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jeudi 9 août 2012

Santal Majuscule de Serge Lutens: (trans)substance d'enfance

Avec chaque parfum, Serge Lutens produit des textes qui semblent être autant de fragments d'un livre en cours d'écriture. Certains, comme ceux de De Profundis ou de Vitriol d’œillet, retracent des scènes énigmatiques dont le mécanisme se fonde sur l’ellipse et les jeux de mots. D’autres, comme ceux de Jeux de Peau, Santal Majuscule et du Vaporisateur Tout Noir (disponible à partir d’octobre), relèvent du souvenir d’enfance et de la confidence.

Rien d'étonnant à cela, car sa maison est fondée sur ce qu’il est : son esthétique, son goût, son personnage. Avec ou sans leur extension écrite, ses parfums sont en eux-mêmes des émanations de Serge Lutens. Simplement, la tension texte/parfum semble désormais s'accentuer. Lorsque nous nous sommes rencontrés pour mon livre, Serge Lutens me confiait que ses sources d’inspiration étaient désormais plus littéraires qu’olfactives, ce qu’il a répété depuis dans d’autres entretiens.

De fait, le récit qui accompagne Santal Majuscule porte plutôt sur l’adjectif que sur le nom : narré à la troisième personne, il relate un incident de l’enfance de Serge Lutens, raillé par son instituteur parce qu’il mettait des majuscules à certains mots dans une rédaction sur le Moyen-âge. Métamorphose mystique du « gosse » rêveur, qui revendique ces majuscules magiques…

L’orgueil s’observe. Le gosse ainsi, sous une armure enclose, perché sur un cheval, princesse terrible portant haut la couleur du deuil se vit dans un fracas de sabots, pénétrer Grand Messe du sacre, à l’instant précis de la transsubstantiation. Celui-là même où le prêtre, vers la croix, et celui dessus cloué, élève l’hostie géante.

La transsubstantiation, n'est pas précisément ce dont il s’agit dans le parfum ? Convertir une combinaison particulière de molécules en créature dotée d'un corps (le liquide) et d'une âme (le sillage)?
On peut aussi entrevoir, à la suite de De Profundis, le catholicisme de l’enfance succéder à l’orientalisme comme motif.

Par-delà son travail sur un accord multiséculaire de rose et de santal, Santal Majuscule intègre à sa palette un peu de la substance du « gosse » Lutens. Après Jeux de Peau qui évoquait par ses effets grillés le pain rapporté par le petit Serge lorsqu’il rentrait de l’école, voire la confiture d’abricot des tartines, Santal Majuscule convoque le chocolat des goûters. 

Le parfum, présenté avec une citation en latin attribuée à Thérèse d’Avila – « n’obéissez pas à mes ordres, obéissez à mes silences » -- est plutôt taciturne par rapport à d’autres Lutens. Fumé (mais pas autant que Santal de Mysore), sucré (mais pas autant que Santal Blanc), plutôt liquoreux. Sa texture poudrée-soyeuse incorpore la rose, légèrement acide, aux facettes rosées et crémeuses de l’accord santal ; ce dernier ajoute une touche lactée au cacao.

Comme Bois de Jasmin le souligne dans son billet sur Santal Majuscule, l’accord santal-rose évoque une odeur de chair féminine ; c’est justement cet accord qui, pour moi, rend aussi indécent le Shocking de Schiaparelli. Santal Majuscule prélève en douceur une touche de cette odeur charnelle, en remplaçant la civette par le cacao dans le registre animal. Mais contrairement à Shocking, ou à d’autres Lutens, ni distorsions baroques, ni feulements de fauve dans ce parfum qui murmure.

J’ai toujours aimé porter une goutte de Santal de Mysore quand il fait chaud. Mon flacon, acheté au lancement, commençant à s’épuiser, c’est vers Santal Majuscule que je me tournerai cet été. En attendant un nouveau fragment de l’autobiographie cryptée de M. Lutens. Cette fois, il s’agira de sa mère, "princesse terrible portant haut la couleur du deuil"...

Illustration: La Parque et l'ange de la mort de Gustave Moreau

9 commentaires:

  1. C'est émouvant la façon dont Lutens, avec l'âge , retourne à des souvenirs d'enfance ou s'inspire de son vécu. Tous les parfumeurs n'ont pas le luxe, brief aidant, de pouvoir être autobiographiques, sauf peut-être Marc-Antoine Corticchiatto.
    Je n'attends pas spécialement ce parfum parce que je ne n'adore pas le santal en note dominante, en revanche, je pensais que le prochain lancement serait une Voix noire, un gardénia en hommage à Billie Holiday? Serait-ce donc sa mère cette voix noire??

