« Tu
portes quoi, là ? C’est vachement bien ! »
Ce commentaire, j’en ai entendu plusieurs
variations pendant que je testais l’Eau
de Magnolia, sans doute un peu plus souvent que strictement nécessaire pour
rédiger mon avis. Et de la part de parfumeurs, rien que ça – autrement dit, les
nez les moins susceptibles de se laisser bluffer, ne serait-ce que parce que
même en sentant un bon jus, ils ne peuvent s’empêcher de penser à la manière
dont ils auraient traité le thème, eux…
Le parfum du magnolia, qui balance entre la
savonnette au citron, la rose miellée et la fleur blanche, est à peu près aussi
difficile à tenir qu’une Southern Belle en
pleine crise de vapeurs après la prise d’Atlanta. Bien qu’il ait un volume
phénoménal sur l’arbre, il est plutôt étale. Sandrine Videault évoquait souvent
cette difficulté lorsqu’elle travaillait sur son Magnolia Grandiflora, initialement conçu en parfum d’ambiance, tout
comme le Jurassic Flower de Carlos
Benaïm.[1] La solution trouvée par Sandrine pour transformer son
magnolia en parfum à porter a été d’en faire un chypre (pour lire un
extrait de ce qu’elle écrivait à ce sujet, cliquez ici).
C’est également l’option choisie par Frédéric
Malle et Carlos Benaïm, avec pour point de départ une structure cologne, dont
se rapproche la composition chimique de l’évaporation du magnolia, précise
Malle dans le dossier de presse (un modèle de limpidité, soit dit en passant :
encore faut-il, pour écrire de la sorte, avoir un propos clair).
Magistralement redressé par le tuteur d’un vétiver qui
lui prend la tête par sa facette pamplemousse et lui plante les pieds dans la
mousse des bayous, ce magnolia se transforme en chypre. Ledit vétiver, comme la
mousse d’arbre et le patchouli qui verticalisent la composition, étant
fractionné pour raboter ses aspérités.[2] Étayés par le cèdre que Malle appelle un « bois sans
couleurs », ces matériaux lissés, policés, ne déforment pas la forme
olfactive du magnolia en lui donnant du fond. Les facettes restent lisibles,
mais tout juste, du coin de l’œil.
L’usage généreux de deux des molécules qui
se baladent partout dans le règne végétal façon « il court, il court, le
furet », l’indole et le linalol[3],
contribuent à cet effet flouté comme une brume de chaleur. D’ailleurs, malgré
toute sa fraîcheur, l’Eau de Magnolia
évoque aussi une vapeur de fleurs. Un effet légèrement aqueux-fruité, tendance
melon de Cavaillon, traduit cette moiteur (les phobiques de la calone peuvent néanmoins
sortir de derrière le canapé tout de suite : on ne peut jurer qu’il n’y en
a pas, mais on dirait plutôt que non).
Malgré leurs différences, l’Eau de Magnolia partage avec LaPanthère un certain nombre de qualités : volume, ténacité, sillage
soyeux et lumineux, et puis ce côté vaporeux très contemporain par lequel ces
relectures du chypre évitent l’écueil du pastiche ou du radotage.
Dans le dossier de presse, Frédéric Malle explique
qu’il songeait « au style très pur d’Edmond Roudnitska qui travailla
beaucoup le magnolia (à tel point qu’il avait même fait planter un arbre chez
lui pour mieux l’étudier) ». Lors du lancement, il me précisait que selon
lui, si la recherche de Roudnitska n’avait jamais abouti, c’était sans doute
parce que c’était impossible sans headspace. Manifestement, avec Malle en
souffleur, Carlos Benaïm a passé une tête dans l’espace roudnitska-esque :
son Eau de Magnolia a une luminosité,
une respiration et une justesse que ne renieraient sans doute pas l’auteur de Diorella (encore qu’il ne pourrait sans
doute pas s’empêcher de penser à la manière dont il aurait traité le thème, lui…).
Eau de Magnolia sera disponible courant juin.
Eau de Magnolia sera disponible courant juin.
Photo par Cy Twombly.
[1]
Dans mon billet sur Magnolia Grandiflora,
j’évoquais justement à la fois ce passage du parfum d’ambiance créé à partir d’un
headspace au parfum à porter, et la difficulté de travailler sur ce type d’odeur
florale sans headspace. Mais ne sachant pas que Frédéric Malle s’apprêtait à
lancer une Eau de Magnolia issue de Jurassic Flower, je prenais pour exemple
la tubéreuse de Dominique Ropion.
