Lave sucrée soyeuse soulevée par une bouffée
d’ozone. Miel versé dans des rayons de cristal. Pour moi : l’odeur de
Berlin.
Chaque fois que nous choisissons un parfum pour
une circonstance ou une destination (par exemple, un weekend de Pâques à
Berlin), nous pratiquons une forme de géomancie olfactive. Assignons à ses
notes un récit, un sens, que ne lui a pas forcément attribué son auteur.
Quelle meilleure note pour errer dans une ville
inconnue un vendredi saint avec un parfumeur dont le prénom est celui d’un
passeur (Saint Christophe) et dont le patronyme est littéralement plongé dans
le miel ? Tout au long de cette errance, il ne cessera de me répéter qu’il
se reconnaît dans ce parfum…
Lorsque j’ai senti Nouveau Né pour la première fois, j’ai parlé de miel poussé par un
fond d’ozone : comme le crapaud dans l’herbe, la composition suscite un
effet étonnamment spatial. Christophe
Laudamiel m’a alors montré le mood board envoyé par Sebastian Fischenich de Humiecki
& Graef, la marque qui lui a commandé ce parfum : le haut du collage
montre en effet du miel ; le bas, un obélisque de cristal de roche.
Il souhaitait travailler sur un miel contemporain,
non-animal, sans effets cire d’abeille. Nouveau
Né (où il n’est pas interdit de prêter l’oreille à l’homophonie – nez) fait
partie d’un diptyque consacré à l’espoir et à la douleur – Schmerz, en allemand : ça fait encore plus mal. Laudamiel a
choisi le premier thème, son partenaire Christoph Hornetz le second, intitulé Abîme.
Le miel punk de Nouveau Né, en s’infiltrant dans mes errances berlinoises, m’a
servi de colle à souvenirs. Ses aiguilles de cristal ozonique, fichées dans
l’odeur comme des échardes d’histoire dans les murs de la ville, en ravivent la
mémoire.
Un vendredi soir au Kit Kat Club – si Le Parfum de Süskind avait été adapté au
cinéma par Tom of Finland, il aurait tourné ici la scène finale (curieusement,
ces dizaines de danseurs luisants de sueur ne sentaient pas le fauve : la
scène gay de Berlin soutient manifestement l’industrie du déo).
Dans l’aube perlée du samedi, dernière danse avec
le jeune et beau caissier indien du tabac, à côté du Kit Kat, où nous nous
étions arrêtés pour acheter du chocolat. Puis Heinrich-Heine Strasse avec ses
graffitis, ses décharges sauvages, ses squats aux murs grêlés de trous de balle
et sa centrale électrique : carte postale dystopique jusqu’au cliché de
l’ex-Berlin Est (mais des oiseaux et des arbres).
Dans les ravissantes cours Jugendstil de Hackesche
Höfe – restaurants, théâtres, boutiques branchées mais jadis, nous rappelle une
plaque, un quartier juif.
Au pied du Pallasseum, dit Sozialpalast, HLM 70s géante
sortie d’une photo d’Andreas Gursky, où des dizaines de paraboles pimpantes
tournées vers la Turquie fleurissent aux balcons – un bunker massif construit
en 1943 par des prisonniers soviétiques y reste encastré car il aurait été trop
coûteux de le démolir.
Mais aussi : le désespoir slave de l’homme à
tout faire du Quentin Design Hotel (la photo du site représente ma chambre) lorsqu’il a
compris qu’il devrait percer le coffre-fort en panne qui contenait mon
portefeuille… Il en était au bord des larmes.
Souvenirs figés dans l’ambre. Une lichée de miel
pour l’ours de Berlin.
Pour lire les première et deuxième parties, cliquez ici et ici.
Illustration: Rainer Werner Fassbinder et Ingrid Caven (pour moi: Berlin).
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