L’une des principales publications professionnelles de l’industrie du parfum et des arômes, Perfumer & Flavorist, publiait récemment un article de son rédacteur en chef, Jeb Gleason-Allured, au sujet des messages négatifs colportés par la presse et internet sur les parfums. Comme M. Gleason-Allured invitait les réactions, je lui ai fait parvenir la lettre suivante, qu’il m’a offert de publier sur le site du magazine. Elle est parue le 28 avril. En voici la traduction. Pour consulter la version originale, cliquez ici.
Vous rapportez les propos de Cynthia Reichard et Michelle Harper [de la société Arylessence], pour qui « les articles positifs sur l’industrie du parfum sont pratiquement inexistants dans les médias. »
Je me permets de vous contredire.
L’industrie dispose bel et bien – même si elle ne le contrôle pas – d’un réseau de sources de « buzz » positif sur le parfum : les blogs et les forums spécialisés, avec des dizaines de rédacteurs et des dizaines de milliers de lecteurs dont les posts sur le parfum explorent bel et bien divers aspects de l’industrie (parfumeurs, matériaux aromatiques, histoire). Ces blogs, y compris le mien, sont ce qui apparaît lorsqu’on effectue une recherche Google sur un parfum. Quelqu’amateurs qu’ils puissent sembler, ils expriment un intérêt réel et actif qui dépasse souvent le niveau de la simple critique d’objet de consommation. Cependant, mis à part les petites marques de parfumerie de niche et un parfumeur de temps en temps, l’industrie n’a jamais vraiment interagi avec les blogs, à part ceux qui reproduisent les communiqués de presse quasiment mot pour moi.
Quoi qu’il en soit, le point de vue actuel des bloggeurs parfum et de leurs lecteurs sur l’industrie a été affecté de façon très négative par le « buzz » récemment créé par l’article de Luca Turin dans NZZ Folio sur la mort de la parfumerie, suite aux nouvelles restrictions imposées par l’IFRA [Amendement 43] sur plusieurs matériaux. L’explication la plus courante donnée par les bloggeurs ou leurs lecteurs sur ces restrictions, c’est que « l’industrie veut se faire plus d’argent en interdisant les matériaux naturels pour les remplacés par des matériaux synthétiques brevetés. »
La ligne officielle de l’IFRA semble être que les parfums doivent être rendus plus « sûrs » (comme si des populations entières s’étaient grattées jusqu’au sang après s’être aspergées de Mitsouko, Joy ou Diorissimo) afin de contrer les campagnes de presse négatives. Les liens que vous fournissez à des articles sensationnalistes fondés sur des démonstrations scientifiques erronées donnent en effet des raisons de s’inquiéter. Mais en proclamant que les parfums reformulés sont parfaitement « inoffensifs », croit-on sérieusement faire reculer le lobby anti-parfum ? J’en doute : les militants de ces campagnes n’écrivent pas à leurs congressmen pour obtenir un Mitsouko non-allergène. Ils veulent le faire interdire. Ce qui les gêne, c’est l’odeur, d’après ce que j’ai compris des études réalisées sur les patients atteints du Multiple Chemical Sensitivity Syndrome. Leur discours sur « les méchants produits chimiques » n’est qu’une rationalisation.
Dans un autre article de P&F, Harvey Gedeon d’Estée Lauder déclarait : « L’industrie doit démontrer les bénéficies du parfum et l’étayer par des recherches scientifiques sérieuses. Car peu importe combien de matériaux sont supprimés des listes par les maisons de parfums, les militants exigeront toujours de plus en plus de suppressions. » Ceci semble indiquer que l’industrie est consciente de la relative inutilité des restrictions, qu’elle est néanmoins en train de mettre en œuvre. Le besoin de vulgarisation scientifique sérieuse est évident, mais au lieu de cela, l’industrie s’apprête à castrer clandestinement la plupart des parfums classiques. Un nombre écrasant d’entre elles seront reformulées et défigurées, sans que les consommateurs soient avertis que le contenu de leurs flacons aura le même nom, le même prix, mais plus la même odeur. Ce qui est à la limite de la fraude.
Pourquoi l’industrie n’a-t-elle pas considéré un étiquetage plus précis sur les risques d’allergie ? Une crise d’urticaire n’a jamais tué personne, et n’importe-quel cosmétique, fut-il « hypo-allergène », provoquera des réactions chez une part de la population. En général, on change de produit et ça s’arrête là. Pourquoi l’industrie n’a-t-elle pas fait campagne pour protéger ses produits et son patrimoine, plutôt que d’appliquer des réglementations qui, de son propre aveu, ne résoudra en rien la vague de « chimio-phobie » ?
