More to Read - Encore des lectures

dimanche 2 octobre 2011

Bottega Veneta de Michel Almairac: "J'ai trouvé l'odeur de cuir que je cherchais depuis des années..."



(For the English version, click here.)

Comme Bottega Veneta est surtout renommé pour ses luxueux sacs à main en cuir tressé, le cuir semblait particulièrement indiqué pour le premier parfum de la maison. Michel Almairac précise toutefois que ce n’était pas le brief. Mais puisqu'il avait trouvé l’accord cuir de ses rêves, et qu’il en est à un stade de sa carrière où, dit-il, « je préfère ne pas gagner un projet que de faire un projet que je n’aime pas », il en a fait le cœur de sa proposition. Bien vu : lorsqu’il l’a sentie, le regard de Tomas Maier, directeur artistique de Bottega Veneta, s’est illuminé. Quelques essais plus tard, la formule était bouclée, raconte le parfumeur grassois au petit groupe d’auteurs de blogs mode et parfum invités par Bottega Veneta.

Tandis que nous sentons une mouillette imprégnée de l’accord cuir, Almairac explique qu’il résulte de  la combinaison d’une nouvelle matière synthétique et d’une matière première naturelle qu’il connaît bien. Mais il n’a aucune intention de les identifier.
Je fronce tellement les sourcils au-dessus de la mouillette qu’Almairac s’interrompt pour me demander si je ne suis pas d’accord avec ce qu’il en train de dire à ce moment-là. Il est vrai que les blogueurs mode veulent surtout savoir ce qu’il pense de Bottega Veneta (du bien) ou pour quel type de femme il a créé le parfum (aucune, toutes, il n'y a pas pensé), et qu’il a peut-être envie de changer de sujet… Mais ce n’est pas forcément le moment de s’engager dans une conversation trop technique, et puis je cherche encore à déduire ce qui compose ce fameux accord. 
Je décèle un effet osmanthus – abricot confituré, violette, daim – ainsi qu’un aspect iodé assez inhabituel que j’associerais à la mousse de chêne ou à ses dérivés de synthèse comme l’Evernyl. Plus tard, lors du cocktail, Almairac valide mes impressions sans toutefois confirmer mes déductions. S’il a voulu un effet iodé dans son cuir, c’est que pour lui, les villes portuaires dégagent en effet une odeur cuirée… Ce vent marin (mais pas aquatique, ne pas confondre) n’est pas ce qui donne à Bottega Veneta son caractère, mais il lui confère une pointe d’étrangeté.

S’il se dégage néanmoins une petite impression de familiarité de ce cuir velouté comme une peau d’abricot, c’est qu’Almairac a déjà joué sur l’accord violette-cuir dans le Cuir Améthyste d’Armani Privé – lorsqu’il trouve une meilleure façon d’exprimer une idée, pourquoi un parfumeur ne la revisiterait-il pas ? Maintenant que c’est fait, l’accord ne sera plus réutilisé.
Mais jouer uniquement sur le cuir aurait entraîné le parfum vers des territoires trop proches des codes « niche ». Almairac l’a donc faufilé, comme les artisans de Bottega Veneta tressent leurs lanières de cuir selon la technique de l’intrecciato, dans un chypre que les facettes abricot de l'accord cuiré et une note prune tirent vers le fruité... Tout ça se tient.

La famille des chypres a fait une remontée spectaculaire au cours de la dernière décennie : de 2% des lancements en 2000 à 25% en 2010. Le choix reste quand même assez culotté pour le premier parfum d’une maison de luxe, mais il correspond assez bien aux collections de prêt-à-porter élégantes et adultes de Tomas Maier (qui, comme Alber Elbaz chez Lanvin, donne l’impression de travailler pour de vraies femmes, à qui il arrive d'aller au bureau).

Senti isolément, l’accord chypre est un peu décalé, notamment parce que la bergamote y est plus « confiserie » que d’habitude. Il s’agit en fait, explique le parfumeur, d’un produit fractionné, autrement dit modifié de façon à en retirer certaines molécules dont on ne souhaite pas l’effet : une essence naturelle « couture », dont Robertet, où Michel Almairac travaille depuis 1998, s’est fait une spécialité. De même, le patchouli a été amputé de ses aspects moisis et camphrés ; le jasmin sambac a perdu ses fractions vertes.
Une baie rose CO2, produit-star de la parfumerie depuis deux ou trois ans, fait vibrer la bergamote « confiserie » en note de tête. Ses effets encens font remonter rapidement un accord cuiré glacé d’une confiture d’abricot légèrement caramélisée – comme si elle avait attaché au fond de la casserole. Mais, pour rester dans les métaphores cuisinières auxquelles le parfumeur a volontiers recours, l’amertume du cuir et de la mousse de chêne « déglacent » cet effet sucré. Et si l’on cligne un peu du nez pour se concentrer sur le cœur floral/lactonique du parfum, on peut y deviner le fantôme d’une autre interprétation des chypres fruités signée Almairac, le Rush de Gucci, mais sans l’éclat néon bleuté des aldéhydes…

