mercredi 11 février 2009

Un Matin d'Orage (Annick Goutal): Gardénia électrique


Comment injecter de l’air dans un parfum ? Comme je l’écrivais dans le post de lundi au sujet de Nuit de Cellophane, l’air est le matériau méconnu de la parfumerie, le porteur des molécules odorantes, le vecteur du sillage…

Jadis, on utilisait les aldéhydes pour faire décoller des notes plus lourdes. Mais maintenant qu’ils connotent l’odeur dite « de vieille dame », ils ne sont plus utilisés qu’en quantités infimes, plutôt pour leur fonction que pour leurs qualités proprement olfactives. Certains parfumeurs, comme Aurélien Guichard dans sa réécriture du Baghari de Robert Piguet, semblent tenter de créer un effet d’effervescence similaire avec des notes de sucre pâtissier. Dans sa Vanille Galante, Jean-Claude Ellena réalise un tour de passe-passe moléculaire en étirant des notes qui devraient, logiquement, être lourdes et entêtantes, jusqu’à ce qu’elles se soient pratiquement dématérialisées (et je ne m’en suis toujours pas remise).

Dans Un Matin d’orage, Isabelle Doyen s’attaque au problème sous un autre angle – et de façon extrêmement surprenante, après les fumerolles balsamiques des Orientalistes -- en réinventant le floral ozonique.

Un Matin d’orage ne rappelle en rien l’archétype de ce type de fragrance, L’Eau d’Issey, et pourtant, il me semble bien contenir de la calone, ou une molécule dans ce goût-là. L’odeur de melon caractéristique de ce type de matériau n’apparaît pas, cependant : je dirais plutôt – et mon ami Jarvis, ainsi que les vendeuses de chez Goutal qui m’en ont parlé, sont arrivés à des conclusions semblables de leur côté – que les notes de tête exhalent une senteur de peau de brugnon pas tout à fait mûr.

Mais le plus surprenant, dans ce Matin d’orage, c’est l’effet presque discordant provoqué par la couche d’ozone crépitante qu’il déploie d’entrée de jeu ; une saveur minérale qui rappelle celle d’eaux de source volcaniques comme Volvic ; les piqûres d’épingle d’une bruine fine. Mais au lieu de rabattre vers la terre les odeurs qui montent du gardénia et du jasmin, elle semble les aspirer vers le haut, comme si la bruine était vaporisée par les buissons. Un soupçon de gingembre (me semble-t-il), déjà présent dans le Jasmin de Doyen pour Goutal, intensifie cette impression de fraîcheur.

Au fil des heures, les fleurs gagnent sur l’effet jardin-après-l’orage de l’ozone mais conservent leur côté vert, impalpable, détrempé de rosée. Le gardénia ressemble aussi peu que possible à celui, rose bonbon, du parfum éponyme de Chanel, ou à l’esthétique décadente du Velvet Gardenia de Tom Ford, avec ses notes de champignon un peu blettes. Il ne s’agit plus de la représentation du gardénia en parfumerie, ou plutôt, il s’agit d’une vision entièrement inédite. Le magnolia, avec ses facettes vanille-citron, s’insinue alors avant de s’évanouir dans un voile musqué.

Bien que je ne sois pas aussi transportée qu'Octavian Coifan de 1000fragrances, je suis profondément intriguée, à la fois par l’approche inédite du floral ozonique et la rupture que cela représente pour Doyen et pour la maison Annick Goutal, dont les féminins ont jusqu’ici, Orientalistes mis à part, tendu vers une joliesse bourgeoise-bohème. Un Matin d’orage semble exiger un type d’attention différente : un rajustement des attentes. En ce sens, le nom est particulièrement bien trouvé : il exprime un nouveau départ, mais dans une ambiance orageuse.


Image tirée d'une chorégraphie de Pina Bausch.

11 commentaires:

  1. C'est surprenant cette référence à l'orage, ce qualificatif d'ozonique...
    Pour moi, au contraire il s'agit d'un parfum apaisé, bien après l'orage...
    Il me semble immédiatement avoir saisi ce que disait Octavian dans sa comparaison avec Carnal Flower : il émane de ce parfum une impression de "naturalité". Je ne connais pas l'odeur naturelle du gardénia mais les rendus habituels en parfumerie sont souvent "tubérosés" avec ce côté sucré voire poisseux que je n'apprécie guère. Ici au contraire le matériau semble allégé, non pas parce qu'on y aurait insufflé de l'air mais parce qu'il formerait une sorte de nappe en lévitation.

    Quoiqu'il en soit, vous lire est toujours un plaisir.