Je ne prétends pas avoir la compétence d’évaluer les expertises scientifiques qui fondent les nouvelles réglementations. Mais du point de vue des amoureux du parfum, l’industrie semble s’être tiré une balle dans le pied – et tous les parfumeurs auxquels j’ai parlé sont de cet avis, même si aucun ne peux s’exprimer officiellement.
Voilà à quoi ressemble la situation du point de vue d’une bloggeuse et d’une amoureuse des parfums qui n’a qu’une perspective limité sur les rouages de l’industrie. Peut-être souhaiteriez-vous éclairer la situation. Mes pages vous sont ouvertes, ainsi qu’à toute personne à laquelle vous souhaiteriez transmettre cette lettre : vous êtes en bien meilleure position de juger de qui pourrait aborder ce problème avec une certaine transparence, dont le besoin se fait cruellement ressentir.
Je précise par ailleurs que j’ai également adressé une lettre à Stephen Weller, directeur de la communication de l’IFRA, qui a eu l’amabilité de me répondre longuement, notamment sur des points soulevés par la présente lettre, et qui a autorisé la publication de son message : je le reproduirai très bientôt.
Merci D. pour cette initiative, et pour être la porte-parole de toute une communauté. Il existe manifestement un gouffre entre la presse "officielle" et les "blogs", sachant que ce magasine est très ciblé professionnel. Je me demande dans quelle proportion les articles cités dans l'article (ourlittleplace) ont été lus par les consommateurs, est-ce que cela ne reste-t-il pas marginal, tout de même ? Enfin, même si ça l'est, cela ne justifie pas de rester sans réagir, et il faut en effet s'opposer à la proliférations de pensées fausses, non fondées et dangereuses quand on sait comment fonctionne le mécanisme de peur et de psychose au sein d'une population mal informée !
RépondreSupprimermerci pour cette réaction et pour cette lettre qui montre bien les enjeux de ce fichu amendement.
RépondreSupprimerTrès bel article. Bravo et merci
RépondreSupprimerNous sommes pendues à vos lèvres, Denyse, et attendons avec impatience leur réponse, même si je doute fort qu'elle nous plaise... Pour moi, il n'y aurait qu'une réponse satisfaisante, ce serait un retour pur et simple en arrière, avec la réédition de nos classiques dans leur formulation originelle. Je trouve cette diabolisation du parfum d'autant plus ridicule, que par ailleurs il devient presque impossible de trouver des produits d'utilisation quotidienne sans parfum: papier toilette, shampooing, crèmes, lessive, déodorant, tout ce qui entre en contact avec notre peau est systématiquement et exagérément parfumé! Ce qui est absurde, qui a envie de porter autant de parfums différents sur soi (comptez, vous verrez qu'au quotidien nous portons facilement une dizaine de parfums simultanément)? De plus ces produits-là sont vraiment nocifs pour l'environnement et notre santé! Tout ceci est ridicule! Je ne suis pas pas convaincue par la théorie du complot comme origine du mal, selon moi (et c'est bien plus triste), c'est l'indifférence totale de l'industrie du parfum qui a permis que tout cela arrive.
RépondreSupprimerMuguette
PS: j'aimerais savoir si seuls les extraits sont concernés? Ou bien les eaux de parfum et eaux de toilette seront-elles également reformulées?
RépondreSupprimerMuguette
Jeanne, je me suis précisément adressée à Perfumer & Flavorist en pensant que les professionnels n'avaient qu'une idée très vague de ce qui se passait dans les blogs. C'est effectivement un magasine très spécialisé.
RépondreSupprimerEn revanche, en explorant l'univers de la "parfumophobie", j'ai découvert des mouvements assez importants, essentiellement aux USA et au Canada. Certains sont assez marginaux mais d'autres disposent de lobbies très actifs. Et quand on pense à l'hystérie collective que peuvent engendrer des idées délirantes, ça fait froid dans le dos.
Soph, on verra ce que ça donne. Je ne suis pas encore submergée de réponses des professionnels, mais comme je l'écrivais dans le post, le dircom de l'IFRA m'a adressé une réponse très détaillée qui éclaire beaucoup mieux le problème.
RépondreSupprimerSenga: merci à vous.
RépondreSupprimerMuguette, les restrictions visent la totalité des produits parfumés touchant la peau (et, je crois, les parfums d'ambiance, mais il faut que je vérifie). Donc, il ne s'agit pas uniquement de la parfumerie personnelle.
