L’innovation la plus radicale de Frédéric Malle en
2000 a été de faire figurer le nom du parfumeur sur le flacon. Dans « XXX
par Frédéric Malle », sa nouvelle collection de portraits olfactifs, il n’y
figure plus. Certes, on comprend que trois noms sur une étiquette, ça puisse
faire désordre. Néanmoins, cela brouille la notion d’auteur qui est au cœur d’Éditions
de Parfums… Le « Frédéric Malle » introduit par la préposition « par »
est-il une maison, ou un (co)auteur ? Et dans ce cas, quid du parfumeur ?
Le livret glissé dans l’étui aborde cette nouvelle
équation « modèle + directeur artistique + parfumeur » -- ce dernier
étant en l’occurrence le Français Bruno Jovanovic, d’IFF New York, qui a déjà
créé trois bougies pour la marque. Lors de la présentation à la presse,
Frédéric Malle a précisé que Bruno Jovanovic et Dries Van Noten n’ont pas
travaillé directement ensemble. D’abord pour ne pas faire dérailler la synergie
établie au fil des ans entre Malle et « ses » parfumeurs, ensuite
parce que de manière générale, on considère qu’un créateur de mode n’a pas à s’intégrer
à des échanges plutôt techniques. C’est donc Frédéric Malle qui s’est fait l’interprète
du monde de Dries Van Noten pour Bruno Jovanovic, et qui a traduit pour le
créateur belge la création en cours, processus plus proche de celui des
développements de parfums de créateurs dans le mainstream, sans doute plus directif pour le parfumeur.
Portraits olfactifs et/ou collaborations
ponctuelles entre un créateur de mode et une marque de parfumerie de niche ne
sont pas des démarches entièrement inédites : on les retrouve chez État
Libre d’Orange, Comme des Garçons et Six Scents (dont c’est le concept même). On
sait par ailleurs que Dries Van Noten a été en pourparlers avec une grande
société détentrice de licences de créateurs pour lancer sa propre marque. Sans
doute n’a-t-il pas voulu associer sa maison, restée indépendante, à une
démarche forcément beaucoup plus commerciale et qui l’aurait contraint à faire
de la pub, ce à quoi il s’est toujours refusé. D’où ce choix d’une maison de
parfum également indépendante.
L’esthétique de Dries Van Noten est riche en
sources d’inspiration olfactive. Ses collages audacieux de couleurs, de motifs
et de textures puisent plus volontiers dans l’histoire et les costumes
traditionnels de différents peuples que dans les références fashion. Son approche relève plutôt du
Bauhaus ; son rapport au corps, s’il peut être sensuel, s’écarte
délibérément du « sexy » et brouille volontiers les cartes du
masculin/féminin. Malgré cette audace, il se dégage de son univers une tendresse,
une pudeur, un respect de l’autre… On sait aussi que le créateur cultive un
vaste jardin secret aux environ d’Anvers, et lorsque j’ai appris que Frédéric
Malle créait un parfum pour lui, j’ai immédiatement imaginé des odeurs
végétales, florales, la fraîcheur tendre d’un jardin du Nord…
Mais Frédéric Malle a opté pour un intérieur flamand bien
rangé, chaleureux, et des douceurs qu’on offre au visiteur. Dries Van Noten par Frédéric Malle est
donc un gourmand délicat aux senteurs boisées fondé sur un accord laiteux de
santal de Mysore et de speculoos – cannelle, girofle, vanille, ethyl maltol. Pour susciter les facettes noisette, levure,
grillées du biscuit, Frédéric Malle et Bruno Jovanovich ont eu recours au
sulfurol, matière première le plus souvent utilisée dans les arômes
alimentaires mais donc les vieux parfumeurs de Grasse se servaient pour booster
le santal – ce sulfurol figurait d’ailleurs dans le curieux Fey d’Issey aux
inflections pain et lait. Patchouli cœur (c’est-à-dire dépouillé de ses
facettes moisies-camphrées), méthyle ionone (« bois de violette ») et
muscs encadrent l’accord gourmand de notes boisées et cosmétiques. Le jasmin,
qui figure dans la liste des notes, n’est pas forcément lisible en tant que tel.
Dries Van Noten
est un parfum-doudou, une boule santal-vanille musquée qui pourrait évoquer
par moments le style câlin de Sophia Grojsman (grande dame d’IFF où travaille
Bruno Jovanovic). Mais même une overdose de bergamote, ajoutée dans les
dernières étapes du développement pour donner à la composition des allures de
parfum old-school à la Shalimar, ne
parvient pas à faire le faire décoller. Je l’ai porté à plusieurs reprises
maintenant et, sur moi en tous cas, son sillage reste franchement timide.
