Entre l’emblème et le porte-malheur, le gardénia est une fleur de film noir et de blues. Jugez donc : si Billie Holiday s’en pare la chevelure c’est, raconte la légende, pour dissimuler une plaque chauve, là où elle avait brûlé une mèche au fer à friser (les cheveux ont repoussé, la fleur est restée). Quand un coureur de jupons l’offre à la téléphoniste Anne Baxter dans La Dame au gardénia de Fritz Lang (1953), il devient l’indice le plus incriminant pour elle quand elle se retrouve accusée du meurtre de son quasi-violeur.
Cette fleur vexante à laquelle on ne peut pas soutirer son odeur – ce qui n’a jamais arrêté les parfumeurs puisque des parfums au gardénia, on en a fait facilement plus de 150 depuis 1900 – a en outre la particularité de dégager, au naturel, une odeur de champignon (« mousseron », dit Colette) ou de fromage bleu (d’après les nez américains).
Autant dire que puisque le gardénia en parfumerie est purement une vue de l’esprit, c’est-à-dire une composition susceptible, plus encore que celles basées sur des extraits naturels, d’être influencée par les modes. L’acétate de styrallyle, molécule à la fois verte, florale et fruitée (nuances de jasmin, de mimosa, de pomme, d’abricot et de fraise) en a longtemps constitué la note principale. C’est celle qu’on retrouve dans les gardénias des années 20, dont celui de Chanel, supposément lancé parce qu’il ressemblait au camélia fétiche de mademoiselle (totalement dépourvu d’odeur, lui) mais aussi dans Ma Griffe de Carven.
Le glamour à l’ancienne de cette fleur-diva est récemment revenu à la mode. Traitée en headspace par Yves Rocher ; associée à sa sœur la tubéreuse dans Private Collection Tuberose Gardenia d’Estée Lauder, un floral tropical opulent sous ses allures bien élevées ; poudrée aldéhydée dans le Cruel Gardénia de la collection l’Art et la matière de Guerlain… Gardénia propres – à la limite du talqué pour le Guerlain – dont Velvet Gardenia de Tom Ford prend délibérement le contrepied.
Cette composition, lancée en même temps que onze autres en 2007, flirte avec le malodorant à un degré rarement vu en parfumerie. Grâce, sans doute, à une molécule très onéreuse à l’odeur de champignon, le (e) benzyle tiglate, qui lui confère dès les notes de tête une senteur terreuse assez proche de la légère odeur de pourriture végétale du gardénia naturel.
Les Private Blend de Tom Ford – que, je l’avoue, je n’ai pas encore explorés à fond – donnent pour la plupart l’impression d’être des fragments de parfums classiques, selon la nouvelle tendance qui veut que les gammes exclusives (Hermessence, L’Art et la Matière de Guerlain, Exclusifs de Chanel, Armani Privé) jouent sur la somptuosité des matières en formules assez courtes. Ainsi, quand on rapproche des touches de Tuscan Leather (un cuir) et de Moss Breches (un chypre), on obtient à peu près le débouché amer-aromatique de Bandit. Il semble que la gamme ait résulté des essais réalisés pour les parfums de plus grande diffusion de Tom Ford, Black Orchid et Tom Ford for Men. Dave Apel, l’auteur de Velvet Gardenia, est également celui de Black Orchid mais également de trois autres Private Blend (Bois Rouge, Japon Noir et Purple Patchouli).
De fait, dans Velvet Gardenia on décèle un peu de la dérangeante note de truffe de Black Orchid ; la même volonté de choquer d’entrée de jeu. Mais alors que Black Orchid vise une orchestration classique, Velvet Gardenia s’en tient à son propos initial : la fleur, dans toute son opulence un peu écœurante. Les deux compositions partagent une densité charnelle, une saturation qui rappelle les grands floraux arrogants des années 1980 comme Poison ou Amarige.
Mais Velvet Gardenia pousse cette attitude flamboyante jusqu’à la décadence. En accord avec l’esthétique néo-pornographique « more is more » de Tom Ford, la fleur exhibe des atouts boostés, avec ses seins siliconés, sa peau huilée, ses fards outranciers : on n’est plus dans la nature mais dans la simulation, dans l’hybride végétal-animal avec des notes dégoulinantes de miel et de cire d’abeille. Prenez garde : ce gardénia-là a des griffes.
Image : Affiche de La Femme au Gardénia (The Blue Gardénia) de Fritz Lang (1953).
Ma belle,
RépondreSupprimerJe ne me souviens pas du tout de Velvet Gardénia, même si j'imagine que nous l'avons senti ensemble... Mais, ce film là (les affiches sont excellents) - je veux le voir!!
xxxx/K
Ah oui, on a senti Velvet Gardenia ensemble, c'est sûr... Le film est bien: le violeur de l'affiche est Raymond Burr. Tu le connais sûrement mieux dans Fenêtre sur cour/ Rear Window de Hitchcock. C'est lui qui joue le mari meurtrier démasqué par... Lisa Carol Fremont!
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