More to Read - Encore des lectures

vendredi 30 novembre 2012

Jour d'Hermès by Jean-Claude Ellena: The hermeneutics of flowers




"I say: a flower! and, apart from the oblivion to which my voice relegates any contour, understood as something other than the known calyxes, musically there arises, idea itself and pleasant, the flower absent from all bouquets"
 The French poet Stéphane Mallarmé, who wrote those lines, is said to be hermetic. And though Jean-Claude Ellena’s style veers more towards Apollonian clarity, Jour d’Hermès remains something of an enigma. No notes. No “known calyx”.

Jour d’Hermès is placed under the sign of dawn, which the French have two words for. Aube comes from “white”. Aurore was once thought to spring from the same origin as the Latin for “gold”. Homer’s rosy-fingered Eos, whose tears are morning dew, wears a saffron robe embroidered with flowers. Add a bit of green, and you’ve got enough colors to form a bouquet, stems overlapping to form a helix, propelling floral sprays into the air.

A sour splash of lemon on heady floral flesh: magnolia? Round green juiciness, like apple yet not apple… tip of the tongue… pear, the olfactory cousin of rose, offered up to our gnosis? (Gnōthi seautón, “know thyself”, read the inscription on Apollo’s temple in Delphi – but it’s so hard to know what our nose knows…). And so it goes: sweet pea, which is all at once orange blossom, rose and carnation? The delicate fruity greenness of gardenia, without the mushroomy rot. Something salty, definitely (ylang, lily, carnation?). A green, snapped-stem moistness that seems to be trending at the moment (it’s been obsessing me for months and I’ve smelled it in two other future launches). A tinge of orange-blossom soapiness. And then an underlying, sexy-skin softness – balsams, musk: Ellena can do sensuous – in fact, I suspect his famously concise style is his way of harnessing a tremendous appetite and curiosity (in his Diary of a Nose, he states he enjoys and enjoys playing with “indecent”, “disturbing” smells).


When he has obtained the scent he wants, Ellena will not alter the formula to make it more long-lasting, but he is entirely capable of creating a fragrance that unfurls on skin for hours. Thus, Jour d’Hermès is tenacious and strongly radiant (it garners spontaneous compliments), yet it is also stealthy, playfully – or perversely? – flying under the radar of identification... 

When you speak of the fragrance of certain flowers with perfumers, they’ll often explain that once removed from its source and bottled, it would come off like an undefined bouquet. In this case, JCE has inverted the process like the finger of a glove, skirting perilously round the the mille-fleurs (a name once given to the mixed leftovers of various fragrances sold cheaply to poorer markets) to achieve a conundrum. As though he had created a hollowed-out form from which any flower could spring like a hologram, which turns out to be his very intention, according to the press material:

“I wanted to offer armfuls of flowers to smell, people could put in their own choice of flowers, smell what they wanted to smell.”

So: “let it be a thousand flowers! Armfuls, bouquets, sprays, garden flowers, cut flowers, morning flowers, evening flowers, mischievous fragrances, bewitching smells, a whole profusion!
I like to leave voids, ‘blanks’ in perfumes so that everyone can add their own imaginary world; they are ‘voids of appropriation’”, he explains in his Diary of a Nose (my translation).

Jour d’Hermès is therefore a matter of hermeneutics, to be interpreted like Pythian prophecies; but also, a perfume to be performed (in French, you say “interpret” to express this action).  What makes a perfume live is the fact that it is worn, rewritten by the wearer into her own story: the peculiar alchemy (Hermes Trismegistus) between skin, air and soul. In Jour d’Hermès, this performance/interpretation is literally written into the concept.

Jour d’Hermès will available in Hermès boutiques as of Saturday December 1st, and will launch in all other points of sale on February 15th 2013.

In order to take the “perfume performance”concept a step further, I will be drawing three samples of the scent: once the winners have had the opportunity of testing them, I’ll publish their interpretation. 
The draw will be open until Friday December 7th. Just drop a comment, and I’ll announce the results of the draw on Monday December 10th.

Illustration: the goddess Flora in a detail from Botticelli's Birth of Venus.

Jour d'Hermès de Jean-Claude Ellena : Mille fleurs en forme de rébus



 « Je dis une fleur! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour en tant que quelque chose d’autre que les calices sus musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tout bouquet. »
La naissance du nouveau Jour d’Hermès pourrait s’inscrire entre ces lignes de Mallarmé, poète réputé hermétique. Car bien que le style de Jean-Claude Ellena penche vers la clarté apollinienne, ce parfum reste énigmatique. Aucune note offerte pour le déchiffrer. Aucun « calice su ».

