lundi 13 août 2012

La vie est belle en rose, ou : Lancôme fait de l'anti-sinistrose




Sait-on encore choisir dans les grandes marques de parfum ? Comment peut-on choisir, d’ailleurs, comment peut-on même sentir lorsque pratiquement tous les parfumeurs de la place de Paris sont convoqués pour soumettre des propositions pendant deux ans ? Quand un produit exige 5521 essais, s’agit-il de perfectionnisme exacerbé ou d’indécision chronique ?  Est-il même judicieux de se vanter d'en être passé par 5521 essais ? Apparemment, Lancôme n’hésite pas à le faire dans son dossier de presse.

Ça commence à sentir le roussi plutôt que la rose quand une marque se fend d’un com' style plaidoyer anti-sinistrose dans un dossier de presse qui inclut une histoire express des femmes depuis les 70s, un éloge du less is better, de « l’être plutôt que l’apparence » et de « la simplicité de la vérité, de la sincérité » et  un texte de philosophe en chemise blanche, fort décoratif au demeurant. Vincent Cespedès, auteur de L’Homme expliqué aux femmes, affirme donc, sponsorisé par L’Oréal,  que « le bonheur est pour les femmes un choix philosophique radical ». Il semble que La Vie est Belle soit la potion magique permettant d’y parvenir. Au bout de 5521 tentatives, sans doute.

Le nouveau Lancôme, l’un des plus gros lancements de la rentrée, est signé par rien moins que trois grands parfumeurs d’IFF, Olivier Polge, Dominique Ropion et Anne Flipo, lesquels ont largement démontré leur talent. Le premier, nous apprend Cosmétique Mag, a perfectionné l’accord iris. Le second, le cœur jasmin sambac et fleur d’oranger. La troisième, le fond gourmand praline, vanille, tonka, cassis et poire. Personne n’assume la responsabilité du patchouli, qui a dû s’inviter tout seul comme un grand.

La Vie est Belle dégage un volume énorme et tient comme du caramel sur une molaire, sans doute grâce au savoir-faire hors-pair de Dominique Ropion, qui serait incapable de créer un parfum sans sillage ni ténacité même en le faisant exprès. Ce « premier iris gourmand » -- on oublie en passant l’Iris Ganache de Thierry Wasser pour Guerlain – revendique du véritable beurre d’iris (vu le prix, sans doute en a-t-on agité un dé à coudre au-dessus de la cuve). Mais là où Dior Homme d’Olivier Polge (l’original, pas le « rapatrié » LVMH) exploitait élégamment la facette chocolatée que dégage le beurre d’iris à un stade de sa maturation, cet iris-ci se fond dans le praliné en entraînant l’accord fleurs blanches.

Le résultat, rejeton d’Angel et de Dior Homme, me semble vaguement renfrogné – sans doute à force d’être tiraillé entre son exubérante maman et son aristocrate de père, et de lorgner vers le chic de la zia Infusion d’Iris tout en rêvant d'aller déconner avec la cousine Coco Mademoiselle. Même parée du sourire éblouissant de Julia Roberts pour sortir dans le monde, on bouderait pour moins que ça. C’est la vie.




21 commentaires:

  1. Ah ah excellent !

    Je l'ai senti celui là la dernière fois et j'ai envie de dire "ON SE FOUT DE NOTRE GUEULE" :D !

    Qu'il y ait de l'iris, un beau jasmin et une fleur d'oranger irradiante, soit. Mais flûte : pourquoi casser le tout par la bonne grosse louche de gourmandise !

    On se retrouve avec un ersatz de FlowerBomb tout aussi sucrailles dégueulasse là où on aurait pu avoir un joli floral maîtrisé par trois grands artistes de la parfumerie.

