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mercredi 14 décembre 2011

Neela Vermeire Créations: aller-retour Paris-Mumbai (et tirage au sort)



Pour qui aime les parfums, faire traduire ses idées dans des flacons est forcément un rêve. Et quand j’ai rencontré Neela Vermeire par une amie commune, voilà ce qu’elle était, une amoureuse des parfums, bien qu’elle ait déjà entamé une conversion en proposant des visites guidées des hauts lieux de la parfumerie. Rien d’étonnant, sans doute, à ce qu’au gré de ces itinéraires, elle ait fait un grand détour par son Inde natale pour mieux revenir à Paris, où elle vit depuis plusieurs années. C’est ici qu’elle a entamé une tournée des labos avec son projet : traduire le patrimoine olfactif de l’Inde dans le langage de la parfumerie française contemporaine. Rien d’étonnant non plus à ce que de tous les parfumeurs rencontrés, ce soit à Bertrand Duchaufour que ce projet ait le plus parlé : grand voyageur, il connaît l’Inde et a souvent composé des carnets de voyages olfactifs.

Mais ce croisement des cultures n’est pas la seule originalité du projet de Neela. Son passage du statut d’amateur éclairé à celui de propriétaire de marque annonce peut-être un déplacement dans les donnes de l’industrie. En effet, plus j’en explore les coulisses, plus je suis persuadée que l’époque des blockbusters tire à sa fin, du moins en Occident (l’immense marché naïf que représente la Chine, n’ayant pas de points de référence, sera sûrement plus réceptif aux iFrags pré-formatés). Pour moi, si la parfumerie doit se trouver une âme, ce sera en s’inspirant d’histoires intensément personnelles plutôt que de briefs « taille unique ». Cette inspiration pourra provenir des parfumeurs eux-mêmes ; d’autres domaines de création comme l’art, la littérature ou la gastronomie ; ou alors, d’individus comme Neela, qui ont des histoires à raconter, un patrimoine à exprimer, des rêves à illustrer (je pense aussi, notamment, à Like This d’État Libre d’Orange, créé par Mathilde Bijaoui pour Tilda Swinton, parfum profondément personnel et, partant, émouvant pour plus d’une personne…).
Cela dit, Neela prend soin de préciser que les notes de chaque parfum sont issues de ses recherches historiques sur les matériaux utilisés à chaque époque plutôt que sur ses souvenirs personnels... Pour en savoir plus, je vous renvoie à son site.

Bombay Bling: floral fluo
Diana Vreeland disait que le rose était le bleu marine de l’Inde. Et si une couleur se dégage de Bombay Bling, malgré la prédominance de son bouquet de fleurs blanches, c’est bien un rose tyrien pétant, qui éclate d’une mangue verte râpeuse grosse comme le Taj Mahal (j’y sens comme une goutte de framboise, bien que l’autre fruit mentionné dans les notes soit le lychee). Ce parfum est à la fois dodu et moelleux comme un coussin en soie, et aussi joyeusement tape-à-l’œil – bref, « bling » -- que les grands jus floraux des 80s, à commencer par Giorgio Beverly Hills (même si le principal intéressé nie toute ressemblance entre les formules). D’ailleurs, dès que je l’ai senti, j’ai rebaptisé le parfum « Giorgio goes to Bollywood ».
D’ailleurs, de la même façon que l’attirail féminin des années quatre-vingt était tellement excessif qu’il virait au travesti, Bombay Bling réalise en cours de développement un numéro de transformisme à la Victor-Victoria en dévoilant, sous son opulent buisson rose-tubéreuse-gardénia, un fond fougère boisé-tabacé franchement masculin.

