathilde Laurent pour Cartier, Havana Vanille de Bertrand Duchaufour pour L’Artisan Parfumeur, Géranium pour Monsieur de Dominique Ropion pour Frédéric Malle et Un Matin d’Orage d’Isabelle Doyen pour Annick Goutal, la plupart avaient été retenus dans la sélection finale. Au dernier round, nous avions dû trancher entre La Treizième Heure, Géranium pour Monsieur et Dover Street Market de Comme des Garçons. J’étais décidée d’entrée de jeu à défendre XIII, mais j’avoue, sans dévoiler le contenu des délibérations, que je n’ai pas eu à me battre bec et ongles ! Nous ne savions pas alors que ce matin-là, un jury de parfumeurs avait fait la même sélection…
Comme j’avais juré de tenir ma langue, le plus difficile a été de ne pas en parler à Mathilde Laurent pendant deux semaines (nous avons échangé emails et coups de fil sur un autre sujet). Et comme elle est arrivée après moi, je n’ai pu que la saluer de loin dans la foule et je n’ai donc pas été tentée de la mettre au parfum… En plus, je voulais voir sa tête lorsque son nom serait annoncé !
Dans son court discours, Mathilde a fait l’éloge des blogs et de la critique, « la seule façon de faire avancer la parfumerie ». J’étais trop occupée à donner des coups de coude à mon voisin Méchant Loup (pardon, T., pas trop de bleus aux côtes ?), et à guetter les réactions à ce panégyrique de la critique indépendante pour noter les propos de Mathilde. Mais j’ai pu gribouiller ceux de Jean-Claude Ellena, lauréat du prix Coup de Cœur de la rédaction de Marie-Claire, lorsqu’il s’est adressé aux jeunes parfumeurs présents dans la salle :
« Je ne suis pas un modèle. Je ne suis pas un exemple. Le marché n’est pas un exemple. Soyez vous-mêmes. Soyez libres. C’est ça la parfumerie de demain. Faites confiance aux parfumeurs. »
Dans la bousculade, j’ai mis un moment à repérer Mathilde pour la féliciter. Double plaisir puisque Dominique Ropion nous a rejointes pour la féliciter à son tour. Ce qui m’a donné l’occasion d’enfin lui dire que je considérais Une Fleur de Cassie comme l’un des meilleurs parfums des vingt dernières années, et qu’avec Carnal Flower, c’était l’un de ceux dont je ne voulais jamais me passer… Contrairement aux indépendants, les parfumeurs qui travaillent au sein des grands labos ont assez peu l’occasion de rencontrer leur public, et bien que j’aie désormais un demi-orteil dans l’industrie, je fais encore partie des fans… Heureusement que Mathilde était là pour me présenter un peu plus dans les règles. J’espère revoir M. Ropion d’ici peu.
En me rendant à ma table, j’ai pu bavarder un moment avec Jean-Michel Duriez de Patou et Rochas, qui m’a laissé entendre que la maison Rochas allait beaucoup gagner en dynamisme d’ici la fin de l’année, et échanger quelques propos avec Jean-Claude Ellena, dont le sourire a décidément de quoi donner la texture du beurre d’iris aux genoux féminins… On ne se refait pas.
J’avais le plaisir d’être conviée au dîner par Guerlain, et d’être placée à gauche de Thierry Wasser ; ma chère Ingrid Astier était à sa droite. Pourquoi ce privilège ? Ingrid et moi écrivons toutes deux sur les parfums (elle est l’auteur d’une série d’anthologies charmantes, parmi lesquelles Le Goût du Parfum, et du polar Quai des Enfers qui met en scène un parfumeur) mais il se trouve aussi que nous avons été toutes deux lauréates des Journées du Livre et du Vin de Saumur, co-sponsorisées par Guerlain.
Ma conversation avec Thierry Wasser, compagnon de table adorable, drôle et charmant, restera strictement off-the-record, mais je peux néanmoins révéler qu’elle m’a fait comprendre avec quelle passion le parfumeur de Guerlain souhaite défendre le patrimoine de sa maison – je rappelle qu’il est l’un des très rares dans la profession à s’être publiquement exprimé sur l’excès de réglementations qui affecte ce patrimoine. Nous avons aussi discuté de la difficulté de rendre en parfumerie les odeurs de glycine ou de tilleul, et au fil de ces propos, j’ai de nouveau éprouvé cet émerveillement qui me prend chaque fois qu’un parfumeur m’ouvre les portes de son royaume invisible. J’espère que cet émerveillement ne se dissipera jamais : on peut être à la fois critique et amateur, au sens le plus noble du terme. C’est-à-dire aimer. Et la soirée du Grand Prix du Parfum, si elle n’a pas nécessairement récompensé les candidats que j’aurais choisis puisqu’il s’agit pour une grande part de prix décernés par vote populaire, a été une occasion d’exprimer directement aux intéressés mon admiration pour leur art.