    Comme dirait les pétasses-qui-regardent-Secret-Story-et-qui-sont-la-cible-de-ce-parfum :

    Jicky

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  2. Jicky, de passage au duty-free de CDG2E, la jeune vendeuse m'a dit de ce parfum: "C'est joli pour les mamans". J'en déduis donc que ce qu'on visait, c'était un fleuri-fruité-patchouli plus adulte. On sent, comme souvent, qu'il y aurait pu y avoir de l'idée. Mais qu'on a sans doute voulu que ce produit plaise à tout le monde, comme d'hab. D'où: problème d'identité.

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  3. Ah mais flûte ! Le "lol" de fin n'est pas passé !! C'est pas drôle !

    Pour les mamans ? Non... Non par pitié ! Parce que qui dit maman dit bébé et qui dit bébé dit sensibilité olfactive ===> si La vie est belle devient la madeleine de Proust de demain, j'ai vraiment peur.

    Quand on voit que les quelques bonnes idées n'aboutissent pas dans le mainstream, j'ai envie d'applaudir des marques Mugler qui arrivent encore à nous surprendre même (surtout ?) dans la réinterprétation de leurs parfums !

    J.

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  4. Jicky, je me disais bien qu'il manquait quelque chose après les deux points! Je pense que cette jeune femme songeait plutôt aux mamans des personnes de son âge (donc plutôt du mien), c'est-à-dire que pour elle, ce parfum n'était pas, pour une fois, destiné aux jeunes filles.

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  5. Bien heureusement ces mamans là ont encore une chose qui s'appelle du goût ! ;)

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  6. Jicky, je ne pense pas du tout que La Vie est Belle soit de mauvais goût. Il est plutôt consensuel, ce qui est sans doute pire péché à certains yeux (ou nez). Les parfumeurs ne font pas toujours ce qu'ils veulent... Et les trois qui ont signé celui-ci nous ont très largement démontré qu'ils étaient capables de choses superbes.

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  7. Je ne blâme aucunement les trois parfumeurs, qui ont tous démontré leur génie auparavant et nous surprendrons encore. Le brief c'est le brief.

    Quand je parle de goût, je parle de finesse de goût. Quand je dis que nos mamans ont bon goût, c'est qu'elles sont capables d'avoir une certaine finesse dans leur choix. Il découle - comme vous le dites - une certaine fuite du consensus. Et non que La Vie est Belle est de mauvais goût.

    Il est juste déjà senti, markété et sucrailleux. "Juste".

    J.

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  8. Jicky, paraphraser Godard "ce n'est pas un parfum juste, c'est juste un parfum". A moins qu'on préfère, du même: « La culture, c’est la règle ; l’art, c’est l’exception »

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  9. Hum, ça ne donne pas très envie de courir le sentir... Mais de toute façon, je ne m'attends pas de Lancôme des merveilles...les derniers parfums qui m'ont plus chez eux étaient des reéditions de classiques, Mille et Une Roses et Cuir. Les nouveautés ne valent rien pour moi.

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  10. Bonjour,
    L'anti sinistrose était aussi annoncée avec Prada Candy ou comment bouffer du sucre sans culpabiliser.
    Pour La Vie est Belle, je lui trouve une franche parenté à Lady Million arrosé de la praline de Flowerbomb. Par contre, je ne perçois pas l'iris en question.
    Mais, à vue de nez, il est vraiment bien plus réussi que l'autre gros lancement du moment "Manifesto". Et là, pour le coup, on peut vraiment dire que c' est du "foutage de gueule".
    Alex

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  11. Tara, ce qui est énervant c'est qu'il s'en faudrait de peu pour que ce parfum bascule vers quelque chose de très bien. C'est comme si tout le monde avait voulu son avis jusqu'à la dernière minute...

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  12. Alex, en effet, mais je préfère tout de même largement le "mix" Candy, à la fois plus cohérent et plus détonnant par rapport à la marque:l'équation Infusion d'Iris + Candy = Infusion d'Iris absolue, ça m'enchante. Et je porte.
    Quant à Manifesto, j'y reviendrai.

