Des échantillons des prochains État Libre d’Orange (Archives 69), By Kilian (Incense Oud), Cartier (Cartier de Lune) et Frapin (1697) s’alignent sur mon bureau – ce dernier, pratiquement à sec puisque le lancement a été décalé – et le nouveau Serge Lutens, Jeux de Peau, devrait bientôt les rejoindre. Je parlerai de tout cela bientôt, mais pour l’instant, plus j’avance dans le livre plus cela me coûte d’écrire quoi que ce soit d’autre – l’effort nécessaire à un marathon n’est pas celui qu’on déploie au sprint, et j’ai du mal à changer de vitesse.
Ce semi-congé de blog m’a offert l’occasion rare de porter des choses sur lesquelles j’ai déjà publié mes pensées (dans le redoux parisien, La Traversée du Bosphore et L’Heure Fougueuse ont succédé à ma boulimie d’encens). Mais je ne me parfume pas lorsque je reste chez moi pour écrire, bien que je fasse parfois brûler des bougies (j’alterne la Gomme Arabique d’Iunx avec Avignon et Encens Flamboyant), ce qui est également un luxe rare puisque je n’utilise pas de parfum d’ambiance lorsque je teste. Ce silence du parfum est sans doute une façon de faire taire toute interférence qui brouillerait la montée des phrases – j’ai aussi réduit radicalement mes séjours en ligne, et je mets souvent plusieurs jours à répondre aux mails…
Mais je porte toujours du parfum lorsque je sors, trop souvent à mon goût d’ailleurs – mon avance sur droits d’auteur ne m’exempte pas de travailler. Il me serait aussi impensable de ne pas mettre de parfum lorsque je m’expose au monde que de sortir sans maquillage : porter l’un et l’autre donne forme au désordre de mes traits et de mon esprit alors qu’ils émergent à peine des songes. C’est, dans une certaine mesure, une forme de politesse envers ceux qui me croiseront que de ne pas me présenter à eux toute crue. Une forme de narcissisme aussi, bien sûr, mais également un rituel qui confine au sacré : en matière de parfums et de cosmétiques, j’ai toujours été résolument Baudelairienne lorsqu’il s’agit de transcender la Nature, et « L’Éloge du maquillage » est un livre de chevet depuis l’époque où j’ai gagné assez d’argent de poche pour supplier ma tante de me rapporter de Paris un fard Le Multiple de Dior qui pouvait s’appliquer sur les paupières, les joues et les lèvres…
« Qui oserait assigner à l’art la fonction stérile d’imiter la nature? Le maquillage n’a pas à se cacher, à éviter de se laisser deviner; il peut, au contraire, s’étaler, sinon avec affectation, au moins avec une espèce de candeur. (…) je me contenterai d’en appeler auprès des véritables artistes, ainsi que des femmes qui ont reçu en naissant une étincelle de ce feu sacré dont elles voudraient s’illuminer tout entières. »
Le concepteur de ce fard n’était autre que Serge Lutens, et bien qu’il soit las qu’on use et abuse de la référence baudelairienne dès qu’il est question de maquillage, il est indéniable que sa propre ligne de maquillage s’écarte for peu des canons du poète – poudre qui rapproche le teint de celui d’une statue, noir pour encadrer l’œil, rouge pour y allumer une flamme surnaturelle.
Je n’ai aucune intention de traiter de maquillage dans ce blog mis à part le présent écart, d’autant moins que j’utilise exclusivement le Nécessaire de Beauté depuis qu’un ami m’a très gentiment offert les fards à paupière, le khol et le mascara : depuis, j’y ai ajouté le Teint Si Fin et l’un des rouges à lèvres, et remisé le reste de mon maquillage au placard. La gamme est extrêmement coûteuse, soit : mais à quelques détails près, notamment les applicateurs éponge de qualité médiocre et le fait que tous les rouges à lèvres rouges tirent sur le bleu (le vermillon m’irait mieux), elle correspond parfaitement à son nom. Rien d’autre ne m’est désormais nécessaire.
