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lundi 8 juin 2015

La fin de la parfumerie d'auteur?


Ça aura duré, quoi ? Dix ans ? Quinze ? Pendant ce temps-là, on aura cru que les nez avaient repris la main. On leur aura redonné non seulement leur nom, mais la possibilité d’une signature. Dans les années 1990, sous la direction artistique de Pamela Roberts – la période la plus féconde de la marque --, L’Artisan Parfumeur ouvrait la voie en révélant sa dream-team: Olivia Giacobetti d’abord, puis Jean-Claude Ellena, Bertrand Duchaufour, Anne Flipo… Frédéric Malle a fait de la parfumerie d’auteur le concept même de sa maison. Avec Parfums de Nicolaï, Parfum d’Empire et The Different Company, les parfumeurs ont fondé leurs marques. 

Pendant ce temps, la blogosphère parfum naissante esquissait le principe d’une politique des auteurs de la parfumerie en repérant des styles par-delà les marques. Quelques parfumeurs s’affranchissaient du « studio system » : Olivia Giacobetti, Isabelle Doyen, Sandrine Videault, Bertrand Duchaufour, Geza Schoen, Mark Buxton, Christophe Laudamiel, Marc-Antoine Corticchiato… Au lieu de travailler pour les grosses boîtes, d’entrer en concurrence anonyme avec leurs collègues pour gagner des briefs, les clients les sollicitent, eux, pour leur style. Et les paient pour qu’ils développent leurs parfums.

Le mainstream a vite compris les avantages qu'on pouvait retirer en dévoilant les nez : on leur demande désormais de répondre même du plus indigent des produits créé par comité. Les marques de niche se font happer par les grands groupes l’une après l’autre -- Annick Goutal, Diptyque, Byredo, Le Labo, Frédéric Malle, L’Artisan Parfumeur, Penhaligon’s… Et après avoir tordu le nez pendant des années sur le secteur, les grands labos lâchent aujourd’hui leurs nez dans le niche.

Il y a encore peu de temps, l’idée même de mobiliser un parfumeur ou des cuves pour des quantités risibles de concentré aurait paru peu rentable. Mais, un, la part de marché du niche augmente, et augmentera encore dès lors que les marques disposent de la force de frappe de grands groupes. Deux, c’est une bonne façon, pour un grand labo, de faire la promo de son cheptel de nez. Trois, comme certaines (pas toutes) marques de niche accordent des budgets plus généreux aux concentrés, c’est l’occasion de mettre en valeur telle ou telle matière première coûteuse (et/ou captive) autrement qu’au compte-gouttes. Enfin, il est de bonne politique de permettre aux parfumeurs de s’amuser de temps en temps… lorsqu’ils auront fait « du volume ».

Du coup, alors qu’un propriétaire de marque de niche devait jadis être du sérail pour prétendre travailler avec les nez des IFF, Firmenich et autres Givaudan, cela devient de plus en plus facile. Et c’est gratuit : le parfumeur étant salarié, on ne paie que le concentré. Du coup, les petites maisons de composition doivent s’aligner – l’une d’entre elles, semble-t-il, aurait fondé sa politique de développement sur le braconnage des clients de parfumeurs indépendants, en faisant les formules à l’œil.

Conclusion : après avoir été un temps ébranlée par la montée du niche, l’industrie du parfum l’a aujourd’hui ramené dans son giron. Cela ne veut évidemment pas dire que des parfums « signés », originaux, ne peuvent émaner des grands labos : nos nez nous fournissent tous les jours la preuve du contraire. Ou que les parfumeurs indépendants ne seront plus sollicités. Mais la petite fenêtre qui s’était entrebâillée sur la possibilité d’un modèle différent de la création en parfumerie, plus proche de celui du design, est en train de se refermer.




6 commentaires:

  1. Bonjour Denyse.Que dire de plus : rien tellement votre post est saisissant de réalisme.Depuis quelque temps, je constatais et regrettais cette régression (était-elle inévitable, je ne saurais le dire).Mais merci à vous de l'avoir souligné.

    JP

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    1. Bonjour JP. Je crois que ce modèle de parfumerie d'auteur perdurera, mais à une échelle modeste. De toute façon, la récupération de tout écart est la règle du jeu dans notre société. Fallait pas trop se faire d'illusions...

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  2. Bonjour Denyse, ton analyse est impressionnante de justesse et de véracité.
    Cette "fusion" progressive des principales marques de niche avec les grosses maisons de composition et grands groupes est-elle pour autant le signe de la fin des parfums d'auteurs ?
    Ne reste-t-il pas par ailleurs suffisamment d'autres marques encore indépendantes qui démontrent leur liberté de création, avec plus ou moins de succès par ailleurs ?...
    Selon moi cette "zone grise" peut aussi être une période de transition vers un changement positif... mais peut-être suis-je trop optimiste ! :)

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    1. Bonjour Jeanne. Je pensais moins ici aux marques indépendantes qu'au modèle "Roudnitska": le fait qu'une marque (un "éditeur") sollicite un parfumeur précis, pour son écriture. Que ce parfumeur puisse *répondre* de ses créations. Qu'elles soient considérées, dans la structure de production sinon dans les tribunaux, comme des oeuvres de l'esprit. Or ce modèle, qui aurait pu attirer des parfumeurs chevronnés autant qu'originaux comme ceux que je nomme ci-dessus, ne semble pas voué à se développer. Perso, en bonne adepte de la psychanalyse, je trouve qu'on n'accorde pas de valeur à ce qu'on ne paie pas: comme on est en train de revenir à un modèle où le développement de la formule n'est pas payé, on ne peut pas être dans une valorisation du travail du parfumeur en tant que créateur (ou co-créateur).

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  3. Bonsoir Denyse, en effet, je réalise que j'ai lu ton texte un peu vite ce matin, toute emportée par l'enthousiasme, sans doute, et mon commentaire était un peu à côté de la plaque :) Je vois tout à fait ce que tu veux dire, et je ne peux qu’acquiescer ! Bonne soirée

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    1. Meuh non! C'est vrai qu'une parfumerie *signée* peut exister... cela dit, rentrer dans un magasin de parfumerie de niche multimarques ou chez Sepho, de nos jours, c'est un peu la même expérience: trop de choix, pas assez de différence...

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