Si tous les Exclusifs tirent leur nom de la
biographie de Chanel, ils n’en sont pas forcément l’illustration littérale.
Dans certains cas, c’est plutôt la note qui dicte le nom, choisi parmi les
facettes de la saga fondatrice. Ainsi, pour Jersey, Jacques Polge expliquait que c’est en partant de la
lavande, typique de la parfumerie anglaise traditionnelle, qu’on en est venu au
jersey issu de l’île anglo-normande éponyme… A-t-on procédé de même pour Misia ? Il semblerait qu’Olivier
Polge, pour sa première signature chez Chanel, se soit d’abord attaché à
trouver un registre olfactif inexploité par la maison. C’est en cours de
développement, peut-on supposer, que sa composition a reçu son prénom.
Muse, modèle, mécène, Misia Sert, née Godebska
mais mieux connue sous le nom de troisième et dernier mari, aurait été une
source d’inspiration quasiment trop encombrante. D’autant que de muse, elle avait
pratiquement fait un métier. Plutôt que de lui tirer le portrait olfactif – à
la suite des Renoir, Vuillard, Vallotton, Bonnard et autres Toulouse-Lautrec
--, de lui composer un poème comme Mallarmé, ou d’en faire son modèle comme
Proust qui en tira sa Mme Verdurin, Olivier Polge a restreint le rôle de Misia
à celui d’une passeuse. Ce fut elle qui, mécène des Ballets Russes, les fit
connaître à son amie Gabrielle ; c’est donc un soir de première desdits
Ballets Russes, côté corbeilles et côté coulisses, que Misia doit évoquer.
Au cœur du parfum, l’accord rose/violette qu’on
associe au rouge à lèvres depuis le début du XXème siècle, introduit
en parfumerie fine par La Rose
Jacqueminot de Coty en 1904. Dans le Paris
de Sophia Grojsman, qui le réinvente génialement pour Yves Saint Laurent, cet accord « rouge à
lèvres » fonctionne déjà comme un code, une citation: celle du glamour old school, exprimé par un parfum érigeant Saint Laurent en monument national... Mais Lipstick Rose, chez Frédéric Malle, est
sans doute le premier parfum à le revendiquer en tant que tel, entre
guillemets, dans un second degré à la limite du kitsch.
Depuis, le rouge à
lèvres est devenu un motif figuratif de la parfumerie au même titre qu’une
fleur (Rossetto de Prada, French Kiss de Guerlain) ; dans les
parfums « narratifs », il devient la métonymie olfactive d’un certain
type de femme, de séductrice assumant l’artifice. Ainsi, lorsque Nathalie
Feitshauer développe Putain des Palaces pour État Libre d’Orange (le nom, tiré du « Ronsard 58 » chanté par
Gainsbourg, ayant en l’occurrence précédé la note), c’est autour de lui qu’elle construit son personnage – étant donné la
marque et le brief, on ne s’étonnera guère que le résultat se tienne moins bien que Misia.
Cependant, ce n’est sans doute pas par hasard que
cette nouvelle interprétation de l’accord lipstick
ait reçu un prénom de femme : une première pour les Exclusifs. Et qui plus
est, d’une femme qui n’est pas Coco : une première pour la maison. À en
juger par ses portraits, la beauté de pêche mûre de Misia fut sans doute mieux
servie par le pinceau de Renoir que par la petite robe noire de Chanel. Et bien
que le parfum ne cherche pas à la représenter, il reflète quelque chose de
cette chair généreuse…
Plus on porte Misia,
plus on sent ledit accord « rouge à lèvres » déborder de ses
guillemets. Joues enflammées sous les fards, peaux poudrées échauffées sous les
fourrures… La violette tire sur le pourpre du vin. La rose, sur la framboise
mûre. Les baumes (tonka, benjoin), sur le velours rouge opéra bordé de
zibeline. Misia est sans doute le
plus charnel des Chanel, peut-être précisément parce qu’il porte le nom d’une
autre femme... C’est aussi, et surtout, la réinvention d’un accord pionnier, déjà
(ré)inventé par Sophia Grojsman (parfumeur chez IFF comme l’était jusqu’ici
Olivier Polge), à la fois radicalement moderne et quasiment archaïque. Comme
les Ballets Russes, en somme. En choisissant son nouveau parfumeur-maison,
Chanel a eu du nez.
Misia sera
disponible à partir du 28 février. On peut le découvrir en avant-première sur www.chanel.com, à la boutique Chanel Beauté du
382 rue Saint-Honoré à Paris, au Bon Marché, aux Galeries Lafayette Haussmann
et au Printemps Haussmann.
J'adore ce parfum mais il est peu tenace sur moi. Je le préfère de loin à Lipstick Rose et French Kiss, ça sent plus la violette que le rouge à lèvres sur moi. Peut-être que je devrais m'offrir la grosse bouteille pour pouvoir m'en asperger librement. :-)
RépondreSupprimerTu sais, c'est peut-être l'anosmie à la violette: ça arrive souvent avec les ionones, on ne les sent plus au bout d'un moment alors qu'elles sont bien présentes -- c'est comme une sorte d'anesthésie du nez! Parce que le sillage de Misia (sur cheveux) est très présent et dure assez longtemps selon mon expérience...
SupprimerHier j'ai senti ce parfum dans le stand Chanel au BHV et ce fut le coup de foudre. La première impression fut si belle, si intense, si gourmande, si délicieuse que j'ai craqué et me voilà à le porter, car de tous les exclusifs de la marque ce fut celui là qui a captivé le coeur de mon ressentir perceptif, synésthesique. Mariano Néto.
RépondreSupprimerMariano, ce genre de connexion immédiate avec un parfum est rare, savourez-la !
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