Le Teint Si Fin, bien qu’il ne soit sans doute pas parfaitement adapté aux peaux sèches, est impalpable, velouté et parfaitement unifiant. Le Fard Khôl liner est d’un maniement délicat à maîtriser, mais lorsqu’on sait l’appliquer (je le réchauffe parfois d’un coup de sèche-cheveux pour l’assouplir), il tient des heures même à l’intérieur des paupières. Les fards à paupière, une palette de noir, d’aubergine, de brun légèrement teinté de bleu et de vanille, sont densément pigments et d’une finesse extrême : encore une fois, il faut un certain tour de main pour les manier parfaitement. Plutôt que les applicateurs éponge fournis avec le boîtier, j’utilise le pinceau Mac 217 pour le contour de l’œil, ce qui me permet de farder l’ourlet de la paupière inférieure, sauf la portion centrale, pour créer un œil charbonneux parfaitement Lutensien ; je travaille la paupière mobile au Shu Uemura N°10. Le mascara Œil pour Œil est remarquablement souple pour un waterproof, et capable de survivre à une (courte) nuit sans s’effriter : seul le démaquillant Serge Lutens en vient à bout. Enfin, la texture des Fards à Lèvres est la plus agréable que je connaissance, densément pigmentée elle aussi, mais presque sans sensation de matière. Le Beige Compliment est le premier rouge à lèvres « nude » que je porte – je l’ai testé un jour car je souhaitais équilibrer l’œil charbonneux par une bouche très « mon amoureux m’a mangé tout mon rouge avec ses baisers » -- et j’ai compris pourquoi après avoir tenté en vain de lui trouver un équivalent moins onéreux : il a une très légère teinte cuivrée, et surtout, pas une trace de ce pigment blanc qui fait que les rouges à lèvres beiges me donnent en général une mine cadavérique…
Désormais, les matins où je sors, je n’ai plus qu’à hésiter entre le noir, le brun ou l’aubergine pour l’œil : mon rituel en a été merveilleusement simplifié. Ce qui n’est pas un mince gain de temps lorsqu’on doit choisir entre des dizaines de parfums…
Après tout, « La femme est bien dans son droit, et même elle accomplit une espèce de devoir en s’appliquant à paraître magique et surnaturelle. »
Illustration: Publicité pour les maquillages Christian Dior réalisée par Serge Lutens, 1973.
En dehors de la qualite incontestable des produits de la ligne de maquillage Lutens, c'est surtout une question de rehabilitation du maquillage que Serge Lutens nous propose; offrir aux femmes une alternative credible par rapport a la majorite des grandes marques y compris Guerlain et Dior qui se vautrent de plus en plus dans le marketing de la putasserie. La derniere fois que je suis passee devant le stand MAC avec en prime la musique rap a fond, je n'ai pas pu m'empecher de me dire a quel point les conseilleres de vente etaient toutes plus vulgaires les unes que les autres, pour ce qui est de la situation des marques mainstream, desormais L'Oreal fait appel a la reine des putains putassieres, Beyonce, le genre de beaute exotique qui communique sur ses grosses cuisses, sa mini jupe flashy ras les fesses, ses fausses dents, ses faux seins et ses fausses boucles!
RépondreSupprimerUella, en effet on peut finir par rejeter non seulement le marketing, mais le carrousel des couleurs de la saison, la diversité affolante des choix proposés, et en effet, se recentrer sur l'essentiel: unifier le teint, cadrer et intensifier les yeux, dessiner les lèvres, basta. Et en effet, souvent lorsque je vois la façon dont les conseillères se fardent, je me dis que je ne désire pas leurs conseils.
RépondreSupprimerpersonnellement je ne supporte pas cette mode du maquillage "nude", certes, les années 80 étaient trop colorées mais là on est dans l'excès inverse et le nude ne va vraiment qu'aux très très jeunes femmes, pour les autres, cela leur donne un air blafard et triste. j'irai voir ses rouges parce que les rouges "bleus" (carmins) me vont beaucoup mieux que les rouges "oranges" (vermillon) et je suis toujours curieuse d'en découvrir des nouveau.
