More to Read - Encore des lectures

lundi 4 mai 2015

I Miss Violet de Bertrand Duchaufour pour The Different Company : Peau de fleur




La nouvelle création de Bertrand Duchaufour pour la « Collection excessive » de The Different Company forme le troisième panneau d’un triptyque sur le thème du cuir irisé entamé avec La Traversée du Bosphore (L’Artisan Parfumeur) et Cuir de Nacre (Ann Gérard). Le parfumeur l’a conçue à la fois comme « une violette vibrante et moderne » et comme « un cuir végétal ».

Sur ce point, I Miss Violet relève de la même intention que le Cuir d’Ange de Jean-Claude Ellena : tirer un cuir des fleurs, mais surtout, s’affranchir du « cuir de parfumeur », cuir de Russie goudronneux fumé, ou cuir à la Bandit basé sur l’isobutyl quinoléine. Certes, étant donné les écritures respectives des deux hommes, les résultats sont forcément divergents. Alors que le cuir d’Ellena est lumineux, éthéré, d’odeur et de texture poudrée, celui de Duchaufour est sombre, gras, issu d’une fleur plantée dans l’humus gorgé de pluie du printemps.

Ce cuir de violette est aussi culotté, sans pour autant s’apparenter à la botte de Cosaque ni au jus de motard : c’est à ses parti-pris olfactifs qu’il doit sa radicalité. Retravaillée pour l’occasion, la base cuir composée pour La Traversée du Bosphore sert de tuteur à la composition. Mais c’est la chair que soutient ce tuteur qui donne son caractère à I Miss Violet; cette façon éminemment signée qu’a Duchaufour de s’appuyer sur les aspérités de ses matériaux -- en l'occurrence des fleurs à notes cuirées -- plutôt que de les masquer.

Ceux qui ont déjà senti des absolus de feuille de violette, de cassie, de mimosa ou d’osmanthus en conviendront : outre leurs communs effets poudrés et cuirés, ils partagent des relents de végétaux détrempés oscillant entre la cosse de pois cassée, la vieille eau de vase à fleurs et le concombre. Or, expliquait Duchaufour lors du lancement, pour lui la peau de concombre sent le cuir d’anguille : il a donc renforcé les facettes cucurbitacées de ses ingrédients par des aldéhydes ad hoc comme le nonadiénal. L’osmanthus, membre de la famille des Oléacées tout comme l’olivier (et d’ailleurs le jasmin), contribue une facette olive noire qu’il partage avec le castoréum, matériau traditionnel des notes cuirées…

Pour sophistiqué qu’il soit avec son fond musqué vanillé, le résultat dégage d’étonnants relents de chair mi-végétale, mi-animale. Les facettes aqueuses durent peu sur ma peau, mais l’effet végétal persiste plusieurs heures, tout comme la facette confiture d’abricot de l’osmanthus où se fond le sucre poudre de la violette. S’il n’est sans doute pas, sur moi, aussi « mousseux » ou « diaphane » que ne l’a voulu son créateur, le parfum ne vient pas buter contre le mur goudronné opaque des cuirs de parfumeur classiques : il continue à déployer une belle naturalité jusque dans les notes de fond.

Si le projet olfactif de I Miss Violet est indéniablement abouti, je m’avoue moins convaincue par sa présentation. Puisque « violette » est à la fois une note et un prénom, Luc Gabriel, co-fondateur et propriétaire de The Different Company expliquait lors du lancement que « le prénom appelle l’incarnation, [et que] l’incarnation appelle l’image. » Le parfum est donc incarné par Cécile, une jolie rousse féline dans une série de visuels aux allures de rédactionnel de mode  -- et pour cause, c’est un photographe de mode, Alexis Limousin, qui les a réalisés. Et d’un récit, celui d’une « Violet » globe-trotteuse – dîner à Venise, gala à Paris, clubbing à Hong Kong – dont les aventures tiennent du synopsis de film publicitaire. Laquelle Violet laisse son parfum à celui à qui elle manque déjà avant de voguer en mer de Java… Le visuel reproduit ci-dessous n’est toutefois pas une pub, mais une affiche proposée aux points de vente.



Doter un parfum d’un visage et d’une histoire glamour ? C’est précisément ce que fait le mainstream. Mieux qu’une marque de niche, forcément – question de budget et d’expérience, d’autant que la plupart des marques mainstream viennent de la mode. En s’aventurant sur ce territoire, The Different Company s’écarte des valeurs d’une parfumerie d’auteur qu’elle a contribué à créer lors de sa fondation en 2000 par Jean-Claude Ellena, le designer Thierry de Bachmakov et Luc Gabriel. C’est grâce aux pionniers de cette deuxième vague du niche que les parfumeurs ont pu à nouveau signer leurs créations (rappelons qu’à leurs débuts, ni L’Artisan, ni Goutal, ni Lutens ne nommaient leurs nez), après avoir été éclipsés par les couturiers pendant plusieurs décennies. Que le parfum s’est affranchi des histoires de nana-qui pour s’inspirer d’autres récits. Bref, que les parfumeurs ont pu répondre de leurs créations, leur donner un nom et un visage.

Certes, le dossier de presse de I Miss Violet fait une large part à l’auteur du parfum et à sa démarche olfactive. Et certes, TDF n’est pas la seule marque de niche à produire des visuels : la question (déjà abordée au sujet de Byredo) mériterait d’être plus largement fouillée. Disons simplement que ce qui rend la « Company » de Luc Gabriel « Different » se décèle bien moins à l’œil qu’au nez…




10 commentaires:

  1. Et comment I Miss Violet se compare a Cuir Amethyste d'Armani Privé? Je suis curieuse, car j'adore Cuir améthyste mais le prix fais en sorte que je ne le porte que pour les grandes occasions! :(

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Valérie, je n'ai pas comparé les deux parfums côte à côte car je n'ai pas Cuir Améthyste, mais de mémoire IMV est plus végétal, plus "gras" -- on sent les plantes...

      Supprimer
    2. Je me permets d'apporter ma contribution (hello Denyse ;) ) : je trouve qu'ils n'ont pas grand chose à voir. J'ai beaucoup de mal à trouver le cuir dans CA, qui sur moi fait l'effet d'un épais sirop de violette (ma peau sucre beaucoup les parfums), alors que dans IMV effectivement les plantes ne se font pas oublier. L'osmanthus joue sur des facettes animales très intéressantes (elles font évoluer le parfum sur la peau, selon le jour ou le moment de la journée), et la violette est au final quasi pas poudrée et peu sucrée. Les deux ont un pitch cuir/violette, mais ne sont pas des jumeaux, plutôt des cousins éloignés!

      Supprimer
    3. Hello M! Merci de mettre ton grain de sel -- ou en l'occurrence, de sucre! Comme tu le sais, Miss Jicky est très sensible elle aussi aux facettes animales de l'osmanthus (à quand une analyse de l'effet des matières premières de parfumerie sur les félins ?). Je suis d'accord, cette violette est assez peu sucrée-poudrée -- la référence est moins confiserie-parfumerie que botanique.

      Supprimer
  2. A quand une critique de la religieuse? Je suis assez curieux de savoir ce que vous en avez pensé. L'avez-vous aimé?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Comme vous avez dû le remarquer j'ai beaucoup négligé le blog, ce qui fait que j'ai une vingtaine de sujets en souffrance... Je n'ai pas encore re-senti La Religieuse depuis sa présentation, hélas!

      Supprimer
    2. J'attends votre retour avec impatience.

      Supprimer