Mohur: Rose-iris rétro
Comme les trois compositions, Mohur est un parfum symphonique dans lequel on peut entrer de plusieurs façons. Par exemple, par la structure traditionnelle rose-oud qui le fonde ; ou alors, comme moi, par son grandiose accord rose-iris, dont le style presque rétro est assez inusité chez Bertrand Duchaufour. Cela dit, le parfum se situe dans une région de la carte olfactive qu’il a déjà explorée avec La Traversée du Bosphore et Mon Numéro 8, hommage à Après l’Ondée : un axe rose-violette-iris-cuir aux accents amandés (étant donné le nombre de créations de leur auteur depuis quelques temps, on peut commencer à les analyser comme des séries jouant sur des effets différents, mais apparentés, dont la logique est dictée par certaines harmonies olfactives).
Mohur et Bosphore ne sentent pas la même chose, mais tous deux réalisent le même tour de passe-passe en faisant surgir un dessert au cœur de leur bouquet. Cette fois, au lieu d’un loukoum, c’est une pâtisserie indienne, suscitée par deux matériaux-fétiches de la palette duchaufourienne, la cardamome et la carotte (en quelque sorte exigée par l’iris), relevant un effet de lait d’amande aux accents aubépine, arrosé d’eau de rose. Le côté un peu savonnette à l’ancienne de l’accord floral équilibre cette note gourmande ; la quantité époustouflante de rose confère au parfum une opulence qui séduira certainement les amateurs de parfums vintage.

Trayee: Fumé baumé
Fumé, épicé, résineux, baumé : pour les amateurs de parfumerie de niche, Trayee aura tout bon. Des trois, c’est d’ailleurs nettement mon préféré, et je pense ne pas me tromper en soufflant que c’est aussi celui de Sixtine d’Ambre Gris (j’étais là quand elle les a découverts), ainsi que de confrères blogueurs anglophones comme Kevin de Now Smell This, qui y décèle des senteurs d’officine d’aphothicaire, ou Persolaise, qui lui trouve des accents de malai kulfi.
Pour moi, Trayee se construits autour des contrastes et des connivences entre la fumée et les baumes : la première est évoquée sur tous les tons par l’accord « ganja », le clou de girofle, le santal, le vétiver, l’encens et l’oud ; les seconds, par la myrrhe, la vanille et des notes ambrées. Sur mouillette, le parfum est sec, presque combustible, boisé-épicé avec un fond cuir (le safran et l’oud), éclairé par des rayons verts (cardamome, cassis bourgeon, basilic). Sur peau, en tous cas sur la mienne, l’effet est nettement plus velouté et baumé ; il évolue vers un accord santal-jasmin qui rappelle de loin Samsara. Mais là où le classique de Jean-Paul Guerlain m’a toujours légèrement porté sur le foie, Trayee réussit à équilibrer ses effets de façon plus moderne – le traitement aérien de matériaux riches et lourds, leur devenir-fumée, est l’un des grands talents de Bertrand Duchaufour.

Les parfums de Neela Vermeire sont disponibles sur son site, qui propose un jeu d’échantillons de 2 ml ainsi qu’un kit découverte de vaporisateurs de 10 ml. 
  
Neela offre gentiment un jeu de d’échantillons aux lecteurs de Grain de Musc,. Parlez-moi dans votre commentaire des odeurs que l’Inde évoque pour vous, et Miss Jicky mettra la patte sur l’heureux gagnant…

Photo tirée du grandiose Narcisse Noir de Michael Powell et Emeric Pressburger (1947)

Ajouté le 16/12: Le tirage au sort est maintenant terminé, mais je serais ravie de lire d'autres évocations parfumées de l'Inde!

22 commentaires:

  1. Malheuresement, je n'ai jamais été en Inde - mais j'ai beaucoup rêvé de ce pais à travers les livres, les films et les images!
    Voilà donc mes stéréotypes: des épices, de la poussière, une rose onctueuse aux accents de safran, quelques volutes d'encens, du bois de santal d'un coté...de l'autre, je rêve des fleurs de jasmin et de tubéreuse un peu corrompues par l'humidité et la chaleur. Un rêve!!

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  2. Oh, vous nous mettez l'eau à la bouche... De l'Inde, je ne connais surtout la cuisine. Thalis renversants de parfums, gateaux versicolores (kesari, barfi). Mélanges d'épices que j'aime aussi porter sur la peau. Safran Troublant et l'Eau de Dyptique sont mes préférés.

