Combien de fois, ces derniers temps, ai-je eu envie
de m’offrir un flacon de parfum ? Pas souvent. Mais pas blasée pour autant. La preuve : quand j’ai
drainé en moins de vingt-quatre heures le 1,5ml d’Oriental Express du jeu d’échantillons des Exceptions, j’ai
aussitôt éprouvé des symptômes de sevrage.
Créée par Jean-Christophe Hérault, l’un des jeunes
parfumeurs qui m’intéresse le plus en ce moment, et par Oliver Polge avant que
ce dernier n’aille prendre la relève de son père chez Chanel, la nouvelle
collection de Thierry Mugler transpose l’esthétique rétro-futuriste du
couturier vers l’olfactif en décalant sur tous les plans les quatre grandes
familles classiques de la parfumerie – orientaux, fougères, chypres et floraux, musc en sus.
Le premier décalage : le recours à des
matériaux contemporains high-tech (distillations moléculaires) ou à des
méthodes d’analyse inexistantes à l’ère classique comme le « Living Flower »
(technologie de capture headspace spécifique à IFF). Le deuxième : élaguer
les structures de ces familles olfactives jusqu’à leurs murs portants, pour les
reconstruire dans le style muglérien des « blocs de notes ». « L’écriture est concise, les formes
olfactives assez bien dessinées parce qu’elles ne sont pas noyées dans un océan
de notes en tous genres », précisait Jean-Claude Hérault lors d’un
entretien téléphonique. « Il y a des
overdoses qui permettent d’accentuer le trait. Dans ce sens, on se rapproche de
ce qui a été fait chez Mugler ».
Troisième intervention : déplacer ces
structures sur la carte des senteurs, en remplaçant certaines des notes
canoniques par des notes de même « valeur » (par exemple, la pêche par
la poire), tout en maintenant le rapport qu’entretiennent ces notes entre elles
de façon à ce que la forme (chypre, oriental, fougère…) reste reconnaissable.
Enfin, twistées ou rééquilibrées, ces notes brouillent les frontières du genre :
ainsi, Fougère Furieuse n’est pas
viril faire pousser une moumoute pectorale ; Oriental Express troque contre un costard acéré ses atours d’odalisque…
Oriental
Express
Comme je pense l’avoir fait comprendre, c’est
celui qui m’a le plus secouée, tant il secoue les baumes – vanilla, benjoin et
labdanum, usual suspects du genre. C’est
une bouffée aromatique de basilic franchement décoiffante qui allume la
chaudière de cet Oriental Express,
alimentée par un intrigant « bois de carotte » qui virilise les
baumes. « Ne cherchez pas des forêts
de carottiers ! », plaisante Jean-Christophe Hérault. « Le bois de carotte est un concept olfactif
désignant un type d’extraction par distillation molécule de la graine de
carotte, qui a la caractéristique de dévoiler sa partie boisée irisée. Cette
carotte apporte une verticalité et une puissance qui décale la structure
orientale. »
Supra
Floral
Interprétation d’une note
florale rarement mise en vedette dans les compositions contemporaines, Supra Floral déterre la jacinthe du N°19, la replante dans l’encens et la
révèle pour ce qu’elle est : une bitch
dont les tiges suintent un suc vert vénéneux sous ses fleurettes violettes
frisées turgescentes… « Ce que je
trouve savoureux dans le travail sur cette note, c’est d’utiliser la jacinthe,
fleur un peu oubliée, avec des méthodes d’analyse d’aujourd’hui qui nous ont beaucoup
appris sur les fleurs. Ces analyses Living Flower nous permettent d’être au
plus proche de la nature. On gagne en modernité en étant plus figuratif »,
explique le parfumeur. « La
jacinthe n’est pas une fleur mièvre ou romantique : c’est extrêmement
vert, animal (à cause de l’indole), miellé. C’est pour ça que cette fleur a été
choisie, sinon ça n’aurait pas été pas Thierry Mugler. »
Chyprissime
Le
chypre au superlatif ? On en aurait déjà la bave aux lèvres. Le parfum
se fonde sur une distillation moléculaire de patchouli LMR (la branche ingrédients
naturels d’IFF), « un chef-d’œuvre de
technologie », s’enthousiasme Jean-Christophe Hérault. « On évite les facettes camphrées, terreuses,
mais ça reste tout aussi profond et plus lumineux. Ce qui pourrait faire un peu
daté dans le patchouli, on ne le trouve pas dans cette fraction. »
L’acidulé de la poire remplace la traditionnelle
note de fruit lactonique (pêche, prune) du patchouli, ce qui « enlève la patine vintage à ce grand monument
de la parfumerie classique », précise Olivier Polge dans le dossier de
presse.