Les lauréats Grand Prix du Parfum
Les sept prix qui suivent ont été décernés par vote populaire :
Meilleur parfum féminin : Ricci Ricci, d’Aurélien Guichard et Jacques Huclier pour Nina Ricci
J’avoue ne l’avoir senti que brièvement sur touche. Personnellement, j’aurais choisi Essence de Narciso Rodriguez, mais Ricci Ricci, plus girly et joyeux, a manifestement plus séduit les imaginations…
Meilleur parfum masculin : Jamais le Dimanche d’Alberto Morillas pour Ego Facto.
Ravie de ce choix inattendu du public, face à des poids lourds comme La Nuit de l’homme d’Yves Saint Laurent et Fahrenheit Absolu de Dior. Pierre Aulas m’a confié par la suite qu’il se demandait si les internautes n’avaient pas voté pour lui en se disant que cet outsider n’aurait autrement aucune chance… en ajoutant qu’il attribuait cette victoire au soutien des blogs qui avaient fait connaître sa marque.
Meilleur parfum en distribution sous enseigne propre : So Elixir d’Olivier Cresp, Marie Salamagne et Jacques Cavallier pour Yves Rocher.
Les parfums Yves Rocher sont souvent signés des plus grands noms du métier, et d’un rapport qualité-prix remarquable – Olivier Cresp a souligné que So Elixir contenait un fort pourcentage de matières premières nobles.
Meilleur flacon pour un parfum féminin : de nouveau Ricci Ricci.
Il semble que la réalisation de la jolie boucle métallisée de ce flacon relevait de la prouesse technique. Une fois de plus, mon choix se serait porté sur Essence mais il faut avouer que le flacon Ricci est vraiment très très joli.
Meilleur flacon pour un parfum masculin : Only the Brave de Diesel.
Bon. Pourquoi pas.
Meilleure campagne : Miss Dior Chérie l’Eau, réalisée par Sofia Coppola.
Le parfumeur-maison de Dior, François Demachy, a souligné en acceptant le prix que la gaîté de ce film publicitaire était la bienvenue dans la morosité ambiante… Et forcément, on aime Sofia.
Le Prix Coup de Coeur des lectrices de Marie-Claire: Idylle de Thierry Wasser pour Guerlain.
Les lectrices de Marie-Claire sont, semble-t-il, les plus grandes consommatrices de parfums de France et manifestement, Guerlain reste toujours pour elles la maison de référence.
Le Prix Coup de Cœur de la rédaction de Marie-Claire : Eau de Gentiane Blanche de Jean-Claude Ellena pour Hermès.
M. Ellena est, et à juste titre, un parfumeur très admiré dans les rédactions, et ce choix d’une cologne iconoclaste, car sans agrumes, ne peut qu’être applaudi.
Le Prix des Spécialistes : XIII – La Treizième Heure de Mathilde Laurent pour “Les Heures de Parfum” de Cartier.
Nouveau cette année, et unique parmi les prix décernés par les Fragrance Foundations à travers le monde, le Prix des Spécialistes permet de récompenser des compositions de maisons de niche ou de lignes exclusives, donc partiellement affranchies des diktats du marché. Sans dévoiler le contenu des délibérations, il était intéressant de constater l’étonnement des évaluatrices lorsque les blogueurs ont argumenté leurs choix en se fondant sur les auteurs et leur parcours. Il semble que la question ne se pose jamais en ces termes dans les labos, et cela n’a rien d’étonnant puisque les parfums « mainstream » sont bien le résultat d’un travail d’équipe plutôt que d’un seul auteur. Ce qui rend d’autant plus précieux ce prix qui offre de la visibilité à des démarches plus audacieuses.
Le Prix des Parfumeurs : XIII – La Treizième Heure de Mathilde Laurent pour “Les Heures de Parfum” de Cartier.