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  3. Zazie, je pense que ça ne doit pas être loin du compte... encore que l'Inde, c'est immense! Donc il y a de ça et de tout le reste, y compris l'accord ganja de Trayee.

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  4. Ingrid, "gâteaux versicolores", c'est ravissant! J'adore aussi Safran Troublant, je l'ai acheté dès l'avoir découvert...

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  5. Je rêve que l’un de ces trois parfums soit l’âme de mes pensées que je me pose sur la peau à défaut de ne pouvoir la toucher de ma vie, l’Inde !

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  6. L'inde reste une grande inconnue.
    Alors ce sera celle de mes "clichés " et phantasmes.
    C'est un parfum généreux, violent et tendre, chamarré et langoureux.
    Humide comme une mousson et sec comme la poussière des routes et du curry.
    Tonitruant comme une rue de Calcutta puis d'onde en onde, pénétrant et profond comme le salon reculé d'un palais où se boit du thé sucré et lacté. à illustrer de vraies matières olfactives, qu'en petite amateur, je ne connais pas assez.
    carmenca-hélène

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  7. J'ai plusieurs fois parcouru l'Inde, et à chaque voyage tout "a été à refaire", comme si le pays était neuf à jamais. Du nord, je me souviens de mes déambulations dans des sculptures de marbre, les palais, la poussière des bazars, les effluves mêlées des temples. Mais le nord, la seconde fois, ça a aussi été les cimes himalayennes, la marche dure, l'odeur de ma sueur et le soir, le repos absolu dans des vallées couvertes de champs.
    Et si, d'un coup de pinceau, vous partez à Bombay, alors vous rencontrerez l'odeur de la mer sur Marine Drive, les vendeurs de fritures, et les échoppes de parfums. Dans un minuscule flacon de verre, on mêle l'huile de santal et la rose. Bombay l'ancienne et Mumbai la moderne, les jeunes femmes portants des parfums parisiens alors que je suis en quête de fragiles flacons de verre à Colaba...
    Et le sud, les palmiers, la mer partout et les enfants qui jouent au cerf-volant dès que le soir tombe, les odeurs vertes, la feuille de bananier qui sert d'assiette, les thalis saturés d'épices, les doigts qui plongent dans les plats...

    je ne sais pas ce que je préfère, mais l'Inde et mon amour des parfums se côtoient si parfaitement que j'en suis toujours émue. Alors si je ne devait choisir qu'un seul aspect et souvenir olfactif, ce serait celui des lourdes grappes de jasmin que les femmes tamoules se mettent dans les cheveux au petit matin. Leurs longues chevelures noires, brillantes d'huile de coco, mettent en valeurs la blancheur du bouquet. Et ce qui me transporte, c'est l'odeur, le soir, de ce jasmin passé, écrasé par la chaleur du jour, gorgé de soleil-sueur, un jasmin humain, trouble, et qu'on abandonne dans la poussière du soir.

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  8. Votre texte est un délice, tout à la fois intéressant et... "transportant" ! Il apporte des connaissances (je n'avais aucune idée de cette marque, je cours illico sur ce site) mais surtout il fait rêver, par vos mots vous arrivez (presque) à créer des volutes parfumées : totalement grisant ! Ah comment voulez-vous qu'au sortir d'une telle lecture, on arrive à écrire un commentaire relativement clair et sensé ;-) !
    Pour répondre à votre question, pour moi l'Inde c'est une foultitude de parfums tant sucrés, fumés, boisés qu'orientaux évidemment. C'est un tourbillon olfactif suave et troublant. Si je devais cependant en mettre un à part qui les domine tous dans mon coeur et qui aussi synthétise mon idée de l'Inde, c'est le SANTAL qui s'imposerait. Et si je ne devais citer qu'un santal, ce serait le splendide et méconnu Santal de Mysore de Serge Lutens.
    alizarine

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  9. Anonyme, merci pour ce commentaire poétique: je vous souhaite de pouvoir voir (et sentir) l'Inde un jour!

