La question m’a prise de court. Je venais de faire une rencontre délicieuse aux Journées Nationales du Livre et du Vin de Saumur : Ingrid Astier, dont La Cuisine Inspirée avait été sélectionné pour le prix Guerlain. Ingrid, experte en saveurs et en senteurs, s’intéresse forcément (et sur le plan littéraire) aux parfums. Nous nous étions lancées dans le genre de conversation rhapsodique, un peu décousue, qu’ont deux passionnés qui se trouvent, comparent leurs goûts et leurs connaissances, lancent des noms.
Puis cette question d’Ingrid : « Quel est votre parfumeur vivant préféré ? ».
Silence.
J’ai fini par citer le tandem Serge Lutens-Christopher Sheldrake, pour lequel mon goût, si vous avez suivi ce blog, est évident. Mais il ne s’agit pas d’un parfumeur : ils sont deux, et la dynamique de leur collaboration reste assez discrète, même si l’on peut déceler dans les Exclusifs de Chanel quelques idées, autrement appliquées et dans un style très différent, que Christopher Sheldrake a sans doute entraînées dans son sillage…
Alors que parmi les grands disparus, je pourrais citer quelques noms. Le plus évident est celui de Germaine Cellier : Fracas, Bandit, Vent Vert, Jolie Madame, Fleeting Moment/ La Fuite des Heures et Cœur Joie figurent tous dans ma collection. Contrairement à Edmond Roudnitska qui semble toujours avoir travaillé, affiné, permuté les mêmes accords de Femme à Dior-Dior, Cellier a beaucoup varié, mais sa patte, son culot, sa façon d’assembler des parfums à l’emporte-pièce, d’oser la surdose (tubéreuse dans Fracas, isobutyl-quinoléine dans Bandit, galbanum dans Vent Vert) sont aisément reconnaissables.
Je pourrais aussi citer François Coty et son audace fauviste dans l’usage des synthétiques ou Jacques Guerlain et ses fondus sensuels parfois mélancoliques : tous deux, travaillant pour leur propre maison, pouvaient se permettre d’approfondir leur propre style. Ernest Beaux n’aurait sans doute pas développé sa signature – aldéhydes qui font entrer les notes florales, boisées, cuirées en effervescence – sans sa fructueuse collaboration avec Gabrielle Chanel, bien qu’en fait, lorsqu’on sent son Rallet N°1, on y retrouve la matrice du N°5.
Je pourrais aussi citer François Coty et son audace fauviste dans l’usage des synthétiques ou Jacques Guerlain et ses fondus sensuels parfois mélancoliques : tous deux, travaillant pour leur propre maison, pouvaient se permettre d’approfondir leur propre style. Ernest Beaux n’aurait sans doute pas développé sa signature – aldéhydes qui font entrer les notes florales, boisées, cuirées en effervescence – sans sa fructueuse collaboration avec Gabrielle Chanel, bien qu’en fait, lorsqu’on sent son Rallet N°1, on y retrouve la matrice du N°5.
Mais justement : comme me le faisait remarquer un parfumeur toujours en activité qui a connu, aux laboratoires Roure, la grande époque du développement des parfums de couturiers, la création se faisait alors dans un plus grand climat de liberté. Le couturier travaillait en général avec une maison de composition, sinon un parfumeur : il lançait ce qui lui plaisait, éventuellement sous les conseils du directeur de sa section parfumerie, sans consulter ses experts marketing (il n’en avait pas) ou un panel de consommatrices. Les parfumeurs pouvaient donc se permettre de travailler un style plus cohérent, plus personnel – même si je ne doute pas une seconde que certains se sont entendu dire « Je voudrais un truc dans le genre du N°5 ou d’Arpège »…
Quant aux parfumeurs travaillant aujourd’hui, ceux dont j’admire les compositions sont presque trop nombreux pour être cités, mais rares sont ceux dont je puisse déceler le style assez nettement pour dire : « voilà, c’est mon préféré ». Ils œuvrent, on l’a assez dit, sous de nombreuses contraintes – temps, argent, briefs marketing plus axés sur le souhait de ratisser aussi large que possible, que sur celui de défricher de nouveaux territoires. Cela dit, les novateurs étaient sans doute aussi rares hier qu’ils le sont actuellement : le temps a fait le tri parmi les myriades de lancements des temps jadis. Au gré de ces chroniques, j’espère pouvoir repérer ceux qui se démarquent assez pour devenir les classiques de demain.
Image: Coloriage d'un nez, www.teteamodeler.com
Denyse, my dear-
RépondreSupprimerWhat TACT !
A very thorough and introspective look at a thorny inquiry.
I love the pen-and-ink.
