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mardi 6 janvier 2009

Senteurs d'Épiphanie : Les Orientalistes d'Annick Goutal


G. est sans doute la créature la plus raffinée que je connaisse, depuis ses tiroirs pleins de lingerie faite sur mesure et d’après ses dessins jusqu’aux rayons des lectures dont elle orne son esprit très diplômé : une savante parée en grande courtisane, digne des 1001 Nuits… Lorsque je l’ai connue il y a quelques années, elle portait Jardénia de JAR, dont je n’avais jamais entendu parler, et possédait une collection de parfums vintage scellés dans leur boîte, dont le Rumeur original de Lanvin et le Narcisse Noir de Caron. Après l’avoir perdue de vue un bon moment, je l’ai croisée récemment et lui ai demandé quels parfums elle portait. Elle m’a répondu qu’elle avait cessé d’en porter, car elle sentait le « fond de soupe chimique » des nouvelles et que l’érotisme intense des anciennes exacerbait chez elle une douleur exquise qui les rendait impossibles à utiliser au quotidien.
Comme elle ne peut pas vivre sans senteurs, elle imprègne sa peau, ses vêtements et ses appartements des fumées de bois et de résines précieuses qu’on lui rapporte du Moyen-Orient. Lorsqu’elle ouvre son manteau ou se déplace, on surprend les volutes de ce sillage discret, secret intime…

L’aura fumée de G. m’a rappelé, en cette Fête des Rois, les Orientalistes d’Annick Goutal, sorties pour les fêtes de l’an dernier : un trio de parfums inspirés des cadeaux des Trois Rois Mages au petit Jésus, l’or (remplacé par l’ambre), l’encens et la myrrhe, dont le choix dit assez à quel point les résines odorantes étaient précieuses et liées au culte. Ce retour aux racines antiques et mystiques de la parfumerie, Isabelle Doyen et Camille Goutal ne sont pas les premières à le faire – Serge Lutens, l’Orientaliste de la parfumerie occidentale, les a devancées sur ce terrain qu’il continue de pratiquer, avec Ambre Sultan, La Myrrhe et, plus récemment, Serge Noire – mais le traité des matières est ici entièrement différent. Malgré les épithètes dont on les a dotés, « flamboyant », « fétiche », « ardent », les Orientalistes ont une qualité plutôt méditative, intravertie, très éloignées des fantaisies de harem des peintres du 19ème siècle ou des excursions au souk des épices. Ils invitent plutôt à se glisser dans la pénombre d’une pièce qui pourrait être le boudoir de G. Il ne s’y passe pas grand-chose, juste l’évocation d’une peau, d’une étoffe, d’un meuble imprégné de fumées de résine.

Avec ses facettes mandarine-cannelle, Myrrhe Ardente est le plus lumineux du trio – il irradie la chaleur orangée d’une braise ; la rondeur vanille-cannelle du benjoin lui donne une qualité presque comestible (pour le reste, cliquez ici pour mon post sur les Trois Reines Myrrhes).

Ambre Fétiche est plus mat, plus gras – le gras de ces morceaux d’« ambre » résineux qu’on achète dans les marchés de Marrakech pour les placer dans de boîtes en filigrane ou s’en frotter la peau. Une fois de plus, l’antique benjoin prête sa douceur arrondie et vanillée (chacune des senteurs partage assez de notes avec les autres pour qu’on puisse les superposer) ; la froideur minérale de l’encens et un trait de cuir (le styrax) arrachent la composition à la fadeur douceâtre, tout à la liant à la composition suivante… (Pour un post plus détaillé, voyez l'hommage magnifique d'Ambre Gris, auquel je n'ai rien à ajouter).

Bien que la myrrhe m’ait d’abord séduite par son originalité, je suis désormais assez violemment amoureuse d’Encens Flamboyant, la plus sombre et la moins sucrée du trio.Il y a quelque chose de chaud, de brûlé, de presque carbonisé, au bord du malodorant dans cette combinaison d’encens (essence et résinoïde, plus l’encens d’église, plus doux) où l’on a écrasé des grains de poivres noir (curieusement, cette même note de poivre noir, au bord de la poudre de fusil, fait aussi une brève apparition dans un autre de mes parfums préférés, le 31 rue Cambon de Chanel). Encens Flamboyant a la profondeur et le confort d’un fauteuil en cuir cru tannée par des années d’usage dans une pièce où l’on aurait brûlé de l’encens pour des décennies.

Je l’ai quotidiennement vaporisé dans mon manteau de fourrure, dans les froids polaires de l’hiver canadien : bien qu’il n’ait rien d’animal hormis ce soupçon de cuir, ce parfum me donne la sensation d’être une fauve lovée près d’un feu de camp, peut-être sur la piste des Trois Rois Mages… Mais dans ce cas, la lionne peut coucher avec l’agneau : elle n’a rien de féroce.

Les Orientalistes (dont, également, Musc Nomade) sont actuellement disponibles chez Annick Goutal en flacons d’édition limitée ; on peut également se les procurer sous forme de bougies (pour une fois, cette forme ne trahira pas la simplicité des compositions) et de produits pour le corps.

Image : Vitrail de la Cathédrale de Cologne, Wikimedia Commons

4 commentaires:

  1. quel bel article, j'ai deja mis un com sur ambre gris, mais j'ai ete fasciné par ces orientalistes des leur sortie avec a la clé, achat du coffret des extraits, ainsi que du musc nomade à sa sortie
    j'ai l'impression qu'ils ont ete tellement decriés que lorsque que je vois un article positif, cela me met du baume au coeur
    voila ce que j'en disais sur le forum de mon amie

    l'encens est chaud, limite "cosmetique", une odeur reconfortante, avec comme un fond poudre de riz à la rose, melée a l'encens qui chauffe sur son lit de charbon, l'encens est ici "d'un beau rouge ardent" alors que celui d'Avigon de CDG est gris cendre, je dirais meme par moment limite 'blanc lumineux" comme chauffé au maximum ....je dirais un encens "teint de neige" , c'est bizarre a expliquer mais je le sens ainsi ...tres chaleureux

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  2. Véro, j'ai une perception très différente d'Encens Flamboyant, j'essaierai de le "voir" par ton nez... Je ne savais pas que les Orientalistes étaient aussi décriés, sur les blogs et forums anglophones l'accueil a été très positif.

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  3. Bonjour,
    Une petite intervention pour signaler que l'essence d'encens oliban est naturellement très poivré. Il n'est donc pas étonnant qu'une composition qui comporte une bonne dose de cette essence ait une facette "poivre noir" prononcée.

    Merci à Denyse pour ce blog que je lis assidument, même si c'est la première fois que je poste un commentaire.

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  4. Le Gnou, merci de cette précision (et du compliment). Le site d'Annick Goutal cite le poivre séparément parmi les notes... J'en profite pour réparer un oubli: le "fir balsam", également listé dans la composition, n'est autre qu'un baume de sapin, que j'ai récemment pu sentir au Canada: étonnamment, ça ne sent pas tellement le conifère, mais plutôt quelque chose de très doux et sucré. Une merveille!

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