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  10. Hélène, si c'est un fantasme, je veux y habiter...

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  11. Mandine, que dire, sinon merci pour ce texte, la beauté de ces mots et de ces souvenirs? J'espère que de nombreuses personnes le liront...

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  12. Alizarine, merci... Quand les parfums sont bons, on essaie d'être un peu à la hauteur! Je suis moi aussi très sensible à Santal de Mysore, depuis son lancement -- je le porte d'ailleurs de préférence par grande chaleur. Je crois que vous aimeriez aussi Trayee: il ne lui ressemble pas mais il joue dans un registre semblable.

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  13. Je me souviens essentiellement de la poussière, du Chaï des pots d'échappement et d'une sensation de saturation olfactive et auditive permanente. C'était l'été, loin de Pondichery et de la mer, dans les villages à la rencontre de la culture dalit. Une expérience inoubliable et pourtant là peu de souvenirs olfactifs me reviennent. J'espère que ces trois parfums que j'attends impatiemment maintenant m'apporteront quelques lumières!

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  14. La nuit porte conseil, comment est-ce que j'ai pu oublier le jasmin! Les guirlandes de jasmin que les femmes s'accrochent dans les cheveux et l'huile de coco pour les cheveux également. La terre rouge, les forets d'eucalyptus, l'encens d'Auroville près de Pondicherry, le riz qui cuit et les repas servis sur une feuille de bananier. Je me souviens aussi du neem dont on tire une huile à l'odeur assez forte. Et du chaos olfactif des marchés: épices, légumes, fleurs, viande fraiche, des innombrables tas d'ordures et des vaches éboueuses.

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  15. Anatole, je vois très bien comment des impressions intenses peuvent produire une impression de saturation, sans qu'on distingue les détails, ni sur le coup, ni dans ses souvenirs... A moins de prêter une attention détaillée sur place, il n'y alors que la surprise d'une odeur revenante qui peut déclencher une image précise.

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  16. Le jasmin, porté par les femmes mais aussi accroché chaque matin sur le rétroviseur de la voiture.
    Je n'avais emporté qu'un unique et minuscule flacon de parfum pour ce voyage : une huile parfumée... au jasmin. Intense satisfaction de me sentir "accordée".
    Et puis partout, l'encens.Pas un bâtonnet, mais des dizaines de bâtonnets qui brûlent partout. Apothésose dans les temples, où leurs odeurs lourdes et fumées se mêlent à celles, écoeurante, du ghee dont sont faites les petites bougies.
    Le souvenir d'une incursion dans un petit temple jamais visité, devenu refuge de chauves-souris... une odeur (j'avais écrit une horreur !) absolument vomitive.
    Et enfin, les odeurs du marché de Pondichéry, avec traversée en apnée de la halle aux poissons (à éviter passé 10h, ce que je n'ai pas fait).
    Un voyage olfactif pour amateurs de sensations fortes !
    Des odeurs balayant un grand spectre, jusqu'à une g

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  17. Géraldine, commentaire tronqué (interruption?) mais déjà très évocateur... y compris des odeurs dont on peut rapporter le souvenir, mais qu'un parfumeur ne pourra jamais inclure dans l'évocation olfactive d'un voyage!

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  18. En effet, les notes de poisson pas frais me semblent assez dispensables même pour une marque de niche très pointue.
    Plusieurs jours ayant passé depuis que j'ai posté ce com, j'ai bien évidemment oublié ma conclusion.
    Le souvenir que je garde des parfums de l'Inde est, en tout cas, contrasté et assez violent.

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  19. Merci en tous cas d'être repassée, et si jamais ça vous revient...

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  20. je reviens pour dire que "Trayee" est incroyable... Merci de m'avoir fait découvrir ce parfum qui va me hanter aussi longtemps que les effluves du pays. Coup de foudre olfactif absolu.
    alors merci !

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  21. Mandine, merci de ces impressions en retour. Je suis ravie de vous avoir procuré ce voyage olfactif.

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