Il s’agit également là d’une nouveauté 2010 et d’une particularité française. Que XIII ait été sélectionné à la fois par les parfumeurs et les spécialistes est d’autant plus remarquable que les premiers devaient se prononcer sur une liste d’une centaine de parfums ! Et que la lauréate se trouvait parmi les membres du jury (qui a, je le précise, voté à bulletins secrets contrairement aux spécialistes, dont le vote s’est fait à main levée).
Comme d'habitude, ces prix sont le reflet de la clientèle, souvent grand public, et qui est reine!!!!
RépondreSupprimerBien sûr, on n'a pas besoin de s'y connaître en parfums pour récompenser packaging et pub donc là rien à dire, le visuel prime. Je me réjouis de voir la XIII heure récompensée mais elle n'est pas à la portée de toutes les bourses. Cela devient de plus en plus difficile de trouver de bons parfums mainstream, tant mieux pour ceux des niches! Avant les niches, si l'on peut dire, étaient "offerts" par ces mêmes maisons. Bon ok, j'arrête les lapalissades :-)
En effet, Rebecca, l'originalité n'est pas ce qui étouffe le mainstream. J'ai vu passé cette année plein de choses qui n'allaient pas tout à fait jusqu'au bout de leurs promesses/idées: on a l'impression que le parfumeur a glissé quelque chose d'original presque en catimini...
RépondreSupprimerIl est en effet dommage que des parfums commme XIII soient si coûteux qu'ils sont hors d'atteinte de la plupart d'entre nous. D'autres très bons parfums de niche restent plus accessibles, heureusement, et comme c'est là que la qualité peut le mieux s'exprimer, ce sont ces maisons qu'il faut encourager.
Tu prêches une convaincue. Et dire qu'en mainstream, il n'y a quand même pas si longtemps, j'ai craqué pour Lolita Lempicka, le Feu d'Issey, Bulgari Black, Le Baiser du Dragon. On croirait pourtant parler de préhistoire.
RépondreSupprimerC'est vrai... dix ans? Bon, on peut dire que certains mainstream sont encore intéressants (je pense notamment à un parfum comme Terre d'Hermès) mais on n'a pas l'embarras du choix.
RépondreSupprimerTu as entièrement raison Terre d'Hermès est une belle réussite, comme Déclaration, du même auteur l'était avant lui mais je pensais seulement à nous les femmes... Que ferions nous aujourd'hui sans Serge, Kilian ou l'Artisan et quelques autres?
RépondreSupprimerRebecca, c'est à mon tour de dire que tu prêches... une pervertie!
RépondreSupprimerTout ceci est fort sympathique et laisse présager pleins de bonnes choses je l'espère ! Je suis très heureuse de la position que Mathilde Laurent a pris vis à vis des blogs, et j'espère qu'elle sera entendue!
RépondreSupprimerJe suis heureuse que Mathilde Laurent ait été couronnée.
RépondreSupprimerPersonnellement, j'adore l'heure mystérieuse qui est pour moi une de mes plus belles découvertes mais la XIIIe heure est sublime aussi ! La vraie beauté a un prix, relativisons,je préfère mettre 220 € dans un parfum qui sera un voyage plutôt que dans des it bags vus dans Grazia.
merci Denyse de ce récit des coulisses.
Anne
A propos de mainstream, j'aime assez Sensuous de Lauder qui revisite la famille des boisés pour femmes mais je ne crois pas qu'il figurait dans votre liste? Qu'en penses tu?
RépondreSupprimerJuliette, je ne sais pas si le discours de Mathilde sur la critique et les blogs sera entendu, il paraît que certains faisaient la tête... Mais le mouvement est lancé, il faudra bien que l'industrie s'y fasse, notre invitation à siéger sur un jury démontre que c'est déjà le cas.
RépondreSupprimerAnne, je suis folle aussi de L'Heure Mystérieuse que j'ai défendue également lors de nos délibérations. Entre celle-là et la Treizième Heure, mon coeur balance!
RépondreSupprimerRebecca, Sensuous figurait à la pré-sélection puisqu'apparemment il est proposé en France dans moins de 100 points de vente. Mais envisager un Lauder lorsqu'il s'agit de parfumerie d'auteur... je crois que le jury a préféré s'orienter vers des choix plus pointus. Cela dit, je le connais fort peu.
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