Le parfum est à la fois bien facetté et d’une facture dépouillée – Almairac préfère les formules courtes même si, explique-t-il, il est plus difficile d’y dissimuler les défauts techniques. Si Bottega Veneta se situe dans une zone de la carte olfactive déjà explorée par le Daim Blond de Serge Lutens ou le Cuir Améthyste déjà cité ci-dessus, il propose une alternative élégante : note exquise, bel équilibre, volume appréciable – la prune domine le sillage – mais texture assez fine pour porter dans un contexte professionnel. Manifestement, Coty Prestige, la division qui produit également les parfums Chloé et Balenciaga, sait travailler des parfums mainstream qui ont assez de caractère pour intéresser à la fois les amoureux du parfum et les clientes de Sephora.
Reste à leur souffler l’idée de rééditer un coffret des grandes créations de François Coty, déjà repesées en 2004 pour le centenaire de la société…

La jeune et grave Diane chasseresse photographiée par Bruce Weber est Nine d’Urso, fille de l’incomparable Inès de la Fressange et de Luigi d’Urso.




22 commentaires:

  1. Salut Denyse !

    Comme j'ai envie de l'aimer ce cuir là ! Je ne l'ai pas encore senti, je me fait un petit suspens...

    Cela dit, j'ai enormément de mal avec Cuir Améthyste (même que des fois moi ze...), et c'est aussi le cas pour beaucoup d'autres créations d'Almairac. Encore, Duchaufour, j'admire, mais je comprend pas (je manque de recul, c'est fou), mais Almairac, j'admire, mais je peux pas. Chloé a été un choc pour moi (même que des moi ze... pour de vrai !)

    Voleur de Roses, la même (mais même que des fois moi ze... pas).

    Cela dit, celui là je le sens bien. J'appréhende bien la note Robertet, l'aspect cuiré moelleux, et j'imagine même cette petite rose iodée...

    Je sens ce parfum et je reviens :D !
    Jicky

    RépondreSupprimer
  2. Jicky, en tous cas, au moins, le fait de ne pas comprendre ou de ne pas pouvoir porter les compositions d'un parfumeur signifie qu'il a une vraie signature. Et ça, je ne peux pas m'empêcher de trouver ça préférable au "bon, bof, suivant..." J'attends donc le résultat du test!

    RépondreSupprimer
  3. Bottega Veneta a résolument une identité olfactive, car ce parfum m'a rappelé l'odeur des petits grigris parfumés en cuir tressé que la marque avait développé en collaboration avec l'Artisan Parfumeur dans le passé. Bien entendu le rendu est très différent sur la peau: mon bras c'est pas du cuir et il ne sème pas de la petite poudre parfumée bizarre à chaque mouvement.
    Un cuir-encens-sucre glace oui, je vois l'aspect iodé dont tu parle, je l'ai perçu surtout à la vaporisation en fait. On aimerait trouver davantage de jolies choses comme ce parfum dans la parfumerie mainstream...

    RépondreSupprimer
  4. Bénédicte, il y a eu aussi ces bougies parfumées d'Olivia Giacobetti pour l'Artisan (trois, je crois?). De mémoire, très belles. Et qu'on aurait bien voulues en parfums à porter.

    RépondreSupprimer
  5. Oui les bougies étaient aussi très belles! En tous cas les pochettes parfumées en cuir tressé embaument toujours.

    RépondreSupprimer
  6. houla j'irai sentir ça, ça m'inspire vraiment...

    RépondreSupprimer
  7. Bonjour Denyse, suis nouvelle sur votre blog... Merci pour le billet sur Bottega Veneta. J'ai craqué dessus, dès que je l'ai découvert à la rentrée... Je lui trouve des similitudes avec de nombreux chyprés classiques (le côté iodé en moins), notamment avec Profumo (plus hespéridé, oui) d'Aqua di Parma. Par contre, s'agissant du flacon, il est dommage que Coty n'est pas poussé le marketing jusqu'à éviter de le graver à l'arrière avec les éléments d'information relatifs à la marque... Il est vrai que le fond de la bouteille ne permet pas le gravage à cet endroit. Mais là, derrière, à cet endroit, ça enlève du cachet à l'ensemble et amoindri son positionnement résolument luxe.