Las, ma peau préfère sans doute les monuments dans
leur jus, crottes de pigeons et croûte de pollution inclus : sur moi, le
fameux patchouli LMR, certes plus lumineux et transparent que sa version roots, tend à dévorer les autres notes,
tandis que la poire initialement juteuse et fondante, vire au métallique. Mais
sur une amie montréalaise qui l’a testé avec moi cet été, Chyprissime prenait des senteurs délicieuses de boîte à cigares.
Comme quoi : faut voir.
Over the Musk
C’est le jus le plus douillet de la série, et son
best-seller (en tous cas à Montréal où il était déjà en rupture de stock). Comme
son nom l’indique, Over the Musk overdose
la note éponyme en superposant divers types de muscs. Plantée dans cette boule
de douceur, l’ambrette, musc végétal aux facettes rose, iris et alcool de
poire, verticalise l’accord. Un touche de Cashmeran, molécule appartenant
techniquement à la famille des muscs alors que son odeur ne s’y apparente qu’en
partie (je le reconnais toujours par son côté « bois poussiéreux »), s’allie
aux notes vanillées pour produire des effets cosmétiques, poudrés, presque
nuage de lait.
Bien que les compositions de Jean-Christophe
Hérault, souvent co-créées avec Oliver Polge, soient en général très pointues (confer la rose déconstruite de Rosabotanica), je décèle dans Over the Musk une tendresse qui me semble
faire partie de sa signature.
Fougère Furieuse
J’ai déjà bramé mon aversion pour les fougères, dont
la plupart des déclinaisons actuelles exhalent la fraîcheur lessivielle du
dihydromyrcénol, molécule citrus-lavande métallique qui sent surtout la peur de
ne pas être pris pour un homme. Dieu merci, la fureur de la fougère muglérienne
n’est pas alimentée par un excès de testostérone. Foin de thérapie hormonale,
donc. Notes aromatiques en sourdine, néroli amplifié (c’est un pilier du genre,
qu’on dégote jusque dans la moustache de star porno 70s de Brut), overdose de Cashmeran et de coumarine qui, boosté par des
notes ambrées, dégage des effets de sauge sclarée (sans que l’ingrédient soit
présent, assure Jean-Christophe Hérault) et d’amande amère virant au tabacé.
Cette fougère-là, je m’y baignerais. Comme quoi : faut sentir.
La collection Les Exceptions est disponible en ligne sur le site des Parfums Thierry Mugler.
Comme toi, mon préferé a été Oriental Express. Deuxième était Over the Musk. Quel plaisir d'avoir pu être parmi les premiers à les sentir à Montréal!
RépondreSupprimerOui, c'était assez intéressant de découvrir cette collection sans infos dessus, presque en "blind"... J'ai vraiment craqué pour cet Oriental Express alors qu'en théorie ce n'est pas ma famille olfactive préférée. A tel point que je le porte en toute occasion où je ne dois pas tester des nouveautés. Je serais assez partante pour Supra Floral aussi, mais pour l'instant il fait trop frisquet à Paris!
Supprimerje fonds pour le chiprissime j'adore
RépondreSupprimer