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samedi 31 mai 2008

The Corruption of White Flowers (IV): Beyond Love By Kilian



So many exclusive lines and niche brands popped up last year – Chanel’s Exclusives, Tom Ford Private Collection, L’État Libre d’Orange, and so forth – that I admit I turned up my nose on Kilian Hennessy’s L’œuvre noire. The perfumes were subtitled as though they weren’t able to choose between two equally provocative and slightly cheesy names ((Love/ Don’t Be shy ; Beyond Love/ Prohibited ; Liaisons Dangereuses/ Typical Me ; Cruel Intentions/Tempt Me ; A Taste of Heaven/ Absinthe Verte ; Straight to Heaven/White Cristal). The marketing prose definitely veered towards the purple spectre, summoning exalted cultural references from Faust to Freud and Byron to Baudelaire. Pschaw.


The purple prose has now been pulled from the brand’s website, which shows that the people at By Kilian may have been paying attention to snarky remarks from the perfumed blogosphere. So I decided to ignore my inverted snobbery, knowing that many of them had been composed by Calice Becker, who is no slouch (J’adore, Donna Karan Gold, Lancôme’s re-edition of Cuir, as well as Luca Turin’s beloved Tommy Girl and Beyond Paradise). A sweet, enthusiastic and knowledgeable S.A. from the Bon Marché counter convinced me to give them a try, and showered me with samples.
By Kilian’s tuberose wafted up from a scented strip for at least a week next to my keyboard, tempting me to try it first. I haven’t regretted it.

How many tuberoses does a girl need? And how many ways can tuberose be presented?
A lot, it turns out.
Beyond Love is different enough from Fracas, Carnal Flower and Tubéreuse Criminelle to consider adding it to my collection ASAP. Its aesthetics are distinct, veering on the hyper-realist. Instead of emphasizing the weird facets of tuberose absolute, as in the Serge Lutens, the tuberose itself is re-created with absolute, concreta and reconstituted accords (green and petal notes, according to the site, which unusually reveals a large part of the formula), and with a distinctly natural-smelling Egyptian jasmine absolute.


I don’t know if this fragrance goes beyond love, but if definitely goes beyond the options taken by its tuberose-y sisters. This is a high definition, digital rendition of the flower, seen from so close that all its details are amplified, more precise than in nature (according to Luca Turin, it is the most faithful to the actual flower).


An extreme slow-motion plunge into the very heart of the flower, whose buttery facet is reinforced by a coconut note, slightly lifted by a green accord, enriched by a musc and sclary sage (a vegetal substitute of ambergris) base. This is a tuberose crème, almost edible, a bit animalic, almost indecently exposed. It makes me want to roll naked in it.


Image: Tuberose by Erika Yoshida, http://www.flickr.com/

La corruption des fleurs blanches (IV): Beyond Love de By Kilian




Tant de lignes exclusives et de marques de niche nous ont déferlé sur le nez l’an dernier – Les Exclusifs de Chanel, Tom Ford Private Collection, L’État libre d’Orange, etc. – que j’avoue l’avoir levé (mon nez) sur L’œuvre noire proposée par Kilian Hennessy. Des parfums sous-titrés comme si on n’avait pas pu choisir entre deux noms à la fois transgressifs et un peu nunuches (Love/ Don’t Be shy ; Beyond Love/ Prohibited ; Liaisons Dangereuses/ Typical Me ; Cruel Intentions/Tempt Me ; A Taste of Heaven/ Absinthe Verte ; Straight to Heaven/White Cristal), ainsi qu’une prose marketing exaltée qui convoquait le ban et l’arrière-ban des références culturelles, de Faust à Freud en passant par Byron, Baudelaire et Yourcenar, avaient achevé de m’énerver.


Le texte a aujourd’hui été retiré du site web de la marque, signe que peut-être, chez By Kilian, on prête attention aux remarques émises ça et là dans la blogosphère parfumée. Restent les parfums dans leurs flacons et coffrets somptueux, qu’un snobisme inversé m’avait empêchée jusque là d’essayer… Sachant que certains d’entre eux avaient été composés par Calice Becker (J’adore, Donna Karan Gold, la réédition du Cuir de Lancôme, sans oublier Tommy Girl et Beyond Paradise portés aux nues par Luca Turin), je m’y suis enfin décidée, poussée par le très charmant et très enthousiaste jeune vendeur du Bon Marché, qui m’a généreusement offert tous les échantillons de la gamme.


Je ne l’ai pas regretté, du moins en ce qui concerne leur tubéreuse, Beyond Love, dont l’incroyable ténacité sur papier (une semaine au moins) embaumait, entêtante, les abords de mon clavier…


De combien de façons peut-on accommoder la tubéreuse ? Plusieurs, apparemment. Beyond Love est assez différent de Fracas, Carnal Flower ou Tubéreuse Criminelle pour l’ajouter à ma collection, car il relève d’une esthétique distincte, hyperréaliste. Ce ne sont pas ici les accords insolites de l’absolu de tubéreuse qui sont mis en valeur, comme dans le Serge Lutens, mais la tubéreuse même qui est recréée à l’aide d’absolu, de concrète et d’accords reconstitués (notes vertes et notes de pétales, indique le site, très disert et précis sur la formule), ainsi que d’un absolu de jasmin d’Égypte forcément naturel.


À cents lieues de ses sœurs précitées, Beyond Love est une représentation de la fleur en haute définition, vue de si près que ses détails sont amplifiés, plus précis encore que dans la nature (selon Luca Turin, c’est version la plus fidèle).


Une plongée ralentie à l’extrême au cœur même de la fleur, dont le côté beurré est accentué par une note de noix de coco, à peine levée par un accord vert, enrichie par un fond de musc et de sauge sclarée (substitut végétal de l’ambre gris). Une crème de tubéreuse, presque comestible, un peu animale, exposée jusqu’à l’indécence, qui donne envie de s’y rouler toute nue.


Image : Tuberose, a nocturnal flower, par Erika Yoshida, sur http://www.flickr.com/

lundi 26 mai 2008

The Corruption of White Flowers (III): Carnal Flower by Frédéric Malle Éditions de Parfums



With Carnal Flower, the man-eating tuberose is tamed by a refreshing dose of bergamot and melon – a perilous note if there ever was, ubiquitous in 90s aquatic fragrances like L’Eau d’Issey and now in the air freshener Febreze…

But fear not: the melon stays well in the background: Dominique Ropion has used it much in the same way as Edmond Roudnitska did in, say, Diorella and Le Parfum de Thérèse, to evoke the water in a flower vase.

Ropion, who has composed a series of expansive white florals (Ysatis and Amarige for Givenchy; Pure Poison for Dior; Flowerbomb for Viktor & Rolf), is said to have spent two years perfecting his formula for Frédéric Malle Éditions de Parfums. Again, the template was Fracas. The result is remarkably different.

