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lundi 19 mars 2012

Francis Kurkdjian rêve d'HollywOUD



L’oud[i] n’est plus une vogue mais un geyser… Et Francis Kurkdjian, qui accueille les journalistes dans sa ravissante petite boutique parisienne de la rue d'Alger pour leur présenter sa nouvelle création, le sait tout aussi bien que ses interlocuteurs. Pourquoi donc s'orienter vers cette note après tous ses camarades alors qu'il a le luxe inouï de diriger sa propre maison?

S’il a fait un oud, avoue-t-il, c’est en fait parce qu’on le lui a demandé (même un parfumeur indépendant peut avoir des partenaires en affaires). Le problème n'était pas tant, d'ailleurs, qu'on lui donne une orientation, puisque c'est le quotidien des parfumeurs tout au long de leur carrière, mais de démarrer sur une matière première, alors qu'il part toujours d'une histoire, d'une ambiance ou d’une « muse ». Il a donc dû rétropédaler pour se l’inventer, son histoire d’oud, en convoquant des rêves de palais en marbre et en or dans les dunes, de pyramides dans les vents de sable, de Lawrence d’Arabie… 

En guise de clin d’œil ironique à ce fantasme d’Orient assumé – bien que par ses racines arméniennes il n’y soit pas entièrement étranger – il a baptisé son parfum-en-devenir « Hollywoud ». Puis, au finish, Oud tout court, tout nu, parce qu’il n’avait aucune envie de l’affubler d’une épithète exotique mais plutôt de poser cette note, qu’il appelle « l’ambre gris du 21ème siècle », « comme Guerlain ou Carven ont posé le vétiver ». Ce qui impliquait de l’exfiltrer du style French-Arabian destiné à courtiser les pétrodollars. De toute façon, comme il avait déjà donné dans la rose boisée avec ses Lumière Noire pour Femme et pour Homme, il n’était pas question de rempiler avec un accord rose-oud… Pour s’approprier la note dans cet exercice imposé, « l’accueillir comme un nouvel acteur charismatique dans ma palette », il lui fallait dompter les « contours un peu sauvages » de la matière première. Lui enseigner à parler la langue de la parfumerie française, telle qu’il la pratique.

Du coup, avoue Francis K., son oud n’est sans doute pas de ceux qui plairont au Moyen-Orient (« pas assez fort, mon fils ») bien que, contrairement à la plupart des produits occidentaux qui revendiquent la note, son Oud en contienne réellement. Il explique avoir voulu le traiter en aquarelle. Il l’a donc dépouillé de ces facettes vieille chaussure ou tapis en peau de biquette retour de Marrakech qu’on retrouve souvent dans les ouds des parfumeurs moyen-orientaux. Son rêve de palais dans un vent de sable suggérait des textures dorées, fauves et soyeuses. Il a donc allégé son oud en le tendant sur un cadre en bois. Sur l’axe horizontal, un cèdre Atlas aux nuances « confiture de bois chaud », presque « confiture de fraise ». À la verticale, travaillant en tête-cœur-fond, un patchouli. La résine d’élémi, zestée et poivrée, ajoute de la vibrance aux notes de tête ; ses facettes épicées sont relayées par le safran, qui renforce les accents cuirés de l’oud. Un fond de vanille ajoute du confort aux effets miellés, un peu civette, que dégage naturellement l’oud.

Au final, l’Oud de la Maison Francis Kurkdjian traduit parfaitement les intentions de son auteur : ses délicates nuances cuirées et animalisées jouent avec une grande légèreté sur les aspects les plus élégants de la note – vent du désert soufflant dans un voile finement tissé plutôt que selle de caravanier. Nettement moins fauve que son Absolue pour le Soir aux relents d’after-hour hardcore, cet Oud pourrait parfaitement séduire ceux qui auraient une aversion pour la note, ou les amateurs de cuirs orientalisants…


[i] Vous l’aurez peut-être remarqué, je n’écris pas « le oud », mais « l’oud ». Dès le moment où ce matériau intègre le langage des parfumeurs français, il n’y a aucune raison pour qu’il n’obéisse pas aux règles de la grammaire.

8 commentaires:

  1. ça a l'air un peu timide pour moi... j'aime mes ouds à la poitrine bien poilue. :-)

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  2. Tara, timide je ne sais pas... délicat, certainement. Francis K. le dit clairement: c'est un oud apprivoisé par sa sensibilité d'Occidental. Perso, ça me va!

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  3. Chère Denyse, le problème du mot oud en arabe transposé en français, est que là où nous voyons un "ou", en réalité en arabe c'est bien une consonne (le "ayn")qui est la première lettre du mot. Mais cette consonne n'existe pas dans l'alphabet français...Peut-être que c'est le "w" qui s'en rapprocherait le plus...à l'oreille, quand on connaît le mot arabe, "l'oud" choque plus que "le oud", même si je vous l'accorde c'est un non-sens grammatical.

    Narriman.

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  4. D'ailleurs vous avez résolu le problème en parlant d'HollyWoud ;)

    Narriman

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  5. Narriman, je sais bien que "le oud" est une façon très approximative de rendre la prononciation arabe, et que sans doute n'a-t-on pas retenu l'orthographe "woud" pour des raisons de confusion avec "bois" en anglais (ce qui donnerait le cocasse "woud wood"). Mais comme nos langues se nourrissent les unes des autres de mots d'emprunt qui finissent par se plier au règles de la langue "emprunteuse", j'amorce le mouvement! Je citerais l'exemple d'Hollywood, qui en anglais est un "h" aspiré: on le traite comme s'il commençait pas "o".
    Je dirais même que cette francisation de l'oud correspond exactement à la démarche olfactive revendiqué par Francis K.!

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  6. De toutes façons, les mélanges sont beaux.

    Narriman

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  7. "Oud" de Francis Kurkdjian est un parfum d'une rare élégance. Le bois de oud est travaillé avec finesse, on le sent à peine (pourquoi avoir donner le nom de "Oud" à cette fragrance ?). C'est un parfum évolutif avec de multiples facettes, possédant de belles matières et une remarquable persistance aromatique (du moins sur ma peau).
    Son principal défaut : son prix ! Près de 200 euros pour 70 ml (ce n'est que de l'eau de parfum)...

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    1. En effet, c'est un prix assez rédhibitoire -- qui dépasse la limite psychologique de ce que je payerais pour un flacon, perso... Mais c'est aussi une très belle interprétation du thème "oud".

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