[2]
La mousse d’arbre a subi une distillation moléculaire pour retirer les deux molécules
allergènes qui ont entraîné la restriction de son usage, et qui devraient être
interdites par le prochain amendement à la directive européenne sur les
cosmétiques.
[3]
Qu’on retrouve dans les essences d’agrumes, de lavande, de géranium et de bois
de rose, mais aussi dans le jasmin ou le néroli.
Merci pour cette jolie présentation, Denyse. Je me dis qu'aujourd'hui, un pan important de la parfumerie, tout comme le design automobile, tend à être lissé, "débarrassé de ses aspérités". Il y en a qui mettent du musc à toutes les sauces pour justement baigner les facettes dans une sorte de nuage globalisant ; c'est bien pour certains parfums, moins pour d'autres. Quant à savoir si finalement le lissé est mieux que le non-lissé, c'est comme s'il fallait préférer la dernière Audi (totalement lissée) à une Cadillac 1954 (pleine d'aspérités et d'arêtes :) Question de goûts finalement. Qui heureusement traversent les époques. Reste à sentir ce magnolia, qui fleure bon.
RépondreSupprimer(Il manque un "que" dans votre texte : quatrième paragraphe : "tuteur d'un vétiver QUI lui prend la tête..." Vous pouvez effacer cette partie de mon com après votre corr., bien entendu.)
Tiens, Nicolaï, ça fait un bail, non? Merci pour le "qui" (accident de couper/coller...). Quant au lisse, il me semble qu'il peut relever de deux options: soit pour faire consensuel (genre grosse boule de musc sur patchouli ratiboisé à la brésilienne), soit parce qu'il se prête au propos, ce qui est le cas ici. Ce qui m'énerve ces derniers temps, c'est le recours systématique aux aspérités pour "faire niche": ça ne frise pas le cliché, ça lui fait une permanente. Encore une fois, ça peut se prêter au propos (comme dans les Comme des). J'aurais tendance à croire que la question est plutôt là, dans l'adéquation d'une écriture à son thème, que dans celle du "chacun ses goûts". Parce que finalement, des goûts et des couleurs on *peut* discuter (sinon on ferme la boutique de la critique)...
SupprimerUn bail je ne crois pas, non :) ... mais je viens normalement sous le pseudo "Photolfactives", titre de mon site/blog. Ceci explique peut-être cela :)
RépondreSupprimerA bientôt anyway ! Et tout à fait d'accord avec votre "ce prêter au propos", qui est trop souvent négligé... Ça devient de plus en plus rare en création d'ailleurs, les options qui "se prêtent au propos"...
Peut-être justement parce qu'il n'y a pas toujours un propos qui aille plus loin que "si tu me faisais un cuir, mon coco"... (ou un vétiver, ou un oud, etc, etc, etc....)
SupprimerBon, ce parfum j'aurais voulu l'aimer.
RépondreSupprimerEn effet, le magnolia, ça me parle, qu'il soit grandiflorum ou soulangeana. Qu'importe !
Le travailler comme un chypre, ça va de soit, et ça me parle aussi.
Mais alors ces p*@#° de bois ambrés, qu'est ce qu'ils foutent là ? Artifice technique pour augmenter la puissance et la tenue ? Pardonnez moi M. Malle, mais c'est cheap ! Ca étouffe le bel accord floral frais que j'aimerais voir s'épanouir. Ca fait tendre vers la grosse fougère pacorabannisante plutôt que vers les belles compositions auxquelles vous nous aviez habitués. Une Rose et Portrait of a Lady qui en contiennent aussi les utilisent bien mieux !
Dommage, car à part ça je l'aime bien ce Magnolia. Mais ce détail me rend incapable de le porter !
Ben alors là, c'est vraiment bizarre, en général je suis un détecteur de bois-qui-pique au micron près: là, que dalle. Peut-être que, comme pour les muscs, la perception des différentes molécules de ce type varie selon les individus? Il faudrait avoir le fin mot de l'histoire... en tous cas, ça n'est pas mon ressenti, au sens propre du terme.
SupprimerBonjour Denyse ! L'Air de tout se sépare d'une petite partie de sa collection de flacons : peut-être cela peut-il vous intéresser, ou vos lecteurs et lectrices ? Au cas où, je laisse le lien ci-dessous : http://lairdetout.blogspot.fr/2014/06/vente-de-flacons-rares.html
RépondreSupprimerA bientôt !
Emmanuel