Carnal Flower has the freshness of the cold storage room in a flower shop. In it, tuberose swaps some of its brazen vulgarity – however you love it, it is an in-your-face flower – for poised elegance. The medicinal greenness of eucalyptus underlines this sensation of broken stems oozing sap and cold air trapped between petals; a coconut note, already present in tuberose absolute, intensifies its buttery, almost gustatory sweetness, as does the orange blossom.
Thanks to this cool-warm effect, Carnal Flower may be worn equally in the dead of winter and in the summer heat, which allows white florals to bloom.

If Carnal Flower lives up to its promises of fleshly pleasures, it is much in the way of a Parisian belle de jour, veiling her secret pleasures under an impeccably cut Yves Saint Laurent frock. However, despite its well-bred airs, Carnal Flower is far from discreet: douse yourself in it, and your paramour will come out smelling of flowers. Trust me on this. Carnal Flower is a kiss-and-tell.

Image: Catherine Deneuve in Luis Buñuel's Belle de Jour (1967).

La corruption des fleurs blanches (III) : Carnal Flower de Frédéric Malle Éditions de Parfums


Dans Carnal Flower, la carnassière est civilisée et assagie par une dose rafraîchissante de bergamote et de melon – note périlleuse s’il en est car on en a abusé dans les étiques parfums aquatiques des 90s comme L’Eau d’Issey : aujourd’hui, elle n’évoque rien tant que le désodorisant Febreze.
Cependant, ce melon sait rester extrêmement discret, à la manière des notes similaires employées par Edmond Roudnitska dans, par exemple, Diorella ou Le Parfum de Thérèse. Il joue le rôle de l’eau dans un vase de fleurs, et c’est précisément à cet effet qu’a voulu parvenir le parfumeur Dominique Ropion.

Ce spécialiste des floraux expansifs (Amarige et Ysatis, pour Givenchy ; Pure Poison pour Dior ; Flowerbomb pour Viktor & Rolf), qui aurait consacré deux ans à affiner la formule pour Frédéric Malle Éditions de Parfums, a voulu évoquer en ouverture la fraîcheur de sève d’une chambre froide de fleuriste. Effet réussi : la tubéreuse y perd de son éclatante vulgarité, souvent difficile à assumer (n’est pas femme Fracas qui veut), pour y gagner en élégance. La verdeur médicinale de l’eucalyptus appuie cette sensation de bouffée d’air frais entre les pétales ; une note de noix de coco, déjà présente dans l’absolue de tubéreuse, accentue son côté un peu beurré. Ce chaud-froid lui permet d’être porté, curieusement, en plein hiver où ses notes mentholées s’accordent aux frimas, et en été où les parfums de fleurs blanches s’épanouissent le mieux.

Si Carnal Flower fait honneur à son nom qui évoque les abandons de la chair, c’est à la façon d’une belle de jour parisienne, qui voile ses écarts secrets d’une robe Yves Saint Laurent de coupe impeccable. Cependant, il ne faut pas se fier à sa discrétion : une femme parfumée de Carnal Flower laisse forcément son empreinte odorante sur la peau et les vêtements de son amant. Expérience à l’appui… Carnal Flower va tout raconter à Voici.
Image : Catherine Deneuve à Londre (1964), courtesy


The Corruption of White Flowers (II): Tubéreuse Criminelle by Serge Lutens



When Serge Lutens, assisted by the perfumer Christopher Sheldrake, decided to tackle the tuberose, it wasn’t so much the unsurpassable Fracas he was taking on, as the complexity of the material he was confronted with. Tuberose extract has many non-floral facets: rubber, meat, salt, blood, butter, leather… But above all, the powerfully medicinal notes of camphor and mint (tuberose shares an odorant molecule with wintergreen).
As Christopher Sheldrake tried to tame them, Serge Lutens advised him, it seems, to reverse his approach by emphasizing them as much as possible.
The result is the olfactory equivalent an extreme close-up in the cinema: the features of tuberose are initially distorted to the point of being barely recognizable. In this respect, Tubéreuse Criminelle is the epitome of Lutens’ baroque aesthetics: it displays the unsettling, angular stylisation of his photographic work.

But although Sheldrake states that “the only criminal thing about this perfume is its top notes”, Tubéreuse Criminelle’s initial blast is the very opposite of poisonous – poison being written into the very DNA of perfumery since Catarina di Medici’s era, when fragrant compositions were thought to hide deadly venoms. What could be healthy, more salubrious, more reassuring than the smell of Vicks Vaporub or of a mint-flavoured toothpaste? For centuries, camphor and mint were believed to protect against the poisons carried in the air by corrupt miasmas, which were thought to carry epidemics. In this sense, the medicinal opening could very well be the antidote to the insidious effects of tuberose.

What’s criminal is the initial olfactory shock. When the nose expects a fragrant garden, it stumbles into a medicine cabinet, in a surrealistic trompe-l’oeil joke.

But when it melts on the skin, Lutens’ belle laide fleshes out into an intoxicating sillage (I recommend transferring some into a small atomizer: it expresses itself better when sprayed). I received countless compliments on it – even under the mask of a sombre Lutensian diva, tuberose is never discreet – even in fragrance-choked flower shop!
As for its “criminal” top notes, I must admit that, like many fans of the scent, I’ve become hooked on it: it has an addictive nature that may well justify its name.

Once it warms up on the skin, Tubéreuse Criminelle gives away its partners in crime: jasmine, orange blossom, hyacinth for its green notes are underscored by Lutens’ ever-present spices (“cold” nutmeg and “hot” clove) on the musky vanilla base which softens some of his other white floral compositions, Un Lys and Fleurs d’Oranger (whose innocence is slightly and deliciously defiled by cumin).

Tubéreuse Criminelle is one of the scents I could never do without: a lover of mine thought it the sexiest perfume he had ever smelled. And I believe its effect on him – he shivered as he smelled – was not only due to the woman who wore it. The belle laide awakens sensations that a merely pretty girl could never hope to achieve. Is it a matter of (slight) perversion? On the right skin, this criminal draws in her claws, just like her sister, the panther of Muscs Koublaï Khan


Image: courtesy of the Sophie Dahl Gallery, http://www.sophie-dahl.com/


La corruption des fleurs blanches (II) : Tubéreuse Criminelle de Serge Lutens


Lorsque Serge Lutens, secondé par le parfumeur Christopher Sheldrake, s’attaque à son tour à la tubéreuse, ce n’est pas tant contre l’indépassable Fracas qu’il doit se mesurer, qu’à la complexité même de la matière qu’il a en main. L’extrait de tubéreuse présente de multiples facettes outre son aspect proprement floral : caoutchouc, viande, sel, sang, beurre, cuir… Et surtout, des notes médicinales de menthol et de camphre qui attaquent puissamment en ouverture.
Alors que Christopher Sheldrake tentait de les mater, Serge Lutens lui conseilla, raconte-t-on, d’inverser son approche, en les accentuant au contraire le plus possible.
Cette exaspération, qui déforme les traits de la tubéreuse comme dans un gros plan trop rapproché, fait de Tubéreuse Criminelle l’exemple extrême de l’esthétique baroque de Serge Lutens, de la stylisation anguleuse et contrastée qu’il déploie dans son œuvre photographique.

