mercredi 29 mai 2013

Iris Nazarena de Ralf Schwieger pour Aedes de Venustas: Iris grisé


Lorsqu'on découvre leur boutique new-yorkaise, on ne s'étonne pas que les propriétaires d’Aedes de Venustas, Robert Gerstner et Karl Bradl, soient les compatriotes des frères Asam et de Louis II de Bavière.  Parce que la mecque des aficionados du parfum à New York, c’est une faille spatio-temporelle qui branche le West Village sur le boudoir rococo-romantique de Lola Montès.

Mais si l’esthétique de la boutique se reflète dans le packaging de la marque qui en émane, les parfums, eux, sont nettement plus burnés (ou plutôt, disons que l’amour rococo de l’excès s’y exprime autrement). Dans le premier, Aedes de Venustas Eau de Parfum, Bertrand Duchaufour embrochait son nuage d’encens d’un rayon vert, une rhubarbe crissante, acide, qu’il appelait son « accord fou ». Le nouvel Iris Nazarena de Ralf Schwieger, bien qu’apparemment moins déjanté, s’inscrit dans le même court-circuit entre l’archaïque et l’hyper-contemporain.

La fleur qui a inspiré le parfum (ci-dessus) aurait pu croître dans les serres du Des Esseintes de Huysmans : un iris sombre qui hésite entre l’orchidée et l’insecte pris d’une hystérie de camouflage. En réalité, elle pousse sur les collines entourant Nazareth, qui lui a donné son nom, Iris nazarena. Son nom scientifique, Iris bismarckiana, lui a été conféré à la fin du 19ème siècle par un botaniste allemand – on peut imaginer que c’est en hommage au chancelier Otto von Bismarck. Nomenclature prussienne, directeur artistique bavarois, parfumeur de Westphalie : on reste en territoire germanique, bien que le parfum ait été composé à New York par une société de Grasse (Mane, en l’occurrence)…

Vue sa muse, le parfum aurait sans doute pu s’appeler Iris Gris. Mais pour Ralf Schwieger, le premier obstacle à éviter, c’était de se prendre les pipettes dans le modèle du N°19. Il s’en dégage notamment en injectant un autre type de vert que le galbanum : un anis étoilé qui parcourt le spectre du vert fluo au marron goudronneux de la réglisse. Une ambrette limpide comme un alcool de poire dans un verre surgelé éclaire l’accord iris-encens central. Travaillée en aplats de pastel et de fusain, la texture poudrée de l’iris s’estompe dans un nuage d’encens, sur un fond de daim d’une finesse de pétale. L’effet est celui d’une texture à la fois délicate et coriace, mouchetée de notes carbonisées (clou de girofle, oud), maculée de terre sur fond de silex (patchouli, vétiver).

Avec les deux premiers parfums d’Aedes de Venustas, Karl Bradl et Robert Gerstner démontrent déjà une cohérence dans leurs options olfactives. Pas seulement parce que l’encens restera la base de toutes leurs créations, mais aussi parce que leur façon de jouer sur les notes en grands aplats culottés leur confère déjà un style-maison. Il sera assez fascinant de voir si cette cohérence se maintiendra d’un parfumeur à l’autre, puisque le duo a l’intention de travailler avec plusieurs signatures. Mais d’ores et déjà, on peut estimer que cette marque-là va se faire sentir.

À Paris, les parfums d'Aedes de Venustas sont vendus chez Jovoy. La marque  a eu la gentillesse de me fournir cinq échantillons à faire tirer au sort parmi mes lecteurs. Pour participer, laissez un commentaire.


30 commentaires:

  1. Moi je veux bien jouer, mais suis-je sûre que si il n'y a pas assez de commentaires vous n'allez pas annuler le tirage au sort des échantillons ?

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  2. Ha l'Iris, après cette rhubarbe a ce damner, ma fleur préférée.

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  3. Magnifique billet... et curiosité aiguisée !

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  4. Votre description est alléchante... Et c'est un iris... Je ne demande qu'à craquer.

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  5. Céline Ophelia29 mai 2013 à 15:00

    Des références à Louis II de Bavière, Huysmans et une faille spatio-temporelle dans ce billet... Tout pour m'intriguer ! Et j'ai un flacon d'Iris Silver Mist de Serge Lutens, j'aimerais bien comparer leur travail de l'iris...

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  6. Anonyme: vous n'êtes sûre de rien. Pari pascalien. Il est grand le mystère de la foi. Encore faut-il ne pas l'avoir trop mauvaise... et s'identifier d'un quelconque pseudo pour être inscrite sur les tablettes!

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  7. Frédéric, c'était en effet une rhubarbe d'enfer. L'iris est plus paradisiaque.

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  8. Mandine, merci! Je suis particulièrement heureuse du visuel fourni par la marque, et d'ailleurs réalisé, je ne l'ai pas mentionné parce que je viens à l'instant de l'apprendre, par Karl Bradl.

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  9. Senga, aura-t-on jamais assez de déclinaisons de l'iris?

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  10. Céline Ophélia, j'étais d'abord partie sur le côté "Nazareth", mais Aedes, c'est tellement baroque...