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  2. Thierry... welcome back! Je suis d'accord, il ne s'agit pas du tout ici d'un rendu traditionnel (en parfumerie) du gardénia, mais d'un effet très naturel. "Nappe en lévitation" est un terme très juste: mais pour moi, cette nappe se situe tout de même sous la couche d'ozone (voir le commentaire d'Octavian dans la version anglaise). Il est vrai que l'orage n'est pas très violent, voire apaisé, mais il y en a des traces!

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  3. C'est vrai qu'il est électrique ce parfum. J'ai pu enfin le tester tout à l'heure. J'avoue que le départ "humide" m'a fait peur. Mais il n'est ni aqueux, ni vraiment mouillé ou aquatique... on est loin de l'Eau d'Issey!
    C'est vrai qu'il donne vraiment la sensation d'être électrique, comme si de micro gouttes d'eau étaient en suspension et dansaient au dessus de ma peau, portant de doux effluves de fleurs fraîches. On sent presque le vent qui les fait danser!
    La tenue est remarquable et il a une aura surprenante (je l'ai testé en eau de toilette), mais il développe au bout de quelques dizaines de minutes une note humus, qui ne serait pas désagréable dans ce tableau olfactif si l'aspect floral était un peu plus présent pour équilibrer le tout.
    Très agréable, et j'admire le travail du parfumeur, mais pas pour moi: j'aurais voulu beaucoup plus de gardenia.

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  4. Bénédicte, j'avais déjà trouvé ce côté "picotant" dans certains parfums d'Isabelle Doyen (notamment le Jasmin), mais ici il s'exprime pleinement. J'aurais bien aimé un peu plus de gardénia aussi: ici, il est à l'état de voile ou d'aura. C'est un bel effet...

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  5. le depart m'a beaucoup plus, difficile a decrire, comme une odeur de "courant electrique", une note metallique, un peu chaude, sur un effet un peu vert, comme l'odeur d'une tige de fleur, ensuite sur moi et sur la mouillette, rien en fleur, pas de traces de jasmin ou gardenia, mais une note aqueuse de melon, pas le melon orange mais plutot le melon vert, le melon d'eau, le parallele avec le jardin apres la mousson est bien trouvé, mais cet effet devient vite une odeur de pastèque rose gorgée d'eau

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  6. Vero, pas de fleur du tout? Mais il faut commencer à fumer! ;-)))

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  7. lol, je crois que ça me coutera plus cher que d'acheter du parfum ;)
    mon cheri teste aussi en meme temps que oi, c'est aussi un passionné des parfums et il a une belle collection, idem, il cherche les fleurs , la note de pasteque rose ecrase tout pour nous :(

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  8. Véro : c'est vrai que le gardénia et le jasmin ne sont pas très puissants... Mais quand on a chopé une note qui écrase tout, impossible de se la sortir du... nez (quelle métaphore immonde!!!).

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  9. Je suis en train de le découvrir, et c'est un coup de coeur! Effectivement, je ne sais pas si c'est la calone (avec laquelle j'ai du mal dans l'Eau d'Issey), mais je sens aussi ce côté floral/végétal/aquatique qu'on retrouve dans beaucoup de créations de l'Artisan parfumeur: "verte violette", "mimosa pour moi", "l'été en douce", "fleur de liane", chez Malle aussi avec "En passant", différemment dans "Vanille galante" et poussé à l'extrême dans "un jardin après la mousson" ou "aqua di Gio" et "l'Eau" par Kenzo dans le mainstream. Je ne sais pas si j'ai tort de mettre ces parfums dans un même sac, je ne pense pas que la calone soit présente dans tous ces parfums, ce qui me porte à les regrouper, c'est une sensation désaltérante, comme s'ils étaient gorgés d'eau. Ce sont mes parfums de prédilection pour le printemps! Inutile de préciser que Vanille galante est mon coup de foudre des ces derniers jours, et serait sans hésitation mon choix pour l'été prochain si ce n'était le prix...

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  10. Clochette, tous ces parfums comportent, me semble-t-il (il y a longtemps que je n'ai pas senti la violette et le mimosa) des notes aquatiques. Il ne s'agit pas forcément de Calone: il en existe d'autres.

    Pour Vanille Galante, il existe toujours l'option "mignonnettes", qui revient moins cher, surtout si l'on revend les deux autres ou qu'on les échange avec des aficionados!

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  11. Oh, oui, c'est vrai! Génial, merci de le souligner, d'autant que j'ai beaucoup aimé aussi Brin de réglisse et Vetiver Tonka! L'ambre doit être très belle, mais je n'ai pas eu l'occasion de la sentir! C'est terrible, je viens à peine d'acheter Songes que déjà ma tête est à mon prochain coup de coeur, incorrigible! ;)

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