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  13. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  14. Héhé j'ai adoré cet article, j'ai vraiment ri derrière mon écran.

    C'est intéressant de lire à quel point tout le monde est d'accord pour dire que le jus est un mainstream consensuel alors que la pub qui vient d'être dévoilée essaye de raconter l'inverse...

    http://www.youtube.com/watch?v=ahBbOgPK8VQ

    Contrebalancer un manque de saveur et d'originalité par une publicité qui suggère un affranchissement des règles, c'est triste. Et ça a du leur coûter cher.

    M-

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  15. Matthieu, je propose cet axiome: la prise de risque pour un jus est inversement proportionnelle au coût de la campagne de pub. Ou: plus un lancement coûte cher, plus le parfum sentira la peur de se planter.

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  16. Je me désintéresse des parfums Lancôme depuis 30 ans vu que le dernier que j'ai aimé se nommait Magie Noire! Celui ci ne plaira sans doute pas aux connaisseurs ou passionnés mais quand on voit le succès d'un Lady Million, on se dit qu'il a toutes ses chances!

    Quant à Manifesto, je me souviens du floral vert éponyme d'Isabella Rosselini qui n'était pas mal du tout, non?

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  17. Rebecca, en effet le parfum d'Isabella Rossellini s'appelait Manifesto, il me semble que c'était une note thé. L'Oréal a dû lui racheter le nom.
    Lady Million a un marketing mix génial et d'après ce que j'ai compris c'est en "anti-Million" que se positionne le Lancôme. C'est bien vu... mais pas tout à fait aussi fun.
    Mais pour les parfums Lancôme, ne surtout pas oublier Trésor, grandiose, qui a créé la matrice d'un certain style de parfumerie très moderne.

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  18. Je viens tout juste de sentir "La vie est belle"... Un peu trop de réticences pour l'essayer par forte chaleur, au cas ou il se révélait vraiment tel que je l'imaginais via ce billet et ses nombreux commentaires ! Et je n'ai malheureusement pas eu de (bonnes) surprises : ou est donc caché l'iris altier et poudré dans ce "pot de nutella" olfactif ? Non pas que je n'aime pas, de temps à autres, les sucreries industrielles, dégustées directement à la petite cuillère ! Mais il y a tromperie quand on veut me faire croire que l'odeur si fine de la racine d'iris donne le caractère dominant de ce parfum. J'ai beau chercher, j'y perds mon nez. Et comme cela me met de mauvaise humeur, je suis énervée par le nom mièvre, la couleur artificielle et ce petit noeud gris tout triste. Si c'est cela la révolte face à la sinistrose ! Je retourne du coté de Serge Lutens, meme si je ne suis pas toujours accro au santal, au moins, sa dernière création à un nom mystérieux qui appelle au reve...

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  19. Ajisai, comme je l'écrivais autrement dans ce billet, j'ai l'impression que ce parfum essaie d'être trop de choses à la fois, jusqu'au jus teinté en rose contrasté avec le ruban gris peut-être censé le rendre plus adulte... Je pense qu'il y avait certainement de très bonnes idées dans cette composition mais qu'elles ont sans doute été brouillées par trop d'interventions. N'en ayant parlé à aucun des acteurs concernés, je n'en sais rien. Mais ça se subodore.

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  20. J'adore cet article (enfin, comme tous les autres...toujours écrit avec grâce, c'est un délice de te lire). Je viens de sentir ce..."parfum". Beurk..J'ai faillit vomir mon ptit déj. Et en plus ils s'y sont mis à 3 pour sortir ça. En tant que "jeune maman" je me sens limite offusquée ! ;-)
    Ma fille n'aura pas les séquelles infligées par ce parfum sur ma peau !

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  21. Alesahnee, les trois en question ayant fait de vraiment très belles choses, ils ne sont pas en cause. C'est la machine commerciale emballée qui fait qu'on aboutit à des produits tiraillés de tous les côtés.
    Et merci pour les mots gentils!

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