Mais bien que Christopher Sheldrake affirme que « tout ce qu’il a de criminel dans ce parfum, c’est l’ouverture », le débouché de Tubéreuse Criminelle ne rappelle en rien ces poisons mortels dont on chuchotait, à l’ère de Catherine de Médicis, qu’ils pouvaient se dissimuler dans les compositions les plus doux fleurant. Quoi de plus sain, au contraire, de plus salubre, de plus rassurant que la senteur du Synthol qu’on applique sur ses muscles endoloris, du Vicks Vaporub dont les mamans américaines frottent sur la poitrine de leurs rejetons enrhumés, de la menthe du dentifrice ? Camphre et menthe ont d’ailleurs été, pendant des siècles, censés protéger, précisément, contre les poisons charriés par l’air insalubre, dont on s’imaginait à l’époque qu’il transmettait la peste…
Ne reste alors de criminel que ce choc administré au nez, qui s’attend à débouler dans le jardin et qui, par l’effet d’un trompe-l’œil d’un humour assez surréaliste, tombe dan l’armoire à pharmacie.

Mais c’est en fondant sur la peau que la belle-laide de Lutens arrondit ses aspérités pour déployer un puissant sillage enivrant (je conseille d’ailleurs de transférer un peu du contenu du flacon dans un petit atomiseur : il s’exprime mieux lorsqu’il est vaporisé). Sillage qui m’a souvent valu des compliments – la tubéreuse, même sous le masque d’une sombre diva lutensienne, est incapable de discrétion – jusque dans une boutique de fleuriste !
Quant à son ouverture « criminelle », j’avoue, comme bien des amoureux, en être devenue absolument accro : c’est peut-être là la nature addictive qui lui donne son nom.

C’est encore à la chaleur de la peau que Tubéreuse Criminelle démasque ses complices : le jasmin, la fleur d’oranger et la jacinthe pour note verte s’accompagnent des épices quasi-omniprésentes chez Lutens (l’une « froide », la muscade ; l’autre « chaude », le clou de girofle), sur la base musquée vanillée qui adoucit souvent ses floraux blancs, comme Un Lys et Fleurs d’Oranger (dont l’innocence est un peu, et délicieusement, souillée par du cumin.)

Tubéreuse Criminelle compte parmi les parfums dont je ne souhaite jamais de passer : un amant le considérait comme le parfum le plus sexy parmi les dizaines que je lui ai faits sentir… Et je crois que l’effet – il en frissonnait – n’était pas seulement dû a celle qui le portait. La belle-laide sait éveiller des sensations qu’une femme simplement jolie ne saurait susciter. Question de (légère) perversion ? Sur la bonne peau, cette criminelle rentre ses griffes comme sa sœur, la panthère de Muscs Koublaï Khan


Image: Sophie Dahl, courtesy The Sophie Dahl Gallery, http://www.sophie-dahl.com/.

The Corruption of White Flowers (I): Tubéreuse by Le Galion and Fracas by Robert Piguet




Jasmine, orange blossom, gardenia, narcissus, lily, tuberose… The velvety flesh of white flowers feels like a woman’s skin; their smell pulls them halfway into the animal kingdom. Even at their freshest, a hint of corruption wafts from their sweet fragrances. One of their compounds, indole, is also found in excrement and corpses – although in its pure state, the smell of indole is rather reminiscent of mothballs.
This vague whiff of death, which reminds of the destiny of all living things, even the most radiant, is associated to the aphrodisiac reputation of white flowers. In the 19th century, maidens were advised to avoid wearing scents based on these seemingly innocent but intoxicatingly louche flowers. If brides were allowed a crown of chaste orange blossoms worn by brides, it was as a prelude to their imminent deflowering…

Perfumers have long acknowledged the brazen nature of white flowers. The most narcotic of them all, the tuberose – compared by the French writer Colette to “the tip of a young breast” – has inspired a number of provocatively-named compositions: Fracas, Tubéreuse Criminelle, Carnal Flower


But the peculiar odour of tuberose extract can be treated in different ways, according to the aesthetics of the period or to the style of the perfumer…

The stunning Le Galion Tubéreuse, composed in 1939 by Paul Vacher (who would go on to sign Miss Dior with Jean Carles, as well as Diorling), comes nine years before Germaine Cellier’s epochal Fracas for Robert Piguet, and predates Serge Lutens and Christopher Sheldrake’s shocking Tubéreuse Criminelle, which it closely resembles, by a full eighty years. Though the Le Galion doesn’t exaggerate the minty and camphory top notes of tuberose extract quite to the same extent as the later composition, it does nothing to tone them down: the first whiff, redolent with eucalyptus and hyacinth, is fresh, green, and stunningly modern (for a more detailed analysis of the scent, please see Octavian Coifan’s 1000fragrances).

Germaine Cellier’s 1948 composition would treat tuberose in a totally different way. The aptly-named Fracas – which means “roar”, “din” or “great sensation” in French – ups the shameless exuberance of the tuberose until it reaches the shrill peaks of a soprano coloratura. This is the scent of the Enchanted Flute’s Queen of the Night, with her dramatic entrance and near-hysteric trills. Theatrical, temperamental and wildly gay, Fracas is an in-your-face anthem to hyper-femininity.

But just as orange blossom sweetens it up, the rubbery facet of tuberose and the gasoline whiffs of jasmine extract (more obvious in the extrait, while the orange blossom tends to be more prominent in the eau de toilette), issue their warnings: this diva is a tough customer under her frills. The haughty note of iris and the astringent oakmoss hint further at the darker side of what could’ve been a cloyingly sweet fragrance, if it weren’t for the genius of Germaine Cellier, who was probably the ballsiest perfumer in history.


Fracas’ sensational sillage is sometimes muted in the drydown on certain skins. Its clean, powdery base may account for its enduring popularity in the American market. On other skins, its voluptuousness evokes the radiant flesh of Hollywood stars on the silver screen. Retro in any case, and definitely femme fatale.

Image: Rita Hayworth in Orson Welles' The Lady fromShanghai (1948)

dimanche 25 mai 2008

La corruption des fleurs blanches (I): Tubéreuse Le Galion et Fracas de Robert Piguet


Jasmin, fleur d’oranger, gardénia, narcisse, lys, tubéreuse… Les fleurs blanches, dont la chair veloutée rappelle celles de certaines femmes, appartiennent déjà à demi au règne animal.

Même au moment de la plus grande fraîcheur, un soupçon de corruption se laisse deviner sous les notes vertes ou suaves de leur parfum, car elles partagent avec les excréments et les cadavres une molécule appelée l’indole – qui, à l’état pur sent d’ailleurs plutôt la naphtaline.


Ce relent vaguement mortifère, qui rappelle le destin de toutes les choses vivantes, s’accompagne d’une réputation aphrodisiaque. Au 19ème siècle, on déconseille d’ailleurs aux jeunes filles de s’en parfumer, tant ces fleurs d’allure innocente cachent des intentions louches… Seule la fleur d’oranger dont se couronnent les mariées échappe à l’ostracisme : mais n’indique-t-elle pas déjà la défloration à venir ?


