La
nouvelle est tombée le 13 février : la Commission Européenne annonce une
période de consultation de trois mois sur les substances parfumantes allergènes
avant d’amender sa Directive cosmétique.
Celle-ci
devrait entraîner l’interdiction de trois substances, dont deux molécules
contenues dans la mousse de chêne et d’arbre, ainsi qu’une molécule muguet
connue, entre autres, sous le nom de Lyral. Douze molécules et huit extraits
naturels seraient soumis à des restrictions et à une obligation d’étiquetage,
en sus des 26 allergènes actuellement sur la liste (sachant que les douze
molécules en question sont susceptibles de se retrouver dans plusieurs extraits
naturels, ce qui supposerait des restrictions allant bien au-delà de 20
ingrédients supplémentaires).
On
estime que 90% des parfums sur le marché devraient être reformulés si les
recommandations du CSSC (Comité scientifique européen pour la sécurité des
consommateurs) étaient appliquées telles quelles.
Je
compte publier un question/réponse bientôt pour éclairer la question – les communiqués
européens ne sont pas forcément d’une grande limpidité. En attendant, voici la
lettre ouverte de Luc Gabriel, président de The Different Company, qui a été
transmise ce weekend à un certain nombre de journalistes et de blogueurs via la
Fragrance Foundation France.
Parfums de Profundis
Chers Amis,
Les dernières
dispositions règlementaires Européennes du 13 Février concernant les matières
utilisées dans la parfumerie fine, si elles sont adoptées, sonnent la mort de
la haute parfumerie à cinq ans.
Des composants
naturels aussi essentiels que la rose, le citral, la fève tonka, l’ylang-ylang,
seront bannis ou acceptés dans des proportions ridiculement faibles. Seuls les
équivalents chimiques seront autorisés.
Et un composant
chimique, aussi performant soit-il, ne remplace pas la vibration olfactive d’un
beau naturel.
Futile comme
sujet me direz-vous ? Inutile ?
Au-delà de la
complexité pour notre marque et tout le secteur, imaginez un monde sans ces
notes. Imaginez perdre la mémoire de ces émotions, de ces souvenirs, et
surtout, imaginez priver les générations futures de cette parcelle d’humanité
que des cohortes de parfumeurs, créateurs, artisans, ont permis de construire,
de tester, de découvrir. Un monde sans
ces sommes de passions au service de la création pure et du rêve dans le but de
concevoir un beau sillage, un jus d’exception, sans cet art qui définit une
partie de notre humanité au même titre que la création musicale, la gastronomie
et le rire.
Et si rire trop
entraînait un risque d’AVC prononcé, faudrait-il aussi excommunier les comiques
et brûler l’almanach Vermot ?
Le principe de
précaution doit-il nier le libre arbitre ?
Des populations
n’ont pas accès au vrai goût de certains aliments, au prétexte du principe de
précaution. Nous posons les jalons pour
passer d’un monde civilisé avec sa part d’animalité et de rêve, à un univers
aseptisé dans lequel l’humain risque de devenir une mécanique, une belle
molécule de synthèse comme celle que nous aurons le droit de manipuler pour
créer des parfums sans âme.
Et supprimer ça
pour quoi ? Un problème de santé publique ou l’intérêt des
producteurs de molécule de synthèse ? Y a-t-il des
statistiques qui prouvent le danger mortel d’utiliser Chanel N° 5 des années durant ?
Je suis bien
plus que révolté, ça dépasse largement le cadre de l’intérêt personnel pour la
pérennité de mon entreprise, c’est un cri d’alarme qui doit porter, une
tristesse infinie qui doit se transformer en révolte.
L’Europe va tuer
une partie de sa mémoire et de sa contribution à la beauté du monde.
Il est encore
temps, la question est à l’étude pendant 3 mois par le Commissaire Chargé du
marché intérieur, mais il est urgent de communiquer, d’agir, de lobbyer.
Autour de vous,
de par vos activités et connaissances, vous avez accès à des leaders d’opinion,
des intellectuels, des médecins, des chercheurs, des politiques, des créateurs,
des chefs d’entreprise.
Alors faites
passer ce message, même une seule fois, même en 30 secondes. Je suis prêt à les
rencontrer, leur expliquer, en parler.
Lors du salon
d’Esxence à Milan en Mars, je tenterai de fédérer quelques voix de parfumeurs
et d’entreprises comme The Different Company. Mais cette profession est souvent
secrète, renfermée, timide.
