Mon voyage à Londres avec Bertrand Duchaufour pour le
lancement de Séville à l’aube dans la boutique de L’Artisan Parfumeur à Covent
Garden Market m’a un peu fait l’impression de courir le dernier kilomètre d’un
marathon de deux ans et demi. Certes, il y aura d’autres présentations, d’autres
lancements (mon livre paraît au début de l’an prochain aux USA, au Canada et en
France), mais maintenant que le parfum est sur le marché… Ouf !
Dans l’Eurostar
qui filait vers Londres, Bertrand Duchaufour et moi avons décidé de ne rien préparer à l’avance, de
sorte que nous avons inventé notre narration en direct devant le public de
journalistes, blogueurs et clients de L’Artisan Parfumeur, au cours de deux
journées de plusieurs séances chacune…
Étant données les circonstances assez inhabituelles de la naissance de Séville à l’aube, notre présentation s’est passablement écartée du modèle classique dans ce genre d’exercice, pour se transformer en conte à deux voix. L'histoire d'une rencontre -- "il était une fois un nez et une plume" -- qui s'est enchaînée sur un développement assez épique, où le rapport entre les matières premières et le récit d'une nuit de la Semaine Sainte à Séville, des matières premières entre elles et des complices en création a pullulé d'embûches, de conflits, de surprises, de découragements et d’exaltation…
J'avais fourni le récit. Bertrand avait eu l'idée d'en faire un parfum. Mais pour une fois, il partait en voyage dans un lieu qu’il n’avait jamais visité et où je devais l’entraîner purement par mes mots, mes réactions, mes émotions…Où je devais m'assurer non seulement qu'il restait fidèle à mon histoire, donc à son intuition initiale, malgré la difficulté du projet.
Au cours de cette présentation londonienne, j’ai découvert bien des choses que Bertrand ne m’avait pas avouées sur le coup. Par exemple : j’avais été déçue par ses toutes premières soumissions, mais comme je n’avais jamais accompagné un développement, je me disais que tous les parfums commençaient peut-être par être de vilains petits canards. Bertrand a lancé que ces premiers accords étaient « dégueulasses ». Il s’était imaginé que marier l’encens et la fleur d’oranger serait un jeu d’enfant, puisqu’ils se raccordent par leurs facettes minérales communes. Mais elles se bouffaient l’une l’autre, et Bertrand a passé des semaines, des mois à tenter de donner de la sensualité et du contraste à l’accord, jusqu’au jour où il m’a posé la question fatidique : « Tu sais ce que tu veux ? »
Étant données les circonstances assez inhabituelles de la naissance de Séville à l’aube, notre présentation s’est passablement écartée du modèle classique dans ce genre d’exercice, pour se transformer en conte à deux voix. L'histoire d'une rencontre -- "il était une fois un nez et une plume" -- qui s'est enchaînée sur un développement assez épique, où le rapport entre les matières premières et le récit d'une nuit de la Semaine Sainte à Séville, des matières premières entre elles et des complices en création a pullulé d'embûches, de conflits, de surprises, de découragements et d’exaltation…
J'avais fourni le récit. Bertrand avait eu l'idée d'en faire un parfum. Mais pour une fois, il partait en voyage dans un lieu qu’il n’avait jamais visité et où je devais l’entraîner purement par mes mots, mes réactions, mes émotions…Où je devais m'assurer non seulement qu'il restait fidèle à mon histoire, donc à son intuition initiale, malgré la difficulté du projet.
Au cours de cette présentation londonienne, j’ai découvert bien des choses que Bertrand ne m’avait pas avouées sur le coup. Par exemple : j’avais été déçue par ses toutes premières soumissions, mais comme je n’avais jamais accompagné un développement, je me disais que tous les parfums commençaient peut-être par être de vilains petits canards. Bertrand a lancé que ces premiers accords étaient « dégueulasses ». Il s’était imaginé que marier l’encens et la fleur d’oranger serait un jeu d’enfant, puisqu’ils se raccordent par leurs facettes minérales communes. Mais elles se bouffaient l’une l’autre, et Bertrand a passé des semaines, des mois à tenter de donner de la sensualité et du contraste à l’accord, jusqu’au jour où il m’a posé la question fatidique : « Tu sais ce que tu veux ? »
Jusque-là, je m’étais cantonnée à lui donner l’histoire
et à rédiger la chronique du développement. Cette question m’a presque mise en
colère : je n’étais ni sa cliente, ni une évaluatrice, ni une directrice
de développement ! Comment assumer une responsabilité aussi lourde, sur un produit que je ne commercialiserais pas ?