    RépondreSupprimer
  8. Lola, j'avoue que je n'avais pas remarqué les éléments gravés derrière le flacon, mais en revanche je trouve que la texture donnée à la base est jolie (en plus d'être antidérapante).

    RépondreSupprimer
  9. Oui, joli fond qui fait immédiatement penser aux sacs tressés de la marque... J'ai chipoté un peu, j'avoue. Très beau jus, anyway !

    RépondreSupprimer
  10. Lola, de mon côté j'ai peut-être le tort de ne pas m'intéresser outre mesure aux flacons... Il est vrai que je suis "déformée" par mon intérêt pour la parfumerie de niche où ils sont tous identiques dans une collection.
    Mais, oui, très beau jus!

    RépondreSupprimer
  11. Oui, c'est vrai en parfumerie de niche, mais même FM ne fait plus figurer le volume d'alcool devant l'étiquette, où se trouve le nom du parfum, mais derrière, j'ai pu constater cette évolution sur les flacon. Merci Denyse de nous avoir donné ce post, je désespérais de lire un billet sur BV... Et je surf souvent sur les blogs parfumés, en grande curieuse et addict du monde de la parfumerie... Je suis plutôt "niche" aussi, du moins, le suis-je devenue, au fil de l'eau et surtout des lancements désastreux... J'ai encore beaucoup à explorer, cependant.

    RépondreSupprimer
  12. Lola, Ambre Gris assistait elle aussi à cette présentation, je suis sûre qu'elle rédigera son avis. Côté anglophone, 1000fragrances en parle.
    Moi aussi j'ai tendance à graviter vers la parfumerie d'auteur (je ne sais même plus ce que niche veut dire, à force) mais dans le cas présent, je me suis rendue à l'invitation d'autant plus volontiers qu'ayant déjà senti et apprécié le parfum, je savais que je ne courais pas le risque d'être déçue et de devoir sourire hypocritement par-dessous la mouillette!

    RépondreSupprimer
  13. Bonjour Denyse.

    Le billet est, comme très souvent, fort agréable, enrichissant, et, furieusement incitant à la découverte...

    C'est chose faite depuis quelques semaines à peine. Ce parfum, je n'y étais pas prêt, m'attendant à un patchoufruit de plus. Quelle surprise. Il est, sur mouillette, d'abord un peu rêche, voire revêche, et tant mieux, par ce cuir si imposant, l'une de mes familles de prédilection avec les chypres. Vous imaginez, dès lors, mon bonheur, atteint par le syndrome du nez collé à la mouillette telle une moustache postiche apposée sur la lèvre. Un chypre cuiré et fruité sans racolage, mais avec harmonie et grâce. Le coeur du parfum est aussi addictif que la tête bien que très différent.
    Je dirais que "néo-rétro chypre" lui irait fort bien. Mais, peu importent les mots, quelle surprise ! Agréable et inattendue.

    Entre le caramel benjoin-isé du caramel aérien qui ne colle pas aux dents de Prada, L'Essence d'un Balenciaga qui était déjà fort agréable (facette poudrée verte et terreuse vs facette poudrée cosmétique), le Baiser Volé au lys de Cartier, l'iris-violette et jasmin violacé "pour les blondes et pas que" de Tom Ford et, enfin, un parfum de Diane (qui mériterait un prix en dehors d'un hipppodrome) aussi beau que la déesse du même nom (tout à la fois vintage mais également moderne, déjà, donc, oserais-je dire... intemporel), c'est une demi-douzaine d'enchantements en cette rentrée qui aurait pu être aussi morose que la précédente, mais ne l'est pas. Et ce, non pas dans de petites boutiques qu'il faut dénicher, mais accessibles au plus grand nombre.
    En quelques semaines, six bonnes raisons d'être enthousiasmé.

    Merci pour vos billets, on en souhaite toujours davantage.

    Bonne et belle journée,
    Opium

    RépondreSupprimer
  14. Opium, joli parcours des sorties mainstream qui valent la peine d'être découvertes! Je n'ai pas encore mis le nez sur Diane, mais j'y compte bien. L'Essence n'a pas pu lutter contre des effluves plus agressifs chez Sephora, le billet sur Baiser Volé est en route, Candy c'est fait, reste le Tom Ford (j'étais plutôt partie pour Santal Blush)... En effet, il y a de quoi faire à la rentrée!

    RépondreSupprimer
  15. Bonjour Denyse!

    Quel bel article.

    Ça fait deux jours que je me perfume en Bottega Veneta grâce à deux échantillons et j'ai voulu chercher des critiques concernant le parfum.