Une marque avait
un slogan « Le Parfum est mort, vive le parfum ». Non, le parfum sera
juste mort et une partie de nous avec.
Luc Gabriel
Ils se réveillent tous un peu tard, bien que ce courrier soit nécessaire et louable. Cela fait des années que l'Europe règlemente, interdit, restreint le molécules, les unes après les autres. C'est très révélateur que ce soit le PDG d'une marque de niche qui s'y colle, que font tous les autres ? Les mastodontes ? Ceux qui ont un pouvoir économique en France, voire même un pouvoir économique à l'échelle mondiale. On peut en vouloir à l'Europe, mais j'en veux encore plus aux grandes marques françaises qui laissent notre patrimoine partir en poussière, qu'on n'entend jamais l'ouvrir, et qui lassent les marques plus confidentielles faire le sale travail car pour elles c'est une question de survie. Ne parlons même pas de nos représentants au sein de la commission qui sont incapables d'inverser la tendance, en ont-ils d'ailleurs envie ? Pour qui roulent-ils leur bosse ? Le principe de précaution a bon dos, on sait tous que c'est une manière de favoriser l'industrie des molécules synthétiques. Donc, qu'attendent les grandes marques pour agir comme un véritable lobby ? (je parle de Chanel, Hermes etc... Dior, on oublie...). Il faudrait qu'on écrive, chacun, à nos députés, dans notre circonscription, et aux députés européens aussi. Pourquoi ne pas faire comme des militants, diffuser une lettre-type (car les gens n'auront jamais le temps de faire eux-mêmes les recherches sur ce sujet assez technique), voire même lancer une pétition en ligne ? Bon, bref, c'est assez désespéré comme combat, non ?
RépondreSupprimerNarriman, les amendements annuels proviennent plutôt de l'IFRA pour autant que j'aie compris, l'Europe n'a pas modifié sa directive depuis 2003... Mais en effet, l'industrie a tardé à réagir, tout le monde est d'accord là-dessus, et chaque société a eu tendance à se la jouer perso.
SupprimerJe suis moins persuadée par l'argument "favoriser les molécules de synthèse" que ne l'est Luc Gabriel, ne serait-ce que parce que toutes les grandes sociétés de MP de parfumerie ont lourdement investi dans les filières naturelles -- il serait absurde qu'elles se tirent une balle dans le pied comme ça!
Autre sujet, les grandes marques: Thierry Wasser chez Guerlain agit beaucoup. François Demachy s'est aussi exprimé.
Par ailleurs, la question politique: pour qu'une action à l'échelle de l'UE ait lieu, il faudrait certes informer et mobiliser les élus, mais si c'est uniquement à l'échelle française (puisque c'est en France qu'il y a le plus à perdre), est-ce que ce serait efficace?
Enfin, en ce qui concerne la lettre-type, des membres d'un forum anglo-allemand, parfumo.net, projettent de le faire. Je me suis engagée à relayer leur action lorsqu'ils auront mis au point ce texte.
Enfin, j'ai lancé des questions à différents acteurs institutionnels de l'industrie, histoire d'y voir un peu clair: une réunion doit avoir lieu à Grasse vendredi, dont j'aurai des échos dans les jours qui viennent.
Chère Denyse,
RépondreSupprimerAvant d'avoir une opinion concrète, j'attends le compte-rendu de la réunion qui va avoir lieu vendredi.
Merci de vos explications sur un sujet plutôt épineux.
Très cordialement,
Sara
Sara, sage décision. Certains sons de cloche sont rassurants. Je vais essayer de recueillir différentes opinions.
SupprimerBonjour,
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour cet article, pour tout l'effort d'information que vous faîtes, heureusement que vous êtes là. Nous sommes un certain nombre à vouloir agir, à être prêts à écrire aux députés européens (ceux qui sont censés nous représenter...), nous mobiliser pour une lettre type. Merci beaucoup pour nous tenir au courant lorsque parfumo.net aura finalisé un texte. Cette fois, il faut vraiment se mobiliser, faire son maximum, faire remonter nos voix et nous faire entendre, tant qu'il est encore temps d'agir. Il faut mettre en avant les contradictions, le côté absurde de la situation (on ne connaît pas le risque mutagène à long terme de toutes les matières synthétiques, alors où est le principe de précaution?), bref, il faut vraiment agir!
