More to Read - Encore des lectures

vendredi 29 avril 2011

Top ten des parfums d'un printemps rouge




Le printemps parisien a été chaud et sec, bien que je n’en aie pas vu grand chose car je tire sur la fin d'un marathon d’écriture d’un an. Pour accompagner les bouffées de canicule intempestive – et, pour ceux qui y croient, ce qui n’est pas loin d’être mon cas au vu des événements mondiaux récents, l’humeur de chien de Mars en Bélier et de Mercure rétrograde – je penche vers des parfums pas franchement teintés de pastel. De toute façon, les verts tendres, quand on voit rouge, ça vire au brenneux. D’où :

Eau sauvage d’Edmond Roudnitska pour Christian Dior
On peut raconter l’histoire de la Sauvage de trois façons. Dior l’a lancée en 1966 comme masculin, avec une pub de Gruau qui a choqué la France entière, jusqu’au propriétaire de la maison Marcel Boussac : une paire de jambes velues émergeant d’un peignoir de bain. Pour Edmond Roudnitska, c’était un itinéraire des jardins de Taormina aux Apennins puis aux Alpes. Pour la génération de mai 68, c’était l’arôme de la libération, du moins des différences sexuelles et des parfums de papa-maman. Mais Eau Sauvage, surtout dans sa formule d’origine, est la démonstration la plus élégante de la transcendance de la forme sur l’anecdote, limpide comme une évidence. La preuve ? Même mes étudiantes américaines de vingt ans, qui carburent à l’éthyle maltol et à l’ambroxan, s’y rendent instantanément. 

Sous le Vent de Jacques Guerlain pour Guerlain
Réédité en 2005 dans la collection « Il était une fois Guerlain » et maintenant en voie de disparition, Sous le vent péchait un peu côté volume, et sa version eau de toilette ne présentait pas les notes cuir de la repesée de la formule de 1933 en extrait. Mais avec ses notes aromatiques – lavande, basilic, estragon --, ses épices douces et son fond moussu, cet hybride fougère-chypre rattachait génétiquement Jicky à Mitsouko ainsi qu’à Cachet Jaune, longtemps promis, jamais proposé. On pourrait même penser que Sous le Vent anticipait l’Eau Sauvage, ce que l’Heure Fougueuse de Mathilde Laurent pour Cartier semblerait démontrer a posteriori. Chaud, sec, langoureux comme un alizé… Si vous trouvez, achetez.

Eau de Gloire de Marc-Antoine Corticchiato pour Parfum d’Empire
Les parfums de Marc-Antoine Corticchiato sont pour la plupart d’un caractère tellement affirmé qu’ils exigent quasiment le permis de port d’arme. Même lorsqu’il aborde le genre Cologne, comme dans cette Eau de Gloire composée en hommage à la Corse, il brûle l’étape jardin des Hespérides pour foncer droit sur le maquis. C’est résineux, aromatique, combustible, bourré d’encens, caramélisé d’immortelle…. donc, forcément, corsé.

Série Turtle Vétiver par Isabelle Doyen pour Les Nez
Aucune note ne confère pour moi autant de force morale que le vétiver, avec ses senteurs premières, archaïques, de fumée, de roche, de végétation et de soleil (via sa facette pamplemousse). Isabelle Doyen l’a servie presque crue dans son Exercise One ; Front Vetiver joue les notes fumées et minérales contrastées de coco ; Back Vetiver la dompte par la violette, mais à peine. L’un des deux sera bientôt disponible sur le site des Nez – laquelle, on ne le sait pas encore. Quel que soit le choix, il garde le cap.

Calamus de Bertrand Duchaufour pour Comme des Garçons Series 1: Leaves
En pleine déferlante Duchaufour – bientôt l’oud de The Different Company et un nouveau Penhaligon’s, réécriture d’un parfum de 1870 déjà relancé en 1976 – il n’est pas inintéressant de revenir aux sources, c’est-à-dire au premier parfum qu’il estime porter sa signature. Le calamus est un matériau utilisé depuis l’Égypte ancienne, difficile à travailler par ses facettes vase et peau de mouton, qui tiraillent ses aspects verts et gâteau sortant du four. Le Calamus de Comme des Garçons canalise ce syndrome des personnalités multiples pour produire des effets de sève laiteuse d’une naturalité remarquables, relevés d’une touche de ces notes qui faisaient jusqu’à récemment la signature Duchaufour, en l’occurrence la graine de céleri branchée sur les effets céleri/curry/noisette de l’angélique. Hélas, dans la même série, son Mint à la texture crissante semble avoir disparu…

Réminiscence de Michèle Saramito pour Réminiscence
Réminiscence est au patchouli ce que L’Artisan est au musc : un pionnier qui a su traduire les notes-fétiches de la génération baba en vraie parfumerie. Le joaillier de fantaisie a célébré son 40ème anniversaire avec une édition limitée au packaging allègrement kitschouille turquoise des mers du sud, mais le parfum lui-même est une composition sophistiquée, moins gourmande que le Patchouli original, qui joue sur les facettes camphrées du matériau avec l’eucalyptus et un trio d’épices froides – anis étoilé, poivre rose, muscade – pour le relief, et du jasmin pour le glamour. Portable même par ceux ou celles qui étaient trop jeunes pour Woodstock, mais sont trop grands pour assumer le rétro 70s.