RépondreSupprimermon préféré est le Dior no 13 (roulette red en anglais et bingo en français (!)), je l'adore et je n'ai pas trouvé mieux. mais vous avez raison, parler de maquillage ici est une petite parenthèse!
Malheureusement, ce n'est pas demain la veille, vu le prix de la gamme, que je pourrai tester le maquillage Lutens, j'aurais bien aimé me faire une idée. Ce qui m'étonne, c'est qu'en 5 ans de mannequinnat, je n'ai jamais vu aucun maquilleur pro les utiliser, et ce n'était pas à cause du prix, parce-que j'ai eu la chance de voir à l'oeuvre les plus réputés, alors leur budget (surtout dans le contexte) n'était certainement pas limité. Et ils faisaient des merveilles, que ce soit pour sublimer naturellement la beauté que pour transformer le visage avec des couleurs fortes. Je pense que le maquillage le moins cher est parfait, le plus important c'est de vraiment savoir se maquiller, chaque visage est différent et c'est un Art de savoir les mettre en valeur sur une échelle allant du plus "nude" au plus travaillé. Quand on sait faire, le maquillage le plus économique fait parfaitement l'affaire. Pour le Khôl, je suis très fan de celui de Guerlain, qui certes est cher (moins que le Lutens tout-de-même), mais me dure des années! @Uella, c'est sûr que Beyonce ne fait pas dans la finesse, mais son corps me fait plus rêver que les filles aux corps pré-pubères qui ont le monopole dans les médias! Vous avez-vu le Pirelli par Lagerfeld? Les mannequins ne font plus envie à personnes...
RépondreSupprimerClochette, si je peux me permettre de vous repondre, Serge Lutens ne vient pas exactement du milieu du mannequinat des defiles de mode, il est concepteur d'images ou il a debute avec Dior et plus tard Shiseido. La fille de la photo, Anjelica Huston, a devoile que c'etait tres courant pour Serge Lutens de passer une demi-journee entiere de maquillage pour arriver au resultat desire.
RépondreSupprimerJe suis entierement d'accord, avec un peu d'experience et de bon gout on peut creer un maquillage exceptionnel sans se farder avec des marques tres haut de gamme a la difference que Serge Lutens comme il le fait pour le parfum, sublime a l'extreme le maquillage. Il y a un garcon sur la section anglophone du blog qui fait part de son desir de posseder un des rouges de Serge Lutens, non pas pour le porter bien sur mais rien que pour que l'objet, un desir fetichiste en quelque sorte.
Serge Lutens parfumeur et concepteur d'images, interview France24:
http://www.youtube.com/watch?v=LGVizElanww&feature=related
Columbine, il ne faut jamais dire jamais! Je n'aimais pas la bouche nude avant d'essayer ce fameux Beige Compliment, pour les raisons que j'ai dites... Avoir la bouche écarlate et l'oeil charbonneux, c'est un peu too much de jour et le soir aussi, d'ailleurs, si l'on compte se faire embrasser!
RépondreSupprimerClochette, la gamme Serge Lutens est très récente, et en effet trop coûteuse pour utiliser pour maquiller des mannequins de défilés (cela dit, c'est fabriqué par Shiseido qui a aussi brièvement fabriqué les Stéphane Marais).
RépondreSupprimerC'est vraiment le type d'objet qui relève du luxe pour soi, y compris dans le fait de voir ces étuis si sobres, presque muets, plutôt qu'un bordel de conditionnements non-assortis de toutes les marques. Disons qu'après des années de surconsommation de maquillage, c'est mon moment zen.
Uella, en effet, on est loin du concept Mac ou Makeup Forever... Comme toujours chez Serge Lutens, on est dans le domaine de l'option forte, où l'on se reconnaît ou pas, plutôt que dans le choix à l'infini, renouvelé chaque saison. Le contraste exacerbé (oeil noir, lèvres rouges, teint pâle) comme énoncé définitif, en somme.