RépondreSupprimerJe ne crois pas que l'industrie soit indifférente, je crois au contraire qu'elle est très préoccupée par cette situation, mais visiblement il s'agit d'une pression politique.
Muguette: tout est régulé. Maintenant, c'est une question de formule, et nous n'avons pas accès aux formules pour déterminer quels parfums au juste contiennent des quantités "excessives" des matériaux visés.
RépondreSupprimerD'après ce que j'ai compris en allant sur le site de l'IFRA (il faut s'accrocher), les parfums seraient dans la catégorie 4, sous le nom générique de "hydroalcoholic products applied to unshaved skin", au même titre que par exemple, les produits pour les pieds, les crèmes pour le corps ou les laques pour cheveux... donc aucune distinction pour extrait, eau de toilette ou autre concentration.
RépondreSupprimerCette catégorie est largement concernée par les restrictions.
Les produtis d'ambiance, catégorie 7, non destinés à être appliqués sur la peau sont par contre souvent dispensés de restrictions. Par exemple, le Jasmine Absolute (grandiflorum) est limité à 0.7% pour la catégorie 4 et non limité dans la catégorie 7.
On pourra dons continuer à s'asperger de parfum d'ambiance de qualité ! ;)
Très heureuse de voir que finalement, les professionnels ne sont pas si heureux que cela de voir tout un patrimoine s'écrouler. Il n'en reste pas moins qu'ils défendent très mal et avec peu de conviction ce qui anime une bonne partie de leur vie de tous les jours... Votre lettre est très riche et exprime bien ce que nous sommes très nombreux à penser, sur nos blogs et ailleurs. Nous verrons bien ce qu'il adviendra par la suite... Merci en tout cas.
RépondreSupprimerJeanne, merci de ces précisions. Ce sont en effet des dossiers excessivement arides à consulter!
RépondreSupprimerPoivrebleu, on ne saura sans doute jamais ce qui s'est passé en coulisses! L'IFRA a l'intention de plus et mieux communiquer, mais hélas, ça ne changera rien au résultat.
RépondreSupprimerMerci carmencanada pour cette initiative (on ne peut pas etre emportee par la passion du parfum sans evoquer et reagir face a cette situation tellement scandaleuse).
RépondreSupprimerJe l'ai toujours dit, c'est avant tout une histoire de gros profit. Les grandes societes de parfums comme Givaudan et IFF se partagent une enorme marche de 1 trillard de dollars, leurs molecules synthetiques brevetees rentrent dans la composition de produits menages, de cosmetiques, de lessives et de parfums. Le tout synthetique dans la parfumerie ne fera qu'augmenter leur part de marche. Quand on sait que ces memes societes siegent a l'IFRA (quand on a autant de pouvoir, si on veut sieger a l'IFRA, on siege a l'IFRA!), il faut pas vraiment s'etonner que cet organisme s'attaque au jasmin!
Si j'avais..., soyons clairs:
RépondreSupprimer1/ les grands laboratoires de matériaux aromatiques possèdent *aussi* des laboratoires de production de matériaux naturels. Tous.
2/ les matériaux visés ne sont pas tous naturels; certains matériaux de synthèse sont issus d'essences naturelles.
3/ les parfums actuellement sur le marché ne recèlent déjà qu'une infime proportion d'essences naturelles de toute façon, car les marques qui passent leurs commandes aux labos imposent des prix au kilo tellement faibles qu'on ne peut pas avoir recours à des quantités importantes d'essences "nobles" comme le jasmin ou la rose.
carmencanada, on ne vit plus dans les annees 80, on est en 2009: capitalisme sauvage, hyper-globalisation, emergence des nouvelles puissances (Bresil, Chine, Inde) qui a pour consequence une demande croissante en matieres premieres avec tout ce ca implique.
RépondreSupprimerCe qui se passe dans la parfumerie aujourd'hui, on retrouve le meme probleme dans l'agro-alimentaire. D'ailleurs c'est la France qui deja denoncait cette derive il y a une dizaine d'annees; le ble OGM brevete que les americains vendent aux pays du tiers monde, meme s'il est plus resistant que celui qui est gratuit, n'empeche que le ble n'appartient plus a l'humanite mais a des societes imperialistes.
Meme si ces societes de parfums possedent toutes des labos de production de materiaux naturels, je suis prete a parier que ca doit pas etre ce qu'il y a de plus rentable chez elles. Le jour ou ca vaudra plus le coup parce que ca coutera trop cher, on aura une parfumerie 100% synthetique.