Coup de théâtre: au cours de nos journées londoniennes, Bertrand a avoué que s’il m’avait posé
la question, c’est qu’il ne savait plus où il en était. Première nouvelle :
à l’époque – et j’ai un enregistrement pour le prouver – il m’avait affirmé qu’il
savait très bien ce qu’il faisait !
J’ai mis plusieurs semaines à répondre
à sa question et lorsque je l’ai fait, mon intervention a fait exploser le
puzzle de la formule et déclenché une nouvelle crise… mais aussi fourni une
part de la solution. En fait, je suis retournée dans mon histoire pour
rapporter à Bertrand le parfum que je portais au moment des faits – je lui en
avais déjà parlé mais il ne m’avait pas entendue… Habanita a fourni l’inspiration
d’un accord oriental baumé et tabacé qui a enfin apporté la sensualité dont l’accord
encens fleur d’oranger restait en partie dénué. J’ai aussi, ce même jour, remis
en jeu un essai rejeté très tôt mais qui ne cessait de me fasciner, et qui a
fourni certains éléments permettant de donner du relief à la composition,
notamment des notes de tête vertes… Ce jour-là, je suis passée du
statut de scribe/mouillette humaine à celui de complice de création.
Au cours de la présentation, Bertrand a plusieurs fois
insisté sur le fait qu’il tentait de refléter non seulement mon récit, mais
aussi mes émotions. Et lorsqu’il a trouvé l’ingrédient qui a pu agir comme
catalyseur entre tous les accords, former l’axe vertical tête-cœur-fond du
parfum, cette émotion s’est enfin affirmée dans un cri : « Oui ! ».
Cet ingrédient, c’est la lavande Luisieri, qui venait alors d’être introduite
comme matière première de parfumerie fine. Ses facettes terpéniques, baumées,
tabacées, ciste, réglisse et encens ont formé la clé de voûte de la fragrance.
Le plus miraculeux dans cette histoire, c’est que cette fameuse lavande
Luisieri s’appelle aussi lavande de Séville : elle entrait donc
dans l’histoire non seulement par ses caractéristiques olfactives mais par son
origine. Elle a également permis d’introduire la lavande des eaux de Cologne
espagnoles, présentes dans mon récit de la Semaine Sainte : jusque là, j’avais
rejeté la note, mais Bertrand s’obstinait à l’intégrer car pour lui, une
lavande dans une fragrance aussi sensuelle et « féminine », c’était
un beau défi. Arrivée à point nommée comme un petit miracle, c’est la lavande
Luisieri qui a permis au parfum en devenir d’advenir.
Comme l’a fait remarquer quelqu’un dans le public, c’est
presque comme si Séville à l’aube s’était servi de nous – Bertrand, moi, L’Artisan
Parfumeur – pour exister. Voilà comment naissent les œuvres d’art : elles
imposent leur propre nécessité. Séville à l’aube n’a pas été composé pour moi,
mais à travers moi. Maintenant que le parfum est sorti, j’ai discuté avec
quelques vendeurs des comptoirs de L’Artisan Parfumeur à Paris qui me racontent
qu’autant d’achats sont faits sur coup de cœur, que suite au buzz énorme
suscité par ce projet unique en son genre… Autrement dit, des personnes qui n’ont
jamais entendu parler de moi, de mon livre ou même de Bertrand en tombent
amoureux.
Mission accomplie.
Avec tous mes remerciements à l'équipe adorable de L'Artisan Parfumeur |
Le récit de cette création, déjà paru en Grande-Bretagne sous le titre The Perfume Lover: a Personal History of Scent (pour commander, cliquer ici) sera publiée début 2013 en langue française aux Presses de la Cité. Séville à l'aube est d'ores et déjà disponible en France, mais en édition limitée à cause de la rareté de certaines qualités de matières premières...
Félicitations ma chère! Quel beau parcours.... J'ai hâte de recevoir ma