Cologne du Parfumeur de Thierry Wasser: Guerlain, d'une eau à l'autre

Il était une fois, les parfums contenaient encore de l’ambre gris véritable et l’IFRA savait à peine ce que c’était que la mousse de chêne. Personne, en dehors de l'industrie, ne connaissait le nom des parfumeurs dont les œuvres embaumaient soies et fourrures. Le seul à émerger de l'incognito du labo était celui de l'une des dynasties les plus prestigieuses du luxe made in France: Guerlain.

Après plusieurs années passées dans les limbes – Jean-Paul Guerlain demeuré consultant, les compositions confiés à des parfumeurs « mercenaires » -- l’adoption d’un successeur n'étant pas issu de la lignée posait donc un problème assez unique en son genre : légitimer l'héritier de la seule maison dont les parfumeurs aient joui d’une célébrité continue.

Le passage de témoin Guerlain a donc été mis en scène, notamment via des interviews en duo montrant ce qui semble être une authentique complicité et un respect réciproque entre le maître, Jean-Paul Guerlain, et son successeur Thierry Wasser. Second étape de la campagne : lier le nom de M. Wasser à ceux de ses illustres prédécesseurs grâce à une collection : c’est ainsi que sa nouvelle Cologne du Parfumeur rejoint celles de Pierre François Pascal Guerlain, Eau de Cologne Impériale (1853), d’Aimé Guerlain, Eau de Cologne du Coq (1894), de Jacques Guerlain, Eau de Fleurs de Cédrat (1920) et de Jean-Paul Guerlain, Eau de Guerlain (1974) dans les célèbres flacons abeille de la maison, dont les étiquettes portent désormais les noms des auteurs.

Alors qu’en est-il de cette Cologne du Parfumeur de Thierry Wasser ?

Il s’agit d’une Cologne légèrement atypique – de celles que j’ai surnommées les « Faux de Cologne » -- dans la mesure où elle ne s’ouvre pas sur une explosion hespéridée juteuse qui s’évanouit au bout de quelques minutes. Bien qu’un citron extrêmement limpide paraisse dans les notes de tête, l’emblématique bergamote Guerlain est ici traitée comme la note aromatique qu’elle est en réalité. Ses facettes poivrées-herbacées sont relayées par le romarin et la lavande, et rafraîchies d’un brin de menthe, tandis que sa facette florale est étoffée par une fleur d’oranger particulièrement verte, sans doute la même que celle de Flora Nymphea, qui donne de la chair et de la tendresse à ce cocktail terpénique tonifiant. Le musc ancre la fragrance à la peau sur un fond légèrement boisé.

La dominante verte-aromatique de la Cologne du Parfumeur renvoie symboliquement à l’époque où « le parfum portait remède », pour reprendre le titre du dernier ouvrage d’Annick Le Guérer – la première fragrance occidentale alcoolique, l’Eau de la Reine de Hongrie, à base de romarin, était réputée être une panacée – tout en s’insérant impeccablement dans la vogue actuelle du vert (le vert étant le code « fraîcheur » du moment). Vogue qui tombe à point nommé puisque le vert est aussi la note-fétiche de M. Wasser… Cet effet confère aussi à la Cologne du Parfumeur une tonalité un peu masculine, du moins sur mon curseur personnel du sexe des odeurs.

Thierry Wasser raconte l’avoir travaillée pour se délasser de la composition d’Idylle (peut-être en guise d’antidote yang au yin flamboyant de cette dernière) ; les accents herbacés sont peut-être une réminiscence des herbes médicinales qu’il cueillait dans les montagnes suisses de son enfance. C’est sans doute ce qui donne à sa Cologne cette qualité limpide et désinvolte, malgré son imposante galerie d’ancêtres. Après tout, une eau de Cologne n’a pas à en faire des tonnes pour plaire : c’est une proposition légère. Et l’on sait bien que ce sont souvent les types qui ne la ramènent pas qui finissent par emballer…

Correction, 4 mai: Contrairement à ce qui était annoncé dans la version originale de ce post, Arsène Lupin sera présenté dans une version unique, signée Jean-Paul Guerlain.

Illustration: Giovanni Giacometti, Frühling (Piz Duan), 1905.