Dire que les
colognes sont tendance serait un euphémisme. Désormais virale et mutante, cette
famille olfactive a engendré un style que j’ai surnommé le Faux de Cologne, qui
conserve la notion de fraicheur tout en s’écartant des recettes classiques,
soit en amplifiant les notes de cœur et de fond pour plus de rémanence, soit en
introduisant des effets non-canoniques de fruits tropicaux ou de thé, par
exemple.
Si l’on peut
revendiquer chez Hermès l’une des colognes les plus aimées -- et les plus
admirées des parfumeurs – avec l’Eau d’Orange
Verte, on s’est aussi aventuré dans le territoire des Faux de Cologne avec
l’insolite Eau de Gentiane Blanche,
lancée en 2009. Comme cette dernière, la nouvelle Eau de Narcisse Bleu joue sur l’amertume
comme forme alternative de la fraîcheur, ce que l’on retrouvait d’ailleurs sous
une forme atténuée dans Jour.
Les lecteurs du Journald’un parfumeur se souviendront que son auteur mentionnait en passant cette Eau de Narcisse Bleu sur laquelle il
travaillait à l’époque : « Plus
qu’une odeur, je lui cherche une texture, une consistance que je désire
insolite et évidente. » (p.107)
Insolite ? Mission accomplie. Eau
de Narcisse Bleu ne ressemble pratiquement à rien sur le
marché, si ce n’est à L’Heure Fougueuse
de Cartier, autre jeu sur la cologne (c’est un hommage de Mathilde Laurent à Eau Sauvage) sur base maté.
Le narcisse n’est
pas étranger à la famille cologne, puisque le classique Eau de Rochas (1970) tirait déjà parti des effets les plus frais de
la fleur. Ellena tire sur cette note pour en faire le cœur de sa composition,
en jouant très légèrement sur sa facette cheval, là où elle croise la zone
foin-tabac-thé de la carte olfactive. Car bien que la note ne soit pas
revendiquée chez Hermès, c’est quelque chose du thé que je sens : en tous
cas l’amertume tannique, râpeuse, d’un thé très infusé, qui produit bien cet
effet de texture recherché par Ellena, sur lequel vient s’accrocher la douceur
de la fleur d’oranger.
.
Qu’un parfum
Hermès s’axe sur le narcisse, fleur au sillage équestre, ça tombe sous le sens –
Ménéhould de Bazelaire, directrice du patrimoine culture de la maison, nous
racontait d’ailleurs que durant l’Occupation, faute de trouver de quoi orner
les vitrines du 24 Faubourg Saint-Honoré, on y avait disposé du crottin de
cheval séché. Mais que vaut à ce narcisse sa couleur céleste ?
Piochons à
nouveau dans le Journal d’un parfumeur,
où l’on retrouve l’épithète, accolé à l’origine à une Eau de Mandarine bleue alors en cours de développement. Un clin d’œil au
« La terre est bleue comme une orange » d’Éluard. Bien vu. On l’a
découvert dans son Que sais-je ?,
Ellena travaille ses accords un peu comme les Surréalistes créaient leurs
métaphores, en enchaînant des odeurs connexes dans une espèce de « marabout/bout
de ficelle/selle de cheval » puis en retirant des chaînons. Toujours chez les Surréalistes, l’une des phrases fondatrices du mouvement, de Pierre
Reverdy au sujet de L’Image
(1918):
« Elle ne peut naître d’une comparaison mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées. Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte. »
Bref, ce bleu a
roulé de la mandarine, devenue Ambrée, pour graviter vers le narcisse, ou plutôt lui revenir
puisque dès les années 20, Mury proposait un Narcisse bleu (parfum fertile, puisqu’il avait déjà cédé son flacon
à l’Ombre rose de Jean-Charles
Brosseau).
La texture à la
fois amère et douce d’Eau de Narcisse
Bleu est doublement rafraîchissante : rien ne saurait mieux nous
décoller des cuves caramel et de confitures que déverse sur nous le mainstream.
Sa séduction tient à la fois de son insolite et de sa justesse : comme les
meilleures eaux fraîches, ce produit de l’art du parfumeur a l’harmonie des
choses crées par la nature. À ce titre, cette cologne assure sa fonction
première, celle d’un splash tonique qui met de bonne humeur le matin. Mais ce
parfum ne se contente pas de nous réveiller : il est également capable de
conversation intelligente au-dessus d’un thé. Des coups à vous faire tomber
amoureuse.
Illustration: Les grands chevaux bleus de Franz Mark
Bonjour Denize,
RépondreSupprimerJe le sens à mon poignet en même temps que je lis votre post. Oui je retrouve l'amertume qui est censée faire office de fraîcheur, oui je sens le foin et même quelque chose d'un tabac lointain, de la poudre douce (iris ?)et il y a aussi un pétale incroyablement frais et printanier qui émergent par à-coups avec une fraîcheur dingue. Et ça, je ne mets pas de nom dessus. C'est le narcisse ? Il ne m'avait pas fait cette impression quand je l'avais senti seul. Vos lumières me seraient utiles...
Amitiés
Hélène
Hélène, le dossier de presse revendique la fleur d'oranger donc, comme diraient les Tontons Flingueurs, y'en a. De toute façon, JCE ne traite jamais ses matières de façon littérale, donc on peut s'imaginer qu'il s'agit de facettes de narcisse retravaillées: ça ne ressemble en effet ni à l'absolue, ni en tous cas aux narcisses qu'on sent chez les fleuristes (qui ne doivent pas si mes souvenirs sont bons être les mêmes que ceux qu'on utilise en parfumerie).
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerje le porte également tandis que je vous écris. Je sens également du thé sous la poudre et quelque chose d'ombragé.
Une belle rencontre que ce Narcisse Bleu...
Le vieux pull, belle rencontre, en effet: c'est mon coup de foudre de la saison!
RépondreSupprimerRencontre d'octobre, coup de cœur de la Toussaint, adoption de décembre, chouchou d'un séjour au ski : un vrai petit bijou, cette Eau de Narcisse Bleu!
RépondreSupprimerCannelle-Vanille
Cannelle-Vanille, ce parfum est aussi pour moi l'un des coups de coeur de l'année.
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