RépondreSupprimercarmencanada, l'univers artistique de Serge Lutens a toujours ete en decalage avec ce qui se fait ailleurs; ses parfums, son maquillage ne sont pas concus pour plaire au plus grand nombre mais au contraire pour reprendre l'expression du Marquis de Sade au sujet de plaisirs tres particuliers, seule une elite de personnes sophistiquees peut comprendre et apprecier ;-)
RépondreSupprimerAvez-vous visionne la pub japonaise que Serge Lutens a realise pour la gamme de maquillage INOUI dans les annees 80? Elle est disponible sur youtube - fantastique!
http://www.youtube.com/watch?v=Xpcz2vuYWss
Uella, superbe! Et celui-ci, pour voir un très jeune M. Lutens, cheveux longs, l'oeil farder, qui travaille les cils de son modèle au pinceau...
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=fKT9SU4-La8&feature=related
Je veux dire "l'oeil fardé" avec un accent aigu...
RépondreSupprimerEn tant que jeune homme, "l'oeil fardé" lui allait a merveille! Je me suis rendue compte qu'il existe plusieurs extraits de films publicitaires pour INOUI de Shiseido, tous plus "inouis" les uns que les autres bien sur, mais par contre je n'ai rien trouve d'equivalent pour le parfum du meme nom (que je n'ai jamais senti mais qui apparament serait un chypre vert), au passage disponible sur ebay a 500 dollars le flacon vintage ;-)
RépondreSupprimerUella, je crois que cela lui irait encore à merveille, il a un regard magnifique...
RépondreSupprimerJ'ignore s'il a participé à la conception du parfum Inoui, il est disponible à l'Osmothèque, je le demanderai lors de ma prochaine visite...
Ah j'ai le problème inverse avec mon rouge à lèvres Lutens, j'ai acheté Votre Sienne et quand il est sur les lèvres, il tire vraiment trop sur le brun orangé. Une erreur d'achat qui fait se mordre les doigts... à ce prix, c'est dur de se tromper !
RépondreSupprimerLe khol liner est un magnifique objet, même si le Clinique me semble équivalent, effet esthétique du packaging en moins bien sûr ! Le blanc en revanche ne m'a pas convaincue à l'usage, peut-être ne suis-je pas assez appliquée ou experte.
Le fond de teint, oui, est une merveille, même s'il est d'une couvrance légère...
Je rêve maintenant des fards à paupières... à 125€ le boîtier c'est un investissement. Et je continue donc à acheter mes palettes Nars, une excellente marque aussi et dont l'esthétique se rapproche un peu de Lutens: beaucoup de noir(mat, cette fois)et des boîtiers agréables à tenir en main ainsi qu'au toucher. Rien à voir avec le clinquant bling bling de YSL et Guerlain qui m'insupporte beaucoup plus que MAC et consorts !
Enfin, c'est une économie assez relative, Nars est à peine moins donné que Lutens!
Pour en revenir à la gamme Lutens, je regrette qu'il y manque un necessaire à sourcils, c'est étonnant, cet art graphique si raffiné et précis est tout à fait un trait Lutens,me semble-t-il.
alizarine
C'est drôle, le Multiple de Nars, un de leurs produits phares a le même nom que son ancêtre Dior et les mêmes usages(mais c'est une présentation en bâton)
RépondreSupprimeralizarine
Alizarine, voyez, même Votre Sienne est trop bleu pour moi, comme quoi... Nars est aussi en général mon plan B même si en fait, je trouve que les boîtiers tiennent à retenir les traces de doigts poudrés et donc à perdre leur matité noire. Les sourcils... peut-être est-ce parce qu'on ne peut résumer ce genre de produit à une ou deux couleurs?
RépondreSupprimerQuelqu'un faisait la même remarque côté anglais au sujet de ce Multiple, mais c'est bien M. Lutens, je crois, qui en a inventé le principe en 1973. Cela n'a pas été, quelques années plus tard, mon premier fard, mais c'est celui que j'ai le plus convoité!
Bonjour,
RépondreSupprimerj'aime la façon dont vous écrivez un peu aérienne et charnelle comme un parfum d'ailleurs. Vous créer un univers assez particulier qui appartient pour moi à une autre époque mais qui me parle.
www.celinemihalachi.com
Wendy, merci -- j'appellerais cela des considérations inactuelles mais la référence à Nietzsche est peut-être un peu exagérée? Restons sur Baudelaire...
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