Suzanne, encore une fois, il s'agit de l'opinion de Luc Gabriel -- j'attends pour former la mienne d'avoir plus d'infos. En effet, sur certaines matières premières de synthèse on ne dispose pas d'un recul énorme, mais comme je l'ai dit plus haut, la théorie du complot sur cette question ne me convainc pas.
SupprimerEn revanche, oui, une mobilisation du public est certainement de mise. Encore faut-il savoir précisément contre quoi protester et quoi soutenir, donc comprendre ce qui se prépare!
Je me porte volontaire pour distribuer des tracts dans la rue ! :D
RépondreSupprimerJe nous vois bien tapiner devant Sepho, tiens...
Supprimerj'essaie également de faire circuler cela sur Grasse. Là ça devient gonflant ces histoires
RépondreSupprimerGhost7sam, cela fait en fait plus de deux ans que la fameuse opinion du comité scientifique a été rendue, et deux ans qu'un travail est réalisé en coulisses à Bruxelles pour limiter les dégâts. Personne n'a vraiment intérêt à ce que les recommandations de ce comité soient appliquées à la lettre. Les grands labos moins que tous puisque les reformulations pour mise en conformité sont à leur charge, d'une part, et qu'ils ont beaucoup investi dans les filières naturelles, d'autre part.
Supprimeroui, d'ailleurs une connaissance m'avait déjà mis au courant que les 26 allaient devenir 106, il y'a quelques mois. Mais comme vous le dites, un travail est réalisé "en coulisses". Peut-être est-ce le temps d'unifier les voix et que les principaux acteurs se lèvent d'un son unanime pour apporter un vrai son de cloche face à cela.
SupprimerOui, il est encore temps de réagir, mais délicat (pour l'industrie) de le faire par un affrontement direct avec ce fameux Comité Scientifique, ou en ayant l'air de se foutre des prurits des consommateurs...
SupprimerSérie photographie réalisée il y a un an, mais force est de constater ; non sans une certaine colère; qu'elle semble actuelle : http://www.grecoroberto.biz/Perfumes-6
RépondreSupprimerMagnifique série, Roberto, merci de l'avoir mise en lien.
Supprimerce qu'il faudrait c'est mettre le doigt sur l'absurdité du truc.
RépondreSupprimerLes gens ont peut du synthétique (à tort svt mais bon). Or là il faut faire comprendre que c'est le naturel qu'on ampute. Je maintiens que dans une société où les scandales industriels fleurissent, ça sensibiliserait peut etre les consommateurs. Enfin c'est une idée. Mais pr bien faire il faudrait qu'un marque refuse de se plier à leurs réglementations en arretant de produire un parfum phare; peut etre que là ils reverraient leur copie..... voilà ce sont qq idées comme ça...
Sophie, ça n'est pas seulement le naturel (le Lyral est omniprésent, par exemple), mais en effet la présence des molécules incriminées dans une tonne de naturels fait qu'ils sont largement visés. Et ça, en effet, ça semble absurde puisque l'humanité les utilise depuis des siècles... Cela dit, l'humanité n'a pas été, pendant des siècles, bombardée par le "tout-parfumé" qui va de la lessive à la litière pour chats! Le parfum à porter n'est qu'une fraction infime de notre exposition aux molécules parfumantes... Le seul dont la forme olfactive soit l'unique raison d'être, donc le plus exposé à souffrir.
SupprimerPorter le débat sur la place publique, je comprends que ce soit délicat pour les grandes marques puisque ces fameux naturels ne sont déjà pas très abondants dans la plupart des parfums mainstream: est-ce que ça obligerait à une transparence sur les formules qui ne serait pas forcément en raccord avec leur com'?
Quant à ta suggestion, j'imagine que c'est un peu comme le premier qui se fout à poil dans la piscine: faut oser, pas sûr que les autres suivent!