    Ce qui m'embête est la ressemblence de ce parfum avec le regreté "Play" de la collection Oblique (2000) de Givenchy. Ce caramel synthétique prend la place sur ma peau, et il n'y a qu'une note violette/iris très subtil que j'ai senti pendant un instant. Tout de suite un santal très Jeux de Peau (qui en fait était déjà très Daim Blond régne.

    En revanche je ne sens rien d'autre: pas de camphre, pas de bergamote, pas d'encens.

    Bottega Veneta est beau, très élégant et beaucoup moins vulgaire que la plupart de ses compatriotes chez Séphora. Cependant je le trouve un peu trop "confisserie industrielle", donc très peu Bottega Veneta, pour que ça me plaise trop.

    Connaissez-vous le Givenchy dont je parlais?

    Bien à vous!

    RépondreSupprimer
  16. Victor, je pense que ce que vous lisez comme du caramel est une combinaison de la vanille et des effets brûlés de la note cuir, et confiturés de la note fruitée prune/abricoté... Cela dit, sentez BV côte à côte avec Daim Blond et vous remarquerez les notes fruits secs si caractéristiques de Lutens qui distinguent tout de même les parfums l'un de l'autre.
    Je ne connais malheureusement pas ce Givenchy, je ne peux donc pas vous en parler!

    RépondreSupprimer
  17. victor schlimmelman28 octobre 2011 à 01:47

    Merci pour votre reponse Denyse!

    Parfois j'associe deux parfums d'une façon très accusée, même s'il se peut qu'ils ne soyent pas tellement similaires (par exemple, le parfum de Diane von Furstenberg EDP m'a fait penser tout de suite à une masque de Dans tes bras en "l'oréalisé"). Donc j'essayerai Daim Blond et BV sur les deux poignets demain matin et j'observerai avec attention leurs évolutions.

    De toute façon pourriez-vous me conseiller un cuir dans le style de ce BV pour tenter d'isoler le cuir contenu dans ce Almairac? J'aimerais bien trouver ce qui me "perturbe".

    Merci encore!

    RépondreSupprimer
  18. Victor, à mon tour j'essaierai le DVF en pensant à Dans tes Bras... Lorsqu'on fait ce genre d'association, c'est qu'il y a en effet quelque chose dans la forme qui se ressemble, pas obligatoirement parce que les notes se recoupent, mais parce qu'il peut exister un rapport similaire entre des notes qui se situent dans des zones contiguës de la carte olfactive.
    Pour sentir une note cuir qui évoque celle de BV, sans doute le Cuir Améthyste d'Armani Privé du même auteur? Cela dit, ce n'est pas strictement la même puisque selon Michel Almairac, l'accord cuir de BV a été une trouvaille.

    RépondreSupprimer
  19. C'est fait, Denyse. Daim Blond versus Bottega Veneta. C'est vrai qu'ils sont beaucoup plus différents de ce que je retenais. Je garde le Lutens quand même, je le trouve beaucoup plus généreux et qualitatif, plus réel. Cependant, BV reste un beau parfum.

    Impossible de trouver les Armani Privé à Barcelone, donc je vais les chercher lors de mon prochain voyage en Italie.

    Je viens tout souvent visiter votre blog, même si je n'écris pas trop. Un gros merci pour vos articles.

    RépondreSupprimer
  20. Victor, je suis étonnée que même cette parfumerie dont le nom m'échappe, où l'on trouve le musée du parfum, ne propose pas les Armani/Privé dans une ville aussi importante que Barcelone! Enfin, un voyage en Italie, ce n'est pas une punition... Et merci pour vos mots gentils!

    RépondreSupprimer
  21. Voilà des semaines que je suis tombée totalement en arrêt devant ce BV ! Il m'obsède et me taraude ! Un jus très facetté, complexe, d'une très belle composition et d'un bel équilibre, coup de coeur absolu et achat en vue.
    Point de cuir sur ma peau, mais plutôt l'idée du toucher du daim, duveteux, souple. Sur ma peau, il se fait daim et cosmétique, avec ces effluves de rouge à lèvres légèrement rance, un poudré un peu désuet, floconneux, en suspension dans l'air, comme des particules de poudre de riz. Il me fait d'ailleurs assez penser par ce côté à La Traversée du Bosphore. Je raffole de coeur divinement lactonique et son fond légèrement néo-chypre. Almairac signe, à mon sens ici, un très très beau travail, sinon de peaussier, du moins d'orfèvre des notes ;-)

    RépondreSupprimer
  22. Lamarr, je suis bien d'accord, c'est l'un des plus beaux lancements mainstream de l'année. Je l'ai porté pour le plaisir, même après avoir rédigé cet avis, c'est dire. Je ne l'aurais pas rapproché de Traversée du Bosphore mais je pense en effet qu'il peut plaire aux mêmes personnes...

    RépondreSupprimer