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lundi 30 septembre 2013

Notes sur Pitti Fragranze, 2ème partie: Peety, le parfum le plus customisé du monde



Voici la deuxième partie des pensées inspirées par trois propriétaires de marque aux looks inhabituels, croisés lors de ma visite à Pitti Fragranze. Pour lire la première, cliquez ici.


Angelo Orazio Pregoni rôdait près du stand O’Driu, sapé comme un chevalier Jedi reconverti en guru d’un culte post-apocalyptique. Son portrait, au-dessus du stand, dévisageait les visiteurs avec un regard « Dormez, je le veux » à déclencher des insomnies chez les âmes sensibles. Et pour cause : on murmurait entre les allées qu’il avait créé un parfum auquel il fallait ajouter une goutte d’urine – la sienne, celle d’un amant ou de l’artiste – afin d’en « compléter » la formule.

Première réaction : Minute, là, quoi ? Beurk.
La deuxième : ça y est, le niche est finalement devenu cinglé à en mordre la moquette.
La troisième : après Sécrétions Magnifiques (sperme, sueur, salive, lait maternel), la collection Blood Concept, La Petite Mort (jus de dame) et cet artiste anglais qui a fait produire un « parfum » basé sur l’odeur de sa merde, Peepy™ était inévitable. Quelqu’un allait bien finir par prendre les propos pipi-caca des perfumistas au sens littéral, et leur mettre le nez dessus. Évidemment, ce quelqu’un se trouve être un artiste.

Pregoni semble jouer sur le concept d’esthétique relationnelle défini par Nicolas Bourriaud (grosso modo, dans une explication tirée du blog Un Monde Moderne :« des œuvres qui ne sont plus closes sur elles-mêmes mais qui prennent forme dans les interactions humaines : l’artiste crée l’œuvre par ses rapports au monde qu’il fait discuter, qu’il invente, et ceux-ci génèrent à leur tour d’autres rapports (avec le public…). […] l’artiste a donc le statut de producteur de rencontres. La réception n’est plus en aval de la création, mais devient l’essence de l’œuvre. »)

L'artiste a déjà utilisé le parfum dans des performances où des « modèles » nus, dont le slip ou la toison pubienne sont vaporisés de parfum, doivent être humés par les spectateurs. Histoire, sans doute, de rappeler que, 1) le parfum occidental est en général conçu pour un support corporel, et non pour être appréhendé en reniflant des bouffées issues de fentes murales, et que 2) quel que soit le degré de sublimité ou de sublimation atteint par une composition olfactive, l’odeur renvoie malgré tout à l’animalité et à la sexualité. Donc au malaise que l’une et l’autre provoquent en nous.


Dans un autre projet d’art relationnel déroulé sur une période de plusieurs mois – celui-là même que présente Pregoni à Pitti – le « O’Driu Helpdesk » interagissait avec les membres du forum de discussion Basenotes au sujet d’un parfum en développement auquel il faudrait ajouter un « ingrédient secret ». (Pour suivre ces discussions, à la fois tordantes et terriblement sérieuses, et d’autant plus tordantes qu’elles étaient sérieuses, cliquez ici). Les Basenoters se sont toujours fait un point d’honneur à prouver leur trempe en tant que perfumistas : se pschitter avec un parfum au pipi, fut-ce le leur, c’est quand même autrement culotté qu’assumer un brin de civette dans son jus.

PeetyTM est-il une interprétation dadaïste narquoise d’un cliché fourgué depuis des lustres par l’industrie – à savoir qu’un parfum vendu par millions de flacons va se transformer sur chaque peau, customisé par notre « chimie personnelle » ? L’ultime parfum 100% naturel ? Le sur-mesure assumé jusqu’à ses dernières conséquences ? Ou s’agit-il là de la consommation trash du flirt « art et parfum » qui traîne depuis plus d’une décennie ? Et qu’en penserait Andres Serrano ?

Confession : je n’ai pas senti les O’Driu. Je n’ai même pas discuté avec Pregoni : l’aura qu’il cultive à dessein m’a paru, comment dire ? À la fois malsaine et un peu chichiteuse, au fond. Bref, je me suis dégonflée. Je n’ai pas encore vraiment tranché sur la qualité artistique de son travail, mais il me semble en tous cas qu’il est exemplaire de ce transfert de gestes issus de l’avant-garde à l’industrie du luxe dont Martin Margiela (pour la mode) et Comme des Garçons (mode et parfums) ont été les pionniers. Ou alors, inversement, de l’annexation d’un nouveau champ, le parfum, par les artistes – phénomène en plein développement. Quoi qu’il en soit, grazie quand même, Angelo, je pense que mes fluides corporels n’entreront pas dans mes flacons de si tôt…

Image tirées des sites Bonsai TV et Inside Art.



4 commentaires:

  1. J'ai suivi cette discussion sur Basenotes et je t'avoue que les images et l'inaccessibilité géographique et financière de cette marque m'ont un peu rebutés. Et le regard fou du mec dans ta photo confirme mon impression. Pour moi le parfum doit être d'abord quelque chose de beau et d'attirant, cette marque ne represente ni l'un ni l'autre pour moi. CdG par exemple est intéressant, un peu décalé, mais pas démentiel. Ils ont peut-être des parfums de qualité chez O'Driu, mais je n'aime pas le "gimmick", donc j'en déduis que ce n'est pas une marque que je vais rechercher.

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  2. Tara, comme je l'ai précisé, je ne les ai pas sentis. Si ça se trouve il y a des trucs très intéressants. Dans le cas de Peety, on peut le voir comme une gimmick ou bien comme un geste provocateur, le but étant de perturber le monde du parfum... Patty de Perfume Posse trouve qu'il sent très bon, en tous cas.

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  3. Cela me rappelle cette fameuse lettre de Napoléon à Joséphine.
    Je trouve qu'il y a quelque chose de vaguement obscène à mettre en scène ce type d'intimité.

    Lalla,

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  4. Lalla, il est évident que ce jeu sur l'obscénité est tout à fait délibéré, et destiné à faire réagir!

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