Denyse, merci pour ces précisions et que je comprends que vous vouliez attendre avant de vous faire une opinion. Je n'ai fait que prendre en compte les arguments de la lettre (lobby des molécules synthétiques etc...). En tant que professionnelle (c'est l'avocate, donc la communicante qui parle), je pense quand-même qu'il faut porter le débat sur la place publique. Si ce débat reste la chassée gardée de quelques spécialistes, de passionnés ou d'amateurs éclairés, les grandes marques (si elles sont sincères) n'arriveront à rien. Dans ce genre de combat réglementaire, car on en est là, il faut s'appuyer sur la mobilisation populaire, tout en agissant en coulisses. Les derniers exemples récents ont bien montré que cette mobilisation paye, quand elle est organisée. Ce n'est pas une poignée d'amoureux de la mousse de chêne qui inverseront la tendance. En revanche, en période de crise, communiquer sur les risques économiques à long terme encourus par les fleurons de l'industrie française du luxe, c'est porteur. Au moment où on parle de l'attractivité (perdue) Même la nana qui ne comprend rien au parfum et qui achète le énième flanker insipide, va s'inquiéter de coups portés par la commission au patrimoine français (même si ce patrimoine n'a pas le même sens/ contenu pour elle ou pour vous). Quant à Grasse, pour être de la région, je n'en attends pas grand-chose. Pour la majorité des gens de la région, Grasse c'est les usines pour touristes, et ils n'ont même pas idée de qui y est implanté...Il faudrait vraiment que les professionnels s'organisent pour communiquer à grande échelle. Enfin, la situation me semble urgente. Pour l'avoir expérimenté dans d'autres domaine, la réunionite aiguë est contre-productive le plus souvent.
RépondreSupprimerLa réunion se tient à Grasse mais rassemble de nombreux acteurs de l'industrie et des élus européens: il faut bien commencer quelque part! J'en attends, pour ma part, quelques réponses.
SupprimerIl faut porter la question sur la place publique, vous avez absolument raison: c'est, normalement, le travail des journalistes. Le Monde s'y est collé, il y a eu un article dans Elle... Je verrais plutôt ça dans les hebdos news à ce stade.
Et puis il faut aller tirer M. Montebourg par la manche, moi je dis!
Franchement, je préfère que çà se fasse à Grasse que dans la Cosmetic Valley, mais çà c'est mon côté sudiste ;)
RépondreSupprimerAbsolument d'accord ! Tirons Montebourg par la manche de la marinière :)
en 2012 la parfumerie (enfin la vente) était la 4e source de richesse économique française, donc je pense qu'il faut jouer sur ce point avec en plus le patrimoine. Et sortir impérativement du débat de passionnés de parfum, sensibiliser à plus large échelle.
RépondreSupprimerJe pense en effet que ce point est beaucoup plus susceptible d'être entendu, en effet, et c'est là-dessus que l'IFRA a appuyé en réalisant un rapport détaillé sur l'impact économique non seulement français, mais international, qu'auraient les restrictions proposées par le CSSC. Apparemment, ça a marché, car ces propositions ne seront pas appliquées.
SupprimerIl faudrait un statut dérogatoire pour le parfum-parfum.
RépondreSupprimerC'est un argument de Luca Turin qui a au moins 3 ans. Là où le parfum n'est qu'accessoire, la parfumerie fonctionnelle, les régulations ne sont pas graves. Lessives, liquides vaisselles, cosmétiques, litières pour chat.
Mais quand le parfum est l'élément principal de l'objet, la parfumerie fine, il faut laisser une porte de sortie aux créateurs. Quitte à mettre une notice de médicament dans la boîte. Du papier bible plié en huit sous le flacon.
Les marques mainstreams qui privilégient l'image et le glamour pourront décliner cette porte de sortie et se conformer aux règles nouvelles. Les marques qui veulent se la jouer "tradi" et qui misent sur leur clientèle fidèle seront content de mettre la notice explicative.
Les régulations veulent épargner au client la sensibilisation allergique à vie.à un produit. Il s'agit du pire des scénarios, et il ne justifie pas qu'on materne à ce point les gens. Les gens savent lire une étiquette pour éviter les allergies alimentaires. Le parfum n'est pas mortel ni addictif, comme l'est la cigarette. Même la télé est plus addictive et son influence sur le surpoids plus mortelle que le parfum.
Et je pense aux producteurs et je trouve triste que des filières agricoles de production de lavande, de fleurs, et autres, soient "taries" car des régulations rendent désormais presque impossible leur utilisation. La part de terroir et de tradition.
Julien, d'après ce que j'ai compris, l'option "statut spécial" serait celle que favoriserait LVMH, mais tout le monde n'est pas d'accord. Pas plus, d'ailleurs, que sur la nature et l'emplacement de l'étiquetage: étui, site web? Cela dit, il n'est pas certain que le scénario présenté par Luc Gabriel soit mis en oeuvre.
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