Peut-être s’agit-il d’un choix délibéré destiné à refléter la pudeur de son
modèle ?
Ajouté le 12/02:
Après discussion avec plusieurs autres blogueurs et connaisseurs qui ont pu tester Dries Van Noten, l'impression générale sur le sillage du parfum est la suivante : la personne qui le porte a tendance à ne plus le sentir assez rapidement mais l'odeur reste très présente pour l'entourage.
Je pourrais rapprocher cela d'une expérience semblable éprouvée par certains d'entre nous avec L'Heure Promise de Cartier, un accord santal-iris. J'ai aussi remarqué que le Santal Blush de Tom Ford Private Blends, encore un santal-iris, m'était à peine perceptible alors que pour d'autres c'est une "bombe". Idem pour le Volutes de Diptyque qui repose également sur ce type de notes.
Cas d'anosmie ou d'insensibilisation à certains composants? Mystère.
Ajouté le 12/02:
Après discussion avec plusieurs autres blogueurs et connaisseurs qui ont pu tester Dries Van Noten, l'impression générale sur le sillage du parfum est la suivante : la personne qui le porte a tendance à ne plus le sentir assez rapidement mais l'odeur reste très présente pour l'entourage.
Je pourrais rapprocher cela d'une expérience semblable éprouvée par certains d'entre nous avec L'Heure Promise de Cartier, un accord santal-iris. J'ai aussi remarqué que le Santal Blush de Tom Ford Private Blends, encore un santal-iris, m'était à peine perceptible alors que pour d'autres c'est une "bombe". Idem pour le Volutes de Diptyque qui repose également sur ce type de notes.
Cas d'anosmie ou d'insensibilisation à certains composants? Mystère.
Illustrations: Détail d'une scène d'intérieur flamande de Pieter de Hooch et photo du défilé Dries Van Noten, février 2012, tirée du blog de Bergdorf Goodman.
Exactement. Après avoir été séduite dans les premières minutes parce que forcément, qui dit speculoos dit enfance, j'ai été déçue par le sillage (le moins qu'on puisse attendre d'un parfum de ce prix).
RépondreSupprimerC'est dommage, car le parti-pris initial (le côté chaleureux) aurait pu assumer un sillage moins modeste. D'autant plus que parfois, le style Van Noten peut flirter du côté de l'exubérance sophistiquée.
Sur le reste, que dire de plus ? Inspiration ou marketing, peu importe. Ce que je recherche, à titre personnel, c'est d'être emballée par le parfum, le discours étant le bonus. Même si ce parfum présente une certaine cohérence (style/odeur), que la marque a marqué la parfumerie de niche et depuis des années j'admire le style Van Noten, je n'achèterai pas ce parfum. Non pas qu'il me déplaise, mais il y a tant de merveilles... Dispensable ?
Narriman
Narriman, il est vrai que beaucoup de personnes redoutent un sillage trop marqué de peur d'importuner, donc ce n'est pas forcément un moins pour tout le monde. Mais en effet, pour moi ça a été un problème. Peut-être sur tissu? Je n'ai pas testé.
RépondreSupprimerOui, c'est vrai. La déception vient sans doute, plus que du manque de sillage, du fait que le parfum ne parvient pas à "décoller" comme vous le dites bien. Après deux ou trois heures, il ne reste pas grand-chose, juste un santal gourmand et une sensation de déjà senti. On attend un nouveau Malle avec une certaine excitation et sûrement une certaine exigence, depuis Portrait of a Lady, parfum majeur (et pourtant, je suis plus santal que rose...).
RépondreSupprimerNarriman
Narriman, c'est vrai, chaque nouveau Malle est un événement, et Dries Van Noten est l'un de mes créateurs préférés (même si je n'ai jamais pu m'acheter beaucoup de pièces)... comme je ne peux pas m'imaginer que Frédéric Malle laisse sortir un parfum qui ait un problème technique, étant donné son degré d'expertise, je dois donc en déduire que cette discrétion est délibérée.
RépondreSupprimerBonjour, à vous, j'ai pu le sentir hier à la Scent Room du Printemps. Après essai sur le dessus de la main (vers 12h30), le parfum était encore bien présent vers 20h00, avec juste un pschitt... Je retenterais. J'aime bien son univers qui effectivement me rappelle bien Shalimar.
RépondreSupprimerDolores, côté substantivité, rien à dire, en effet, je l'ai suivi sur la peau d'une amie hier et il a tenu bien au-delà de huit heures. Et vous avez raison, on est un peu dans l'univers Shalimar (qu'explorait déjà selon moi Musc Ravageur) avec ces notes baumées et légèrement cuirées...
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