Ce qui « musicalement se lève », c’est l’aube, du latin alba, blanc. Ou encore, l’aurore aux doigts de rose – Eos rhododactylos – dont les larmes forment la rosée du matin, vêtue d’une robe safran brodée de fleurs. Un peu de vert, et voilà assez de couleurs pour former un bouquet, tiges disposées en hélice propulsant dans l’air l’odeur de jonchées de fleurs.

Un filet acide d’agrumes sur une chair de pétale capiteuse : magnolia ? Une rondeur verte juteuse, un peu crissante, comme de la pomme sans en être : la partition serait-elle celle d’un morceau en forme de poire, cousine olfactive de la rose offerte à nos gnoses ? (Gnōthi seautón, « connais-toi toi-même », lisait-on sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes, mais comment savoir ce que sait notre nez ?). On replonge : fleur d’oranger, rose, œillet des poètes… le froufrou du pois de senteur ? La frange verte d’un gardénia, sans ses remugles de champignon. Et puis quelque chose de salin (ylang, lys, œillet ?). Une moiteur de tige cassée, effet vert/aqueux un peu muguet qui est une autre façon d’interpréter le frais (qu’on retrouve d’ailleurs dans deux autre lancements prévus pour 2013). Le côté un peu savonnette de la fleur d’oranger, mais aussi un fond charnel baumé-musqué -- le style concis d’Ellena m’a toujours semblé une façon de harnacher une sensualité considérable (dans son Journal d’un parfumeur, il avoue « jouir et jouer » d’odeurs « indécentes », voire « perturbantes »).

On reproche parfois à certains de ses parfums leur manque de ténacité – il a lui-même déclaré que ce n’était pas son souci. Non pas qu’il s’en fiche, mais une fois parvenu à la forme qu’il souhaite, il n’altèrera pas la formule pour la rendre plus long-lasting. Il est cependant entièrement capable de composer un parfum qui s’épanouit sur peau de longues heures. C’est le cas de Jour d’Hermès, qui dégage en outre assez de sillage pour susciter des compliments spontanés, tout en restant furtif – voire sournois dans sa façon de déjouer toute tentative d’identification.

Lorsqu’on discute avec les parfumeurs de l’odeur de certaines fleurs, ils expliquent souvent que celles-ci, abstraites de leur source et mises en flacon, créeraient plutôt l’effet d’un bouquet que celui d’une fleur particulière. Dans Jour d’Hermès, Ellena semble avoir retourné la question comme un doigt de gant, tournant périlleusement autour du pot des mille-fleurs – nom jadis donné au mélange de rebuts de parfums vendu à vil prix – pour viser délibérément le rébus. Comme s’il avait créé une forme en creux d’où n’importe-quelle fleur pouvait surgir (Mallarmé, encore) à la façon d’un hologramme. Intention d’ailleurs explicite :

« Je voulais donner à sentir des brassées de fleurs, que chacun y mette les fleurs qu’il veut, y sente ce qu’il a envie de sentir. »
Ou encore : « Des brassées, des bouquets, des gerbes, des bosquets, fleurs du jardin, fleurs du salon, fleurs du matin, fleurs du soir, parfums espiègles, odeurs envoûtantes, à profusion ! »
« Je laisse volontiers des vides, des “blancs”, dans les parfums afin que chacun puisse y ajouter son propre imaginaire; ce sont des “vides d’appropriation” », écrit Ellena en page 63 de son Journal d’un  parfumeur

Ainsi, Jour d’Hermès s’offre comme l’objet d’une herméneutique, à interpréter comme une prophétie de la Pythie de Delphes. Ou plutôt (retournons à nouveau le doigt du gant), comme une chanson. Ce qui fait exister un parfum, c’est son interprétation ; son alchimie (Hermès Trismégiste) avec la peau, l’air et l’histoire. Avec Jour d’Hermès, cette interprétation, dans les deux sens du terme, est littéralement inscrite dans le concept.

Jour d’Hermès est disponible à partir du samedi 1er décembre dans les boutiques Hermès, et sera lancé dans les autres points de vente le 15 février 2013.

Pour rester dans la note, je propose un tirage au sort de trois échantillons, sous condition que les gagnants m’en livrent leur interprétation. Le tirage au sort sera ouvert jusqu’au vendredi 7 décembre ; les gagnants seront annoncé lundi 10. Pour participer, laissez un commentaire.