Chaya, c'est plutôt de perplexité que de tact qu'il s'agit, vraiment! Je peux nommer dix, vingt, trente parfums contemporains que j'adore, mais aucune ligne de force ne se dessine. Cela m'a étonnée moi-même.
RépondreSupprimerJe crois que de nos jours, a cause des contraintes commerciales, les parfumeurs n'ont plus la possibilite de poursuivre leurs propres fils de creativite et du coup de developper une coherence entres les parfums qu'ils creent. C'est pour ca qu'on peut citer des dizaines de parfums qu'on aime, sans pouvoir citer un parfumeur en particulier (a part peut-etre Lutens/Sheldrake et J-C Ellena).
RépondreSupprimerPour renchérir sur le commentaire de Tara, je ne trouve a priori de véritable fil rouge olfactif que chez Sheldrake(/Lutens) et chez J.-C. Ellena... mais effectivement, c'est peut-être aussi parce que l'un comme l'autre ont l'opportunité d'exprimer un style qui leur est propre. Quand les briefs sont uniformément hyper-restrictifs, difficile de laisser vraiment filtrer une touche personnelle reconnaissable...
RépondreSupprimerPour moi, dans les toujours-en-activité, je citerais immédiatement le tandem Lutens-Sheldrake... mais comme vous l'avez dit, où commence vraiment le travail de l'un et où finit celui de l'autre? Que j'aimerais pouvoir me faire souris et voir ça de plus près!
Tara,
RépondreSupprimerPeut-être qu'avec la nouvelle tendance à recruter des parfumeurs maison (Duchaufour chez l'Artisan, Wasser chez Guerlain) on retrouvera le fil un peu plus souvent? Quant à Duriez chez Patou, hélas, ça ne semble pas bouger du tout. Procter & Gamble n'ont pas l'air de savoir quoi faire de cette maison au patrimoine superbe.
Six, en effet, le travail des tandems (Lutens-Sheldrake, Polge-Demachy et maintenant Sheldrake, jadis Kerléo-Duriez, et j'en passe) est mystérieux...
RépondreSupprimerPour ce qui est d'un style cohérent, je crois qu'en prêtant attention, on peut sans doute déceler des accords récurrents ou des façons d'assembler, chez des gens comme Maurice Roucel, Annick Ménardo, Mark Buxton, et bien d'autres... Olivia Giacobetti avait une patte assez reconnaissable, mais que fait-elle en ce moment? On n'en entend plus parler...
C'est une question avec des implications, bien sûr! Je comprends la silence.
RépondreSupprimerC'est vrai que quelques parfumeurs ont un style identifiable, comme Giacobetti ou JC Ellena (mais pas son beau frère!) , specifiquement quand ils sont libres a créer ce qu'ils vont. Même pour Roucel, qui a le copyright en "magnolia leaf" accord. (pas vraiment, mais tu sais ce que je veux dire!).
Tu as oublié (?) Bourdon et Ropion en ce qui concerne le grand style d'autrefois marié à la modernitée: ils sont "mis" dans la tradition , mais ils avont l'air diversifiée de Cellier ~ils ont crée des choses très differentes: Cool Water mais aussi Feminité du Bois; Ysatis mais aussi Carnal Flower (et il y a une hyperbole dans ces parfums, en plus!).
C'est vrai que Giacobetti était l'enfant gaté d'hier, etant discutée en fora et en blogs tous les jours, quand maintenant elle est hors de favoris. Pourquoi? C'est peut-être aussi que nous n'écoutons plus de nouvelles concernant à elle...
J'ai en effet songé à Dominique Ropion et Pierre Bourdon, qui sont en effet des grands. Mais la question portait sur mon parfumeur préféré...
RépondreSupprimerQuant à Olivia Giacobetti, depuis que sa marque, Iunx, n'existe plus, il est vrai que même sur les blogs qui transmettent les actualités, on n'a pas de nouvelles. Je ne pense pas que c'est parce qu'elle est "boudée" après avoir été encensée. Et j'espère que c'est parce qu'elle prépare un nouveau projet ambitieux.
Quand on nous pose ce genre de question, on a mille noms qui nous viennent à l'esprit, on est tenté de mettre dans ce sac tous les parfumeurs qu'on admire. Je me suis posé la question sous cet angle: si je pouvais choisir n'importe quel parfumeur, vivant ou mort, pour me faire sur-mesure le parfum de mes rêves, qui choisirais-je? La réponse vient plus facilement comme ça, pour moi ce serait Maurice Roucel! Il y a certainement beaucoup d'autres dont j'admire autant si ce n'est plus l'oeuvre, mais Roucel est mon préféré!
RépondreSupprimerMuguette