La parfumerie a bien reconnu ce côté dévergondé des fleurs blanches qui embaument la nuit et bouleversent les sens. Ce n’est pas par hasard que la plus narcotique d’entre elles, la tubéreuse – que Colette comparait à « un jeune bout de sein » -- a donné lieu à des compositions intitulées Fracas, Tubéreuse Criminelle ou Carnal Flower, la fleur charnelle…


Mais l’odeur si caractéristique de l’extrait de tubéreuse peut se traiter sur divers modes selon les esthétiques de l’époque ou des parfumeurs… La stupéfiante Tubéreuse de Le Galion, composée en 1939 par Paul Vacher (qui signerait plus tard Miss Dior avec Jean Carles, ainsi que Diorling) précède ainsi de neuf ans l’emblématique Fracas de Germaine Cellier pour Piguet, et de 80 ans la Tubéreuse Criminelle de Serge Lutens et Christopher Sheldrake. Sans aller jusqu’à exacerber les facettes mentholées et camphrées de l’extrait de tubéreuse comme le feront ces derniers, Paul Vacher ne fait rien pour les atténuer au débouché : leur fraîcheur verte, qui évoque l’eucalyptus et la jacinthe, est d’une rigoureuse modernité (pour une analyse plus détaillée de la Tubéreuse Le Galion, en anglais, voir le blog d'Octavian Coifan 1000fragrances).


À la fin des années 40, Germaine Cellier allait trouver une toute autre façon de traiter l’exubérante et impudique tubéreuse…

Fracas le bien-nommé pousse l’exubérance impudique de la tubéreuse vers une tessiture de soprano colorature : c’est la Reine de la Nuit de la Flûte Enchantée et son entrée retentissante, ses trilles frisant l’hystérie.

Énervée, théâtrale, capricieuse et follement gaie, la tubéreuse de Fracas souligne grâce à la fleur d’oranger les signes de l’hyperféminité. Le côté caoutchouté de la tubéreuse et les relents de pétrole du jasmin, plus présents dans le parfum que dans l’eau de toilette, où la fleur d’oranger tend à dominer, laissent deviner les périls qu’il y a à se frotter à cette diva sous ses allures vaporeuses. La note altière de l’iris et la mousse de chêne de la base tracent quelques zones d’ombres dans ce qui pourrait virer à la confection pâtissière, sans le génie de son auteur Germaine Cellier, l’un des parfumeurs les plus culottés de l’histoire.

Le sillage retentissant de Fracas cède sur certaines peaux à une base poudrée très propre, ce qui explique sans doute en partie son succès durable auprès des Américaines. Sur d’autres, son côté voluptueux, offert, évoque la chair radieuse des stars hollywoodiennes sur l’écran argenté. Rétro-fatal.
À suivre : Tubéreuse Criminelle de Serge Lutens et Carnal Flower de Frédéric Malle Éditions de Parfum.
Image: Ava Gardner

mardi 20 mai 2008

Filling the Musk Gap (III): Indult C16


I wish I could say more about C16, Francis Kurkdjian’s tribute to Tonkin musk – the most precious of the natural musk tinctures. But my encounter with Indult’s fourth fragrance, exclusively sold at the Parisian concept store Colette (there are only 213 bottles, 213 rue St-Honoré being the address of the store) was unfortunately rather brief.


The young male S.A. started out by saying that “on paper, it doesn’t smell”. He then condescended to spray my arm with a couple of measly spritzes, explaining that I had to wait five minutes for the scent to appear.


With not much to go on, I can simply say that I detected ambrette in the top notes, which makes sense: C16 is built around Ambretone, a molecule patented by Takasago, Francis Kurkdjian’s new employer – “C16” stands for the 16 carbon atom chain of C16H28O.


After about 15 minutes, the eau de parfum develops a slightly metallic facet, which happens with some of the synthetic musks. This vaguely iron-y note, with an almost bloody aftertaste, lingers discreetly throughout the drydown. But this may be an effect of selective anosmia to specific musk compounds: the friend who was with me told me that she couldn’t detect it.


C16 stays well away from any Orientalist reference. It subtly explores the various facets of musk – from “white” to animalic with the floral accents of ambrette – in a minimalist style.
For what little I smelled of it – I didn’t dare ask to make my own sample – it seemed quite lovely and rather diffusive. But does it deserve to be so rare?


Indult’s stance on exclusivity has always bugged me a bit. There were only 999 bottles produced of each of the three first fragrances – or so they say. Yet they are still on sale in some Sephora stores, over a year after launching. Which means that they either don’t sell very well, or that more bottles have been produced… My reaction is the same as for their beautiful vanilla, Tihota: 150 euros for 50 ml is a bit expensive for a “soliflore”.


Image: An image of the musk-deer, presented in the materia medica section of the Tibetan medical paintings commissioned by Sangye Gyatso (1653-1705), courtesy of http://warburg.sas.ac.uk/

dimanche 18 mai 2008

Filling the Musk Gap (II): Annick Goutal Musc Nomade


The fourth launch in the Orientalistes series (after Ambre Fétiche, Encens Flamboyant and Myrrhe Ardente), Musc Nomade explores themes inspired by traditional Arabic perfumery, a seam which Serge Lutens has been working for years.

But while the Lutens-Sheldrake tandem builds this inspiration into flamboyant olfactory operas – if you don’t watch out, they tend to wear you rather than you wearing them -- Isabelle Doyen and Camille Goutal’s take on the Orient is sung in a more confidential tone, sotto voce whispers to the Palais Royal’s divas.
There a very French sense of measure to the Goutals: their amber, incense, myrrh and musk are rather introverted, almost contemplative in their mood, with a low-key, stealthy sexiness. These are skin scents, though quite diffusive and definitely long-lasting – 24 hours after a rather restrained application, you can still smell traces of them on your skin.

As soon as you spray on Musc Nomade, a delicious ambrette seed note wafts up – ambrette is a vegetal musk with fruity, boozy, floral and animalic facets (it is prominently displayed, set off by iris and rose, in Chanel N°18 from the Exclusives line). Ambrette, or its synthetic substitutes such as Firmenich’s Helvetolide, lightens up musk-based compositions: it works a bit like the French “trou normand”, where diners are served calva, an apple spirit produced in Normandy, to clear their palates during a rich meal, though ambrette smells more like an exquisitely fiery Alsatian pear spirit.

An old-church note develops rather quickly – it seems to be present in the base of all the Orientalistes. This may well be the Bombay wood, also known as cypriol, a natural extract that displays the wet-earth facet of patchouli with none of the heaviness of patchouli. Muscone, the main odorant molecule of natural musk, draws Musc Nomade towards an exquisite, slightly salty aroma that smells a bit like the tummy of a cat who’s slept rolled up in a turban…

Musc Nomade is not a very complex scent, but it is deliciously satisfying and very well composed. Like the rest of the Orientalistes collection (€120 for 100 ml of eau de parfum), it is quite different from most of the Goutal line, which leans towards fresh eaux and floral notes – and takes the brand in an extremely interesting direction, one we’d like to see more of in the future.