Weekend à Deauville de Patricia de Nicolaï pour Parfums de Nicolaï
Cary Grant vieillissant s’est un jour entendu dire par une hôtesse d’accueil qui prenait son invitation à un gala, « Vous ne ressemblez pas à Cary Grant. » « Personne ne lui ressemble », répondit la star. De la même façon, aucun muguet ne pourra jamais se mesurer à Diorissimo. Mais Patricia de Nicolaï connait assez ses classiques pour prendre la tangente. De ses deux variations sur la clochette, je préfère ce Weekend à Deauville arrondi, plein de sève et légèrement chypré aux accents rose et musc de son Cœur en Mai pour MDCI. L’un des rares muguets modernes à éviter le passage par le placard sous l’évier où traînent les sprays maison et les adoucissants textiles.

Pur Désir de Lilas d’Annick Menardo pour Yves Rocher
Tellement bon marché que je l’utilise plutôt en parfum d’ambiance qu’en parfum à porter. Mais je le superpose parfois, par pure perversité, au Black de Bulgari. Le lilas enfumé de styrax se transforme, un peu comme le personnage de Dorothy Malone dans Le Grand Sommeil lorsqu’elle défait son catogan, retire ses lunettes et s’enferme dans sa librairie avec Bogart et un flacon de whisky.

Un Gardénia la Nuit de Dominique Ropion pour Frédéric Malle Éditions de Parfum
Dans son Journal d’un parfumeur, Jean-Claude Ellena écrit que « le parfum du gardénia est un drame qui se joue entre jasmin et tubéreuse ». Je me raconte autrement l’histoire : pour moi, la tubéreuse est corruptrice et le gardénia, corrompu – il y a un soupçon de pourriture dans son cœur vert et crémeux. Mais ce n’est pas forcément de ce côté-là que penche le portrait de la fleur par Dominique Ropion, bougie que je le sommerais de transformer en parfum à porter si j’en avais le pouvoir (je l’ai fait, et je ne l’ai pas). Ici, c’est la verdeur délicate qui prime, avec juste un trait des turpitudes à venir.

Vierges et Toreros d’Antoine Lie et Antoine Maisondieu pour État Libre d’Orange
Si Fracas et Bandit avaient eu une liaison incestueuse dans le toril de la Maestranza de Séville, Vierges et Toreros aurait pu en être le fruit. J’ai raté la Semaine Sainte cette année – sans trop de regrets puisque la plupart des processions ont été annulées pour cause de déluge – et m’en suis consolée avec cette tubéreuse macho. Son accord cuir abrupt, ses épices rageuses et son effet costus sang-sur-poils sont peut-être les seules notes qui puissent flanquer une raclée à la plus bitch des fleurs. Mais la tubéreuse riposte et reprend le dessus plusieurs heures avant d’expirer dans un filet de sang contre les planches sépia de l’arène. La Vierge, en fin de compte, c'était la Bête.


Pour d'autres top 10 du printemps (en anglais), rendez-vous chez mes copines de Bois de JasminNow Smell This, Perfume-Smellin' Things et Perfume Posse.



Illustration de Christine Spengler.

8 commentaires:

  1. Bonjour Denise,
    Ah! Ta description du Lilas + Black...j'ai eu soudain envie de mettre mon nez sur... Tu m'as offert "un début de commencement" d'idéé :)) Merci !

    RépondreSupprimer
  2. Céline, tu m'en vois ravie et honorée! J'espère pouvoir en sentir le résultat... Le lilas, c'est dur à jouer de nos jours à cause du fonctionnel mais très intéressant à étudier dans les vieux parfums, c'est ça qui m'a mise sur la piste.

    RépondreSupprimer
  3. en fait ce n'est pas forcément le Lilas...mais l'évocation du film, du lilas et de la bouteille de wisky. J'ai presque eu une envie soudaine d'en prendre un verre et de me trouver dans un champs de lilas ( si tant est que les champs de lilas existent..)...un début d'idée qui peut être aboutira. SI c'est la cas je serai ravie de te la présenter ! :)

    RépondreSupprimer
  4. Céline, les films noirs me donnent *toujours* des envies de whisky! J'adore cette façon que les mots et les images peuvent avoir de déclencher d'autres idées en biais et à l'improviste... Et, encore une fois, je sentirai avec joie... autour d'un bon verre!

    RépondreSupprimer
  5. Ce que vous faites d'un Yves Rocher est absolument stupéfiant !

    Sidérée.
    A la fois amusée et admirative... Enfin bluffée, quoi ! ;)
    Alizarine

    RépondreSupprimer
  6. Alizarine, les soliflores en général ne me distraient pas des masses, donc je joue avec! Et puisqu'il s'agissait de deux Menardo...

    RépondreSupprimer
  7. Bonjour Denise,
    Décidément, votre idée de Lilas + Black nous boulverse tous!
    Inspirant, même pour Céline Ellena.
    Si elle compose un parfums autour de l'idée film noir-wisky, nous serons plusieurs à vouloir sentir!
    Merci pour ce blog passionnant!
    Eric

    RépondreSupprimer
  8. Eric, merci à vous! En effet, nous l'attendrons la narine frémissante, le film noir au lilas!

    RépondreSupprimer