    Belle revue et inspiré le choix de ce Moreau qui ouvre des portes

    VH

    Séville à l'aube est enfin arrivé dans ma ville depuis hier. Je le teste incessamment sous peu.

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  2. VH, d'après le dossier de presse du Vaporisateur tout noir, ce noir-là est celui de Lutens lui-même mais aussi, en effet, de sa mère (qui, m'avait-il avoué en catimini au détour d'une interview, avait le même prénom que moi). On attend bien sûr cette présentation avec impatience. Mais ce santal (qui n'est pas non plus ma note culte) est beau.
    Et je suis ravie que Séville à l'aube ait franchi la frontière!

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  3. "raillé par son instituteur parce qu’il mettait des majuscules à certains mots dans une rédaction sur le Moyen-âge" C'est du Lutens tout craché, moi j'adore!

    Le parfum est beau, d'ailleurs j'ai été agréablement surprise d'avoir reçu des compliments à deux reprises, probablement parce qu'il intrigue, il marque les esprits, des parfums comme ça aux Etats-Unis personne en porte, je suis la seule à les porter au quotidien.
    Je lui fais tout de même des infidelités avec l'incompris, le mal-aimé Miel de Bois que je redécouvre cet été, un parfum fantastique. Je les emporte tous les deux la semaine prochaine puisque je vais passer dix jours dans une clinique à Chicago (huit heures d'opération, j'angoisse déjà), ils me protègeront, quoique, après une rhinoplastie, je ne suis pas sure d'être en mesure de sentir quoique ce soit...


    PS: Je suis passée il y a deux semaines à Henri Bendel, ils avaient le testeur Séville à l'Aube mais pas encore les flacons dispos à la vente.


    Emma

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  4. Emma, oui, c'est une anecdote parlante et touchante. Mes pensées pour toi lors de ce séjour à l'hôpital. En effet, pas sûr que tu sentes grand chose pendant quelques temps, mais les parfums sont aussi des grigris.

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  5. Je trouve ce Lutens-là de grande valeur, certes moins démonstratif, magnifique, magnificent que l'inégalé Ambre Sultan bien sûr mais pour autant, dans l'absolu, de même niveau de qualité, d'exigence. Pour moi, il a qq chose de magique et vraiment une extrême singularité; c'est une "vraie" création ! Ces derniers mots dans le sens où, dès la première fois où je l'ai respiré, je l'ai ressenti comme une fragrance inédite qui n'avait jamais été sentie auparavant, ni même imaginée. La patte de Serge Lutens, enfin !
    J'ajoute qu'avec la chaleur actuelle, la durée de sa note sur la peau, son développement persistant et pourtant discret, intime sont un vrai délice...
    Alizarine

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  6. Alizarine, je suis d'accord, c'est un beau parfum assez addictif et plein de sensibilité. Et en effet, les parfums au santal fleurissent merveilleusement dans la chaleur...

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  7. J'adore Santal de Mysore. Mais j'ai du mal avec la rose et surtout le chocolat. J'ai un sérieux contentieux avec Angel... Mais les deux mariés par Lutens par le biais du santal, là j'avoue, je rends les armes ! Ce que j'adore dans certains Lutens, c'est leur caudalie. Je sais, ça n'existe pas en parfum. Mais à l'instar de certains grands crus, Santal majuscule, comme Serge Noire d'ailleurs, s'étire sur une longue période et varie olfactivement. Chez moi, c'est d'abord la rose saupoudrée de son cacao amer qui s'invite; et puis quelque temps plus tard, le santal pointe le bout de son nez discrètement mais en guest star. Ce qui est sûr, c'est que je ne pourrai pas attendre les prochaines grosses chaleurs pour me l'approprier....

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  8. Ambre Rouge, Angel est un peu too-much-calories pour moi aussi, mais il n'y a pas de note chocolat dedans... même si ça s'est beaucoup dit.
    J'adore le terme de "caudalies", un amoureux l'emploie pour parler... de choses plus amoureuses. Il convient très bien au parfum, merci de me l'avoir rappelé, je vais trouver l'occasion de l'employer!

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  9. Je suis ravie que ce terme vous plaise et que nous soyons d'accord sur son adéquation avec le parfum... "La longueur en bouche" : voilà un mot qui doit être le préféré de nombre d'hédonistes. "Vin et Parfum", un couple que j'aime bien....

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