Image: Jacqueline Marval, L'Odalisque au guépard (1901), courtesy of http://www.jacquelinemarval.com/

dimanche 11 mai 2008

Le trou du musc (III) : C16 d'Indult

J’aurais voulu être plus diserte sur le nouveau C16, hommage de Francis Kurkdjian au musc Tonkin – la plus précieuse des teintures de musc naturel. Mais ma rencontre avec le quatrième parfum d’Indult, vendu en exclusivité chez Colette à 213 exemplaires (213 rue St-Honoré étant l’adresse de la boutique), a été assez brève.

Le jeune vendeur préposé au rayon parfumerie m’a d’abord précisé que « sur carton, ça ne donnait rien ». Puis il a daigné m’asperger le bras d’un pschitt assez parcimonieux, en m’expliquant que je devais attendre cinq minutes pour sentir quoi que ce soit.
Tout au plus puis-je préciser que j’ai décelé de l’ambrette dans les notes de tête, ce qui semble tomber sous le sens : C16 est bâti autour de l’Ambretone de Takasago, le fabricant japonais de molécules odorantes qui emploie dorénavant Francis Kurkdjian – le « C16 » représente la chaîne des seize atomes de carbone de la formule, C16H280.

Au bout d’une quinzaine de minute, l’eau de parfum évolue vers une facette un peu métallique, effectivement présente chez certains muscs synthétique. Cette note vaguement ferreuse, avec presque un arrière-goût de sang, reste discrètement présente tout au long d’un développement assez succinct. Mais il s’agit peut-être, une fois encore, d’une anosmie partielle à certains composants musqués : l’amie qui m’accompagne m’affirme ne pas l’avoir senti.
Écartant résolument toute référence orientaliste, C16 joue finement des facettes diverses du musc – du « blanc » à l’animal en passant par les accents floraux de l’ambrette – sur un mode minimaliste.
Pour le peu que j’en ai senti – d’échantillon, point – il m’a semblé très beau et assez diffusif. Mais mérite-t-il autant de rareté ?

Le principe d’exclusivité d’Indult m’a toujours un peu agacée. Les trois premiers parfums, produits à 999 exemplaires, sont toujours disponibles dans certains Sephora un an après leur lancement, ce qui laisse supposer soit qu’ils se sont très peu vendus, soit que plus de flacons ont été fabriqués qu’on ne l’a d’abord indiqué… Ma réaction est la même que pour la très belle vanille d’Indult, Tihota : 150 euros les 50 ml, c’est cher payé le «soliflore».

Image: Ambrette, courtesy http://www.ars-grin.gov/

Le trou du musc (II) : Musc Nomade d'Annick Goutal


Quatrième création de la série des Orientalistes, le Musc Nomade reprend sotto voce -- comme ses prédécesseurs Ambre Fétiche, Encens Flamboyant et Myrrhe Ardente -- l’opéra olfactif inauguré par Serge Lutens autour des senteurs de la parfumerie traditionnelle du monde arabe.

Mais cet Orient-là est moins ouvertement flamboyant. Les compositions d’Isabelle Doyen et Camille Goutal relèvent d’une mesure toute française – au meilleur sens du terme. Alors que les brillantes fragrances du tandem Lutens-Sheldrake ont parfois tendance à porter celui ou celle qui s’en empreint, celles de la maison Goutal se tapissent plus pudiquement sur la peau, introverties, lovées sur elles-mêmes, presque contemplatives. Ce qui ne les empêche pas d’être assez diffusives et très tenaces : 24 après l’application, on en sent encore les traces.

Dès la première vaporisation, Musc Nomade dégage la délicieuse senteur de la graine d’ambrette, ce musc végétal qui a des facettes d’alcool de poire, de fleur et d’animal (pour le sentir à l’état presque pur, simplement allié à l’iris et à la rose, allez chez Chanel tester le N°18 des Exclusifs). L’ambrette, ou ses succédanés synthétiques comme l’Helvétolide de Firmenich, allège les compositions musquées : elle fait en quelque sorte figure de trou normand dans un repas autrement trop riche en notes animales.

Très vite, un léger relent de vieille église se dégage, que l’on retrouve d’ailleurs dans la base de tous les Orientalistes : sans doute le bois de Bombay, autrement dit le cypriol, proche du patchouli avec ses notes terreuses. La muscone, principal principe odorant du musc naturel, tire Musc Nomade vers un délicieux fumet fauve un peu salé, proche de celui d’un ventre de chat qui s’est roulé en turban…

Musc Nomade est assez peu complexe, mais délicieusement satisfaisant et très bien exécuté. Comme toute la collection des Orientalistes (€120 les 100 ml d’eau de parfum), il se démarque des autres compositions d’Annick Goutal, plutôt axées sur les eaux fraîches et les notes florales – dans une direction extrêmement intéressante, que l’on aimerait voir se poursuivre…
Image: Florence Gruère, Odalisque, courtesy www.florence-gruere.com

Filling the Musk Gap (I): Serge Lutens Muscs Koublaï Khan or Dionysus’ Panther


The disappearance of natural musk in perfumery has created a gap that various perfumers (not to mention every single aromachemical company) have tried to fill. But rather than use it to emphasize other notes, their compositions use musk as a solo player, either in a minimalist mode (Helmut Lang’s discontinued Velviona in 2001, which contained only Givaudan’s synthetic musk Velvione), or in the hyperbolic and orientalist mode of animal musk.

Musk “soliflores” are absent from classical perfumery: if they have any forebears, they can be found either in the pre-modern tradition of smelling musk grains (before the late 19th century) or in the various hippie-era “musks” (Jovan, Bonne Bell) – in turn partly inspired by the North African or Asian perfumery discovered by 60s flower children on their way to Marrakesh or Katmandu…

In any case, these musks are the polar opposite of the sweetish, white “detergent” musks, whose exquisite powdery blandness points to childhood rather than to Bacchanalia.

Within this rather restricted perfume family, Serge Lutens’ Muscs Koublaï Khan, launched in 1998, remains the benchmark of all dirty musks. Its name is inspired by Marco Polo’s detailed descriptions of musk in his memoirs about his journeys in the Mongol emperor’s Chinese realm.

This very controversial composition – which tends to make American forum commentators howl with horror or delight – is a cornucopia of animalic smells: stable, circus, wildcat cages and barrack-rooms… Fecal civet, leather and fur-smelling castoreum, costus with its whiff of dirty hair, armpit-reeking cumin, ambergris with its saline, female notes, patchouli and its dank earth facets, are barely lightened up by Moroccan rose and ambrette, with its powdery, floral and boozy pear tartness.

Added to this devil’s brew is a wide range of synthetic musks. Most of us are anosmic to one or the other: their molecules are too large to be perceived. Thus, to achieve a replica of natural musk, a perfumer must use a diversified palette. This phenomenon makes it hard to judge musk “soliflores”, because the tester may be anosmic to one or several compounds. On me, for instance, Muscs Koublaï Khan’s wilcat mellows into a purr, another example of the mysterious alchemy of perfumery, which transforms vile substances into fragrant elixirs.