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  11. Ce qui m'intrigue c'est la référence à Des Esseintes et à Huysmans. Si mes souvenirs sont bons, cela implique une démesure et une décadence de fleurs de cimetière ou d'orchidées. Ne collectionne t'-il pas les fleurs les plus rares, les plus artificielles imitant la nature car il ne la supporte pas ?
    Cela a tendance à me plaire d'autant plus que vieux fan de l'Iris Silver Mist, je suis toujours à la recherche des notes d'iris les plus étranges et celui-là m'a l'air particulièrement curieux.

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  12. Laurent, la référence à Huysmans, c'était d'abord l'aspect physique de la fleur, plus insolite que celui des iris habituels, qui l'appelait. Inconsciemment, à cause du nom (Nazareth) et de l'accord (encens), j'ai dû aussi songer à la veine d'abord diabolique ("Là-bas"), puis catholique de l'auteur...

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  13. L'iris paradisiaque, ca doir etre si beau...

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  14. Iris et encens ? Stop ! C'est trop de tentation... Je joue !

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  15. Yuzu, en effet, c'est un accord à se damner!

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  16. Oh! Cet Iris me tente fort! quel rêve!
    Iris et encens! Et pas n'importe quel iris, une variété dont on n'a que rarement parlé malgré tous les parfums qui utilisent ou évoquent cette note. Intriguant au possible!

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  17. Isayah, juste pour dissiper un éventuel malentendu, le parfum n'utilise pas un extrait de l'iris de Nazareth -- ce dernier a uniquement servi d'inspiration aux créateurs pour son aspect et son nom. Qui sont bel et bien intrigants. Je crois que le parfum est à la hauteur.

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  18. Et vous mentionnez aussi un effet "daim"...mais cette fragrance doit être beaucoup moins douce et moelleuse qu' Infusion d'Iris !

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  19. Zab, pour moi l'Infusion d'iris est assez dure à cause d'un effet que je perçois comme un blanc assez aveuglant (je trouve la version absolue beaucoup plus confortable). Cet Iris Nazarena, plus sombre mais aéré par quelques notes florales, me semble donc plus habitable... mais c'est une question très personnelle!

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  20. Iris et Huysmans... Le dernier fut mon sujet de mémoire il y a un bon moment quand même, le premier l'une de mes notes préférée en parfumerie, avec le galbanum (d'où le 19 bien sûr).
    Je suis donc curieuse, évidemment.

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  21. Veneziana, j'essaie de ne pas abuser de la référence à Huysmans, mais là, ça s'imposait!

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  22. Je suis absolument passionné de l'iris! Note que je trouve délicieusement surannée et qui me fait frémir de plaisir!Pour moi,c'est la quête du Saint Graal de la parfumerie!Certaines nuits, je rêve de découvir, au fond d'un grenier, l'Iris Gris de Jacques Fath, intacte et sublime (je n'en ai qu'une micro quantité acheté à fort prix...)
    Cet Iris Nazarena m'intrigue au plus haut point avec son encens et son fond de daim!Je suis éveillé mais rêve déjà...
    Merci pour cet article!

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  23. Eric, pour l'Iris Gris, qui sait... Ça m'est bien arrivé dans une brocante!

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  24. bonjour Denise,
    je viens de découvrir Iris N. Magnifique au début, un iris comme j'en rêvais, une splendeur.
    Trois heures plus tard, l'iris a disparu. Reste une senteur d'hédione me semble-t-il très éloignée de la rondeur initiale et même de l'iris tout court. Rrrrh

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  25. Désolée, le message râleur précédent n'était pas signé.
    Hélène

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  26. Hélène, j'ai beaucoup porté Iris Nazarena au printemps dernier, je n'ai pas vraiment de souvenir d'un parfum de (relativement) courte durée... mais parfois, pour obtenir l'effet qu'on veut en tête, il ne faut pas surcharger le fond, c'est peut-être le cas ici?

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  27. Coucou Denyse
    Je suis curieux de savoir ce que vous entendez par :
    "leur façon de jouer sur les notes en grands aplats culottés"

    L' "aplat" est un terme que j'ai découvert la semaine dernière en lisant "La note verte" de JCE. Son personnage principal, qui lui ressemble beaucoup beaucoup, travaille le plus souvent en mettant de "grands aplats de matières", pour créer des tensions entre les notes.

    Autant en musique, je vois très bien ce que peut dire "plaquer" un accord (en général lui donner de la force, qu'il établisse bien clairement sa nature, son identité), ou bien un aplat de plusieurs notes, comme autant de couches se superposant; autant en parfumerie j'ai du mal à en voir la signification.

    En ce qui concerne la tension, là j'y vois plus clair, j'imagine associer plusieurs notes dissonantes, qui auront comme résultat quelque chose de pas très harmonieux et plutôt froid.

    Merci d'avance!
    -------
    peace.

    ghost7sam

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    1. J'ai écrit ce billet depuis un bon moment... Disons que dans un travail olfactif en aplats, les notes ne sont pas fondues, occupent une grande surface olfactive, ont une certaine saturation. Je ne sais pas si c'est là aussi ce que JCE dirait mais c'est comme ça que je le comprends.

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    2. merci pour votre réponse. moins de fondu donc j'imagine, plus de "lisibilité", et souvent moins de matières.
      ghost7sam

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