Illustration: vous aurez reconnu un détail de la Primavera de Botticelli, où figurent la déesse Flore, la nymphe Chloris (qui n’est autre que la version grecque de Flore) et son époux Zéphyr, fils de la déesse Aurore.


lundi 26 novembre 2012

Amyris Femme by Maison Francis Kurkdjian: Perky Paris Iris



 We are standing in Francis Kurkdjian’s lovely, tiny Parisian boutique on the rue d’Alger; a scene from Breakfast at Tiffany’s is running in the background. He reaches for a glass of champagne: he’s kicking off his second presentation for the Amyris duo, and no wonder he’s thirsty. The wiry, combustible FK is not only outspoken, but easily sidetracked and given to the occasional outburst, which makes him a “good client”, as French journalists say. Thus, when I mention something I hear constantly in big composition houses – perfumers can’t do what they want, clients don’t know what they want – FK bristles. Clients are like kids lost in a labyrinth, he explains: you’ve got to put your foot down. What if perfumers refused to let themselves get pushed around? By breaking off to found his own perfume house, FK has walked his talk, though he still works for brands (his Elie Saab Le Parfum nabbed all the awards for a feminine fragrance at the French Fifis).

If Kurkdjian already got his own way when he was working for supplier houses, it might partly explain why some of the MaisonFrancis Kurkdjian scents feel like the revisiting of some his signature accords with richer materials. And it makes sense to think that he’d want to re-appropriate his work, put his name to it, and order it around a simple, overarching, concept: a fragrance wardrobe, with scents for every moment of the day, complemented by home fragrances. Hence Amyris Femme and Amyris Homme, the third his’n’hers duo in his collection, conceived as chic but easy daywear fragrances requiring less of a commitment than the APOM and Lumière Noire sets. Something you can feel good in immediately, and wear every day of the week, says FK.

The initial idea came to him while revisiting his raw materials collection with a trainee, he explains. He’d forgotten amyris, also known as West Indies rosewood or sandalwood. The word itself, which comes from the Greek amyron, “intensely fragrant”, seduced him. It also suggested the other main note, iris (which also makes etymological sense since myristic acid, an important compound of orris butter, springs from the same Greek root as amyris). 

FK hadn’t explored iris since Acqua di Parma’s Iris Nobile in 2004: in fact, it’s a note he’s not nuts about. He calls it “morbid” and “unlikeable”, like a very beautiful but dull woman, even if it doesn’t upset it as much as his three nemeses, lily, geranium and sage. “But if you only worked on stuff you liked you’d be bored to death”. The challenge, he says, was to add something to iris that would “make it get off its ass”. He wanted his Amyris Femme to be like a perky young Parisian woman, using the lovely adjective primesautière to describe her – this would translate as “impulsive, spontaneous”, but in French you also hear saut, “leap” which inspires the image of a big-eyed, bounding gazelle, which brings us back to Audrey Hepburn’s Holly Golightly…

The iris he sourced for Amyris Femme after making the rounds of suppliers is well aged, he explains, which means it’s lost the carroty-rooty facets. To tickle it into a smile, he added a lemon blossom accord along with powdery musk and sparkling citrus notes. If you judge a fragrance by what its author has set out to achieve, Amyris Femme ticks the right boxes: impeccably cut out of stealth-chic materials, with a Chanel-like – and therefore very Parisian – sense of understatement and dégagé charm.

This is what mainstream ought to be like if better budgets were given for materials. And indeed, though it is “niche” by its distribution and price points, Maison Francis Kurkdjian might be thought of as an alternative-universe version of mainstream where perfumers were still at the helm of their houses. In fact, its underlying concept of a fragrance wardrobe, and the textural quality of the perfumes themselves, suggest a virtual fashion line – from the fresh white cotton of Aqua Universalis to the wine-red rose petal velvet of Lumière Noire, all the way down to the sexy leather of Absolue pour le Soir

P.S. Since Amyris Homme features what I’ve dubbed “spiky woods”, a family of powerful ambery-woody molecules I am hyperosmic to like many women, it is impossible for me to form an opinion of it: if you’ve tried it, please weigh in!

Illustration: Françoise Dorléac in François Truffaut's La Peau Douce (because Audrey Hepburn would've been too obvious).

Amyris Femme, Maison Francis Kurkdjian: Iris Primesautier



Une scène de Breakfast at Tiffany’s tourne en boucle sur l’écran. Une coupe de champagne ? Allez… Francis Kurkdjian a soif, ce qui n’a rien d’étonnant, puisqu’il enchaîne les présentations presse d’Amyris Femme et Homme dans sa jolie boutique de la rue d’Alger. Or Francis K est « bon client », comme on dit dans le jargon : volubile, pas langue de bois, assez facile à faire dévier hors-pitch et parfois combustible (ce qui sied d’ailleurs à sa beauté sèche et sombre). Ainsi, lorsque je mentionne à quel point les parfumeurs en maisons de composition se plaignent de ne pas faire ce qu’ils veulent, notamment parce leurs clients ne savent pas ce qu’ils veulent, Francis K se hérisse. Ils n’ont qu’à ne pas se laisser faire ! Les clients sont comme des enfants, dit-il ; ils sont perdus dans le labyrinthe. Il faut donc être ferme avec eux. Après tout, l'industrie s'arrêterait de tourner sans les parfumeurs: s'ils se font bousculer, c'est bien un peu parce qu'ils se laissent faire.