If Muscs Koublaï Khan conjures up the smell of wildcats, it isn’t so much the stench of a circus menagerie as the suave aroma of the panther in Greek mythology – the panther of Dionysus, the god of drunken raptures.

According to the philosopher Theophrastus, the panther is the only animal that doesn’t stink: she uses the perfume she exhales to entice her prey. Her exquisite breath is a mortally seductive trap similar to the one that women lay out for men. This leads Aristophanes to call courtesans “panthers”.

Thus, the intoxicating Muscs Koublaï Khan seems to me closer to the enticements of Aphrodite’s huntresses than to the reek of a Mongol warrior after a six-month rampage spree. I have used up two full bottles without losing my friends or scaring off my lovers: from which I deduce that this fragrance is rather more pleasing than not…

Image: Dionysus riding a panther, mosaïc floor, courtesy of www.macedonian-heritage.gr

vendredi 9 mai 2008

Le trou du musc (I) : Muscs Koublaï Khan ou la panthère de Dionysos



La disparition du musc naturel en parfumerie a creusé une absence que différents créateurs se sont efforcés de combler. Mais plutôt que de l’utiliser pour mettre en valeur d’autres notes, leurs compositions jouent le musc en note principale, soit sur le mode minimaliste (le Velviona d’Helmut Lang en 2001, uniquement composé de Velvione, musc synthétique produit par Givaudan), soit sur le mode paroxystique et orientaliste du musc animal.

Le modèle de ces "soliflores" musqués n'existe pas dans la parfumerie classique : s'ils ont des ancêtres, il faut les rechercher soit parmi ces grains de muscs respirés pour leur suavité à l'époque pré-moderne de la parfumerie (avant la fin du 19ème siècle), soit parmi les divers "muscs" américains en vogue à l'ère hippie (Jovan, Bonne Bell) -- eux-mêmes en partie inspirés par les muscs de la parfumerie maghrébine ou orientale découverts lors des transhumances 60s vers Marrakech ou Katmandou...

Ils représentent en tous cas le contre-pied des muscs lessiviels douceâtres, dont l'exquise fadeur poudrée rappelle plutôt l'enfance que la bacchanale.

Dans cette gamme, le Muscs Koublaï Khan de Serge Lutens, lancé en 1998, reste le mètre étalon des muscs sales. Il doit son nom aux descriptions que fait du musc le Vénitien Marco Polo, lors de ses pérégrinations en Chine où règne alors l'empereur mongol.

Cette composition très controversée -- il faut voir les hurlements et les pâmoisons qu'elle provoque dans les forums d'usagers de l'hygiénique Amérique -- convoque le ban et l’arrière-ban des senteurs animales : écurie, cirque, cage de fauve et chambrée de militaires… La civette fécale, le castoréum aux relents de cuir et de fourrure, le costus qui sent les cheveux sales, le cumin qui évoque l’aisselle, l’ambre gris et ses notes salines presque féminines, le patchouli et son fond terreux, à peine allégés par la rose marocaine et l’ambrette, avec sa note d’alcool de poire sur fond floral poudré…

Ajoutez à ce brouet du diable un large cocktail de muscs synthétiques – la plupart d’entre nous sommes incapables de sentir l’une ou l’autre des variétés de muscs : leurs molécules sont trop grosses pour être captées. Il faut donc jouer sur une vaste palette pour que la senteur soit perçue. Cela rend d’ailleurs les compositions centrées sur le musc un peu difficiles à juger, car on peut être anosmique à l’un ou l’autre de leurs composants. Sur moi, par exemple, les fauves de Muscs Koublaï Khan s’adoucissent jusqu’à ronronner, selon l'énigmatique alchimie de la parfumerie qui transmute les substances viles en elixirs embaumés...

Si Muscs Koublaï Khan rappelle le fauve, ce n'est pas tant celui de la ménagerie de cirque que la panthère des mythes grecs, animal attribué à Dionysos, dieu des ivresses.

Seule bête, selon le philosophe Théophraste, à ne pas être malodorante, la panthère utilise le parfum suave qu'elle exhale pour attirer ses proies. Ce souffle exquis est un piège d'une séduction mortelle.

De là à assimiler ce piège animal parfumé à ceux que tendent les femmes aux hommes, il n'y a qu'un pas, franchi par Aristophane qui les appelle les courtisanes des "panthères".

C'est peut-être donc plutôt du côté des chasseresses d'Aphrodite et de leurs envoûtements, que du côté des Mongols en selle depuis six mois, que peut se ranger l'enivrant Muscs Koublaï Khan. J’en ai usé moi-même deux pleins flacons sans perdre mes amis ni faire fuir mes amants : j’en déduis donc que cette odeur plairait assez...

Référence: Marcel Détienne, Dionysos mis à mort
Image: Cortège de Dionysos, courtesy http://www.bacchos.org/

The Paradox of Musk




Musk may be the point of maximum tension in perfumery. On the one hand, it’s a dirty, sexual, even excremental smell; on the other hand, the very scent of cleanliness, powder and fresh linen. It’s an essential note in perfumery, for the 3-D lushness and tenacity it brings to compositions; but as a compound, it seems to be under some evil spell. If it’s natural, it means death to the animals that produce it. In its various synthetic forms, it’s been proven to be photo-allergizing and even neurotoxic (the nitro-musks), and suspected of causing dire damage by accumulating in bodies and in the environment (the polycyclic musks).

It is a holy note, incorporated in the mortar of certain mosques to exhale its suave odour; it is an accursed note, and in the late 4th century, one of the doctors of the Church, St Jerome, warns Christian women against imitating pagan women who wear “mouse musk” (thought to be a mistaken identification of the pouch culled from musk deer).

Nevertheless, the West was musk-crazy for centuries. Strong aromatic or animalic smells were not only worn for adornment: they were thought to form a protective shield against the putrid miasma that carried disease, according to the medical beliefs of the time.

But sometime in the mid-18th century, animal substances such as musk, civet and ambergris were included in the medical anathema against putrid substances: the smell of musk was compared to that of manure or even of fermented human excrement. Its very strength was said to unsettle “our more delicate nerves”, claimed the French philosophers’ Encyclopaedia in 1765. Wearing animalic scents became the sign of depraved tastes or of doubtful hygiene. With the rise of bourgeois values, perfume itself was suspected of immorality, explains historian Alain Corbin in his groundbreaking essay The Foul and the Fragrant: it “vanishes, volatilizes, is the symbol of dilapidation. The fleeting cannot accumulate. The loss is irreparable. (…) Doubly immoral, it would be preferable for it to lose its references to animals, and for its provocative allusions to the reproductive instinct to disappear, along with musk.

Influenced by Jean-Jacques Rousseau, the new sensibility seeks communion with Nature; the deliberate artifice of the pungent fragrances fashionable in the preceding reigns is rejected. Only old libertines and courtisans reek of musk. In his 1777 Traité des Odeurs, Dejean decrees that “to conform oneself to today’s taste, one must totally suppress musk and only add a few drops of quintessence of ambergris.”

Vegetal and delicate smells are preferred to those that recall physical secretions or excremental functions. Smell, explains Corbin, is rejected as a sexual attractant. It must now be disguised: “There had never been such a major revolution in the history of sexual solicitation.”
Despite briefly becoming fashionable again after the French Revolution – the Royalist Muscadins douse themselves with it – musk is accused of causing hysteria in the 19th century. It is used, along with vanilla and sandalwood, to treat “sexual torpor” in women, reports the sexologist Havelock Ellis (1859-1939).

Nevertheless, musk didn’t disappear from perfumers’ armamentaria, and the sex-obsessed 19th century hides in its fragrances like bourgeois men hide their venal lovers… In his 1857 treatise The Art of Perfumery, Septimus Piesse claims with a touch of irony that “It is a fashion of the present day for people to say "that they do not like musk;" but, nevertheless, from great experience in one of the largest manufacturing perfumatories in Europe, we are of opinion that the public taste for musk is as great as any perfumer desires. Those substances containing it always take the preference in ready sale—so long as the vendor takes care to assure his customer "that there is no musk in it."” Many of his recipes for toiletries thus include musk. In 1900, according to perfume historian Annick Le Guérer, prestigious perfumers such as “Houbigant, Lubin, Gellé Frères, offer many articles including soaps containing a grain of musk, prepared many months in advance.”

It this when musk makes its spectacular about-face in public perception, to become, as perfumer Jean-Claude Ellena writes, “the olfactory signal of cleanliness”?
Prohibitively expensive, natural musk, which was used in perfumery until the 1970s, was gradually replaced from the late 19th century onwards by different types of synthetic musk. Polycyclic musks were discovered in the 1950s: they are non biodegradable in water, and are widely used in detergents, as well as in toiletries.

Molecules with science-fiction names – Galoxolide, Tonalide, Habanolide, Helvetolide – now replace the nitro-musks discovered by Baur in 1888-91, and banned in developed countries because of the photo-allergenic and neurotoxic properties (the highly-prized musk ambrette is, however, still used in India).

Widely used in functional perfumery, polycyclic musks have also found their way into fine perfumery: the best-selling Lancôme Trésor composed by Sophia Grosjman is said to contain over 21% of Galaxolide. Jennifer Lopez Glow is rumoured to be half pure Habanolide. According to Luca Turin, Jean-Paul Gaultier Le Mâle is practically nothing but synthetic musks. Francis Kurkdjian’s Narciso Rodriguez for Her has brilliantly played on the halo of innocence of these artificial musks by associating them to an orange blossom note which is just as synthetic and no less innocent…

“White musks” have been so widely used in detergents, and for such a long time now, that they have virtually become synonymous with the smell of cleanliness. Nevertheless, they play a double game. By blending with the exhalations of a clean and deodorized body, they still evoke flesh. By denying our animal nature and replacing its smells with a label of impeccable hygiene, they still express the will to seduce, and thus, a body that lends itself to the games of desire.

However, perfumery has not entirely rejected the age-old attractions of dirty musk, as we will discover in the next episode…

References :
Alain Corbin, The Foul and the Fragrant
Annick Le Guérer, Le Parfum des origines à nos jours
Luca Turin, The Secret of Scent
Septimus Piesse, The Art of Perfumery
Havelock Ellis, Sexual Selection in Man

Image: Pierre Bonnard, Nude Crouching in a Tub, courtesy www.dailymail.co.uk

jeudi 8 mai 2008

Le paradoxe du musc


Le musc représente la tension maximale de l'art de la parfumerie. Odeur sexuelle, sale, voire excrémentielle d’une part ; odeur de propre, de poudre et de linge frais d’autre part… Note essentielle à l’art de la parfumerie, pour le moelleux, le relief et la ténacité qu’il confère aux compositions ; ingrédient honni, traqué, interdit sous ses formes synthétiques successives, pour ses propriétés nocives, ou pour les dégâts qu’il cause en s’accumulant dans les corps et l’environnement…

Note divine incorporée au mortier de certaines mosquées pour qu’il y exhale son odeur suave ; note maudite par un docteur de l’Église, saint Jérôme, qui dès la fin du 4ème siècle exhorte les chrétiennes à ne pas imiter les païennes en s’enduisant de « musc de souris ».
Pourtant, l’Occident a longtemps raffolé du musc comme d’autres odeurs d’origine animale (ambre gris, civette). Leurs fortes odeurs ne servent pas uniquement à procurer du plaisir : elles forment aussi un bouclier capable de repousser les miasmes putrides qui, croit-on, charrient les maladies…


C’est vers le milieu du 18ème siècle que les substances animales sont elles aussi englobées dans l’anathème médicale contre les substances putrides : on rapproche alors l’odeur du musc de celle du fumier ou des excréments humains fermentés au bain-marie. La force même de son odeur détraque les nerfs, « devenus plus délicats », lit-on dans l’Encyclopédie en 1765. L’usage des odeurs animales trahit dorénavant un goût dépravé ou une absence d’hygiène. D’ailleurs, avec la montée des valeurs bourgeoises, c’est le parfum même qui se trouve entaché d’un soupçon d’immoralité, comme le souligne l’historien Alain Corbin : il « s’évanouit, se volatilise, symbolise la dilapidation. Le fugace ne peut s’accumuler. La perte est irrémédiable. (…) Doublement immoral, il serait, à tout prendre, souhaitable qu’il perde ses références animales, que disparaissent, avec le musc, ses provocantes allusions à l’instinct de reproduction ».

Sous l’influence de Jean-Jacques Rousseau, les nouvelles sensibilités recherchent une communion avec la nature ; on rejette l’artifice délibérément assumé des odeurs violentes prisées sous les règnes précédents, et seuls les vieux libertins ou les courtisanes le prisent encore. Dans son Traité des Odeurs de 1777, Dejean décrète que « pour se conformer au goût d’aujourd’hui, il faut supprimer totalement le musc et ne mettre que quelques gouttes de quintessence d’ambre ».

Les senteurs végétales et délicates des eaux de Cologne sont alors préférées à celles qui rappellent les sécrétions corporelles, voire les fonctions excrémentielles. L’odeur, explique encore Corbin, est rejetée comme attractif sexuelle. On s’efforce désormais de la déguiser : « Jamais une révolution d’une telle importance ne s’était opérée dans l’histoire de la sollicitation sexuelle »
Malgré un bref retour en faveur après la Terreur – les Muscadins royalistes s’en aspergent – le musc se trouve accusé au 19ème siècle de provoquer l’hystérie. Le sexologue Havelock Ellis (1859-1939) rapporte son usage, avec la vanille et le santal dans le traitement de la « torpeur sexuelle » des femmes.


Pourtant, le musc ne disparaît pas entièrement de l’arsenal des parfumeurs et le 19ème siècle qui s’intéresse excessivement au sexe sous ses dehors corsetés, le dissimule au fond de ses parfums comme on cache ses amours crapuleuses… Dans son traité de 1857, The Art of Perfumery, l’Anglais Septimus Piesse affirme, non sans une pointe d’ironie, que « les substances qui en contiennent sont toujours préférées à la vente, à condition que le vendeur prenne soin d’assurer au client qu’il n’y a pas de musc là-dedans ». Il fournit d’ailleurs de nombreuses recettes de produits de toilette incorporant du musc. En 1900, selon l’historienne Annick Le Guérer, des parfumeurs aussi prestigieux que « Houbigant, Lubin, Gellé Frères, proposent de nombreux articles dont des savons renfermant des grains de muscs préparés plusieurs mois à l’avance ».