Enfin si effectivement la parfumerie actuelle est generalement une parfumerie synthetique, il existe encore des parfums exceptionnels comme Joy (jasmin de Grasse), Amouage Gold (rose oil et silver frankincense), l'extrait du No.5 (jasmin de Grasse) mais egalement la parfumerie de Serge Lutens qui utilisent des concentrations de matieres premieres naturelles importantes dans la composition de leur parfums. Ces parfums sont menaces de disparition, alors evidemment je suis d'accord, ca concerne pas le dernier Gucci ni le dernier Guerlain rose bonbon bien sur!
Si j'avais, c'est précisément parce que les plus beaux parfums sont menacés de disparition que j'ai poussé ce coup de gueule directement dans le magazine de la profession... Ça ne servira à rien mais je voulais au moins qu'ils sachent.
RépondreSupprimeren écrivant des textes (je suis rédactrice) sur les aliments et l'écologie, je suis tombée sur ce passage, concernant les vins:
RépondreSupprimer" Ces chartes privées de vinification "bio" autorisent certains de ces adjuvants en proportion limitée comme l'anhydride sulfureux, un conservateur alimentaire bien connu qui est utilisé sur la vigne ou sur le vin pour éviter que ce dernier ne s’oxyde (mais qui est suspecté de déclencher des migraines ou des allergies, notamment chez les personnes asthmatiques, ce qui explique que leur présence doive désormais être signalée sur l’étiquette) ou encore l'anhydride carbonique, l'acide tartrique, le tartrate neutre de potassium, l'acide citrique, etc ."
Alors voilà, là des éléments potentiellement allergènes doivent juste être mentionnés sur l'étiquette, et pour les parfums cela doit-être interdit??
Chère Denyse,
RépondreSupprimerje prends enfin le temps de poster sur votre blog que j'apprécie particulièrement. Ne vous ai je pas reconnue grâce à lui ou plutôt à votre ton l'autre jour à la boutique?
Félicitations pour votre lettre concise et passionnée et j'attends avec impatience de lire la réponse de M. Weller...
Je parlais encore cette semaine avec mon amie Jeannine (amie qui attend de vos nouvelles; appelez là, elle est très à l'écoute et ravie de parler parfums) de ces restrictions IFRA et elle me disait que les parfumeurs avaient laissé faire en pensant que ce n'était qu'une lubie passagère et maintenant il est hélas trop tard pour faire marche arrière face à ce protectionnisme outré. Elle compatit d'autant plus que ses parfums préférés sont les Chypres. Je sais très bien pour avoir des parents ou amies qui portent les "terriblement dangereux" Mitsouko ou N°5, qu'elles se portent comme des charmes, et l'une d'entre elles a même 95 ans! Mais bien sûr, les compagnies de parfums craignent les procès de clients de plus en plus procéduriés (et qui souvent n'ont pas été éduqués au BEAU PARFUM)... De surcroît, quand ces dernières compagnies sont reprises par des gens qui n'y connaissent rien, cela n'arrange rien.
Hélas, tout fout le camp... mais c'est aussi valable pour les valeurs morales, la bonne éducation, le savoir vivre; alors le beau parfum? Hormis une poignée d'acharné(e)s comme vous et moi (et ceux qui vous lisent :-), qui s'en soucie encore?
Bien à vous
Rebecca
Chère Rebecca, je suis ravie de vous retrouver ici! J'appellerai votre amie (il faut juste que je remette la main sur ses coordonnées), merci d'avoir fait passer le message!
RépondreSupprimerPour le reste... M. Weller m'a répondu, je publierai sa lettre la semaine prochaine en plusieurs parties (elle est très longue). Disons qu'il attribue cette furie réglementaire aux pressions politiques et à celles des ONG pour le "zéro risque". Quand on pense que moins de 2% de la population est allergique aux fragrances... Mais comme 97% s'en fichent, il ne reste qu'un tout petit groupe à râler: nous.
ben oui tout le monde s'en fout c'est bien le problème. Hormis les passionnés (et les professionnels bien entendu), tout le monde semble s'en fiche éperdument de voir ses aprfums défigurés. Le même phénomène se produirait pour les vins, la bouffe etc.. alors là même les personnes autres que gourmets ou gastronomes ou oenologues se sentiraient concernées, j'en suis persuadée.
RépondreSupprimerSoph, en fait, au vu des remarques des auditeurs sur l'émission de France Inter, plusieurs s'aperçoivent des reformulations sans vraiment savoir de quoi il s'agit, et ils sont loin de s'en foutre. Mais, comme dit la chanson de Dutronc, "on nous cache tout, on nous dit rien".
RépondreSupprimerFélicitations pour cette belle initiative et merci d'avoir pris le temps de traduire.
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