Si Francis K savait déjà imposer sa façon de voir alors qu’il travaillait encore pour des maisons de composition, cela explique peut-être pourquoi certains des parfums de la Maison Francis Kurkdjian évoquent des accords qu’il a développés auparavant, interprétés avec des notes plus riches. Après tout, pourquoi pas? Façon de se réapproprier son travail, de le signer, de l’ordonner selon un concept somme toute assez simple : une garde-robe de parfums pour chaque moment de la journée, complétés par des parfums d’ambiance. Dans ce cadre, Amyris Femme et Homme, troisième duo de la maison, se présentent selon leur auteur comme des parfums nécessitant moins de « temps de réflexion » que les duos APOM ou Lumière Noire : « plus dans l’immédiateté », précise-t-il, « pour être bien tous les jours de la semaine ». Tenues de jour, donc, faciles à passer, faciles à habiter.

C’est en faisant réviser ses matières premières à son apprenti que le parfumeur est tombé sur le bois d’amyris, dit également santal ou bois de rose des Antilles. Le mot le séduit : il provient du grec amyron, « intensément parfumé ». Et puisqu’il contient déjà l’iris dans son nom, la deuxième note est trouvée (étymologiquement,  ça se tient, puisque l’acide myristique présent dans le beurre d’iris, qui lui confère ses notes un peu peau grasse et repli de chair, tire son nom de la même racine grecque).

Comme Francis K n’a pas travaillé l’iris depuis l’Iris Nobile d’Acqua di Parma, qui remonte à 2004, il se dit qu’il est temps de s’y ré-attaquer. D’autant plus qu’en fait, il ne raffole pas de la note, qu’il trouve plutôt « morbide » et « pas sympa », même si il n’a pas pour elle autant d’aversion que pour le lys, le géranium et la sauge… « Mais si on ne fait que les trucs qu’on aime, on se fait chier », lâche-t-il. Cet iris qu’il compare à une « femme très belle mais chiante », il décide qu’il faut « lui mettre un truc qui la pousse au cul », qui la rende « primesautière » -- retour donc à l’image de Hepburn en Holly Golightly, version jeune femme parisienne chic mais spontanée.

Appel d’offre sur le beurre d’iris auprès de ses fournisseurs : il en trouve un qui, parce que suffisamment vieilli, ne dégage pas de facettes racinaires. Pour le chatouiller jusqu’à ce qu’il sourie, il lui ajoute un accord fleur de citronnier « roudoudou » et « des notes poudrées qui pétillent » sur le fond boisé.

Si l’on juge un parfum par son adéquation à la proposition initiale, Amyris Femme y répond impeccablement : ça s’enfile comme une petite robe bien coupée en tissu coûteux mais pas ramenard, ça ne pince nulle part, ça laisse respirer. Bref, c'est très chic parisien contemporain, donc dégagé – « ma signature, c’est l’espace entre sa peau et le parfum où on peut bouger », explique Francis K.

Voilà ce que le mainstream pourrait être, avec de meilleurs budgets pour les matières premières. D’ailleurs, bien que son mode de distribution et ses prix la placent dans le « niche », ce que la Maison Francis Kurdkjian propose, c’est en quelque sorte une version du mainstream dans un univers alternatif où les parfumeurs seraient encore chefs de maison… Son concept même, la garde-robe de parfum, semble appeler virtuellement une ligne de prêt-à-porter, tout comme l’aspect très texturé des parfums eux-mêmes, du coton blanc d’Aqua Universalis au velours pétale-de-rose lie de vin de Lumière Noire, jusqu’au cuir encanaillé d’Absolue pour le Soir

P.S. Puisqu’Amyris Homme comporte ce que j’ai surnommé le « bois qui pique », famille de molécules ambrées-boisées surpuissantes à laquelle je suis hyperosmique comme bien des femmes, je ne peux pas l’évaluer pour des raisons piteusement physiologiques. J’attends donc votre avis.

Illustration: Françoise Dorléac dans La Peau douce de François Truffaut (parce qu'une photo d'Audrey Hepburn, ça serait tout de même trop facile).