Est-ce là que le musc entame son revirement spectaculaire dans les perceptions, pour devenir, comme l’affirme le parfumeur Jean-Claude Ellena, « le signal olfactif de la propreté » ?
Hors de prix, le musc naturel, qu’on utilisait encore en parfumerie jusqu’aux années 1970, s’est vu substituer dès la fin du 19ème siècle une série de muscs synthétiques obtenus par divers procédés. Découverts dans les années 1950, les muscs polycycliques, non biodégradables dans l’eau, sont utilisés de plus en plus massivement dans les lessives ainsi que dans les produits de soins et d’hygiène.


Des molécules aux noms de science-fiction – Galaxolide, Tonalide, Habanolide, Helvetolide – remplacent dorénavant les muscs nitrés découverts par Baur en 1888-91, interdits dans les pays développés à cause de leurs propriétés photo-allergisantes et neurotoxiques (on continue cependant en Inde à utiliser l’un d’entre eux, le plus prisé des parfumeurs, le musc ambrette). La parfumerie fonctionnelle n’est pas la seule à en faire un large usage : ainsi, le Trésor de Lancôme composé par Sophia Grosjman en contiendrait plus de 21% dans sa formule. Le Glow de Jennifer Lopez recèlerait jusqu’à 50% d’Habanolide. Selon Luca Turin, Le Mâle de Jean-Paul Gaultier n’est pratiquement fait que de muscs synthétiques. Narciso Rodriguez For Her a su admirablement jouer du halo d’innocence de ces muscs d’artifice, en leur associant une fleur d’oranger non moins innocente et tout aussi synthétique…

Ces « muscs blancs » qui sont désormais devenus synonymes de propreté, à force d’être associés à l’odeur de la lessive, jouent cependant un double jeu. Propres, certes ; mais en se mêlant aux exhalaisons d’un corps lui-même lessivé et désodorisé, ils se remettent à évoquer la chair. En niant l’animalité du corps pour y substituer une preuve d’hygiène, ils soulignent pourtant le désir de séduction, donc un corps qui se prête aux jeux du désir.

La parfumerie n’en a pas pourtant autant rejeté la dimension charnelle du musc, comme nous le verrons au prochain épisode.

Références :
Alain Corbin, Le Miasme et la Jonquille
Annick Le Guérer, Le Parfum des origines à nos jours
Luca Turin, The Secret of Scent

Septimus Piesse, The Art of Perfumery
Havelock Ellis, Sexual Selection in Man



Image: Pierre Bonnard, L'Indolente, courtesy http://www.lettres-histoire.info/

lundi 5 mai 2008

Musk, the phantom of perfumery


Yesterday, a scent strip fell from the pages of the notebook where I had slipped it.

Over a month ago, I had dipped it into a 40-year-old flacon of Chanel N°5. It still exhaled the suave and stubborn smell of musk. Natural musk, probably, along with one of the nitromusks discovered by a German chemist called Baur in 1888, while he was experimenting on explosives.

These compounds have now disappeared from perfumes. The former because of its rarity and to protect the species from which it was drawn: the musk deer were killed to extract their fragrant pouch. The latter because of its photosensitizing and potential neuro-toxic properties (cf Luca Turin in Perfumes: The Guide).

Nowadays, the effects of musk can only be experienced in vintage flacons. It makes the floral bouquet – iris, cassie, rose, jasmine, ylang-ylang – pop out from the old N°5, with a fluorescent intensity that develops on the skin within a few minutes. It is the animalic, slightly salty base, as sweet as a cat’s sweat between its paw cushions, of classic perfumery. Musk was so powerful that centuries ago, the Compagnie des Indes was forbidden to transport it on board ships loaded with tea: it would impregnate the precious leaves with its scent (cf Annick Le Guérer, Le Parfum).

Redolent with whiffs of faraway Asia and heated flesh, renowned for its qualities as a fixative and odour booster, musk is now the phantom note of perfumery.
This is why I chose to entitle this blog “Grain de Musc”, a grain of musk. Because it is haunted by the long-lost or overly face-lifted beauties of classic perfumery; and because these words are written in Paris. And, to paraphrase Voltaire, “Paris is the grain of musk that perfumes the universe.”

Coming next: Clean Musk, Dirty Musk

Image: Horst P. Horst, Odalisque, New York, 1943, courtesy of www.agallery.com

Le musc, fantôme de la parfumerie



Une touche est tombée hier des pages du cahier où je l’avais glissée.

Imprégnée plus d’un mois auparavant d’un Chanel N°5 vieux d’au moins quarante ans, elle exhalait encore une tenace et suave odeur de musc. Un peu de musc naturel, sans doute, appuyé de l’un de ces muscs nitrés découverts par un chimiste allemand dénommé Baur en 1888 alors qu’il menait des expériences sur les explosifs.

Ces composants ont désormais disparu de la parfumerie. L’un pour sa rareté qui le rendait hors de prix et pour des raisons de protection de l’espèce dont elle était tirée : le chevrotin dont la glande secrète le musc est tué pour recueillir la substance. L’autre, le synthétique, parce que c’est un photo-sensibilisant qui présente également des risques neurotoxiques (comme l’explique Luca Turin dans son Perfumes : The Guide).


Ce n’est donc plus que dans les vieux flacons que l’on peut sentir l’effet du musc qui a servi à composer les plus grands parfums classiques. C’est pourtant lui qui donne ce relief stupéfiant au bouquet floral – iris, cassie, rose, jasmin, ylang-ylang – du N°5, cette intensité quasi-fluorescente qui se développe au bout de quelques minutes sur la peau. Lui qui confère une qualité animale, légèrement salée, aussi suave que la sueur d’un chat humée entre ses coussinets, aux compositions. Le musc, tellement puissant que jadis, on interdisait à la Compagnie des Indes de le transporter à bord du même navire que le thé, sous peine qu’il imprègne les précieuses feuilles (cf Annick Le Guérer, Le Parfum).


Le musc, fantôme de la parfumerie, la hante depuis la nuit des temps avec ses relents d’Asie et chair échauffée, ses extraordinaires qualités de fixateur et de booster d’odeurs, les interdits qu’il charrie et la nostalgie qu’il suscite chez les amateurs de fragrances classiques…
Voilà pourquoi j’ai choisi d’intituler ce blog « Grain de Musc ». Parce qu’il est hanté par les beautés révolues ou trop liftées de la parfumerie classique ; mais surtout, parce qu’il émane de Paris, capitale des senteurs. Et que pour paraphraser Voltaire, « Paris est le grain de musc qui parfume l’univers »…

Prochain épisode : Musc propre, musc sale…

Coming next: English version



Image : Horst P. Horst, Dance Study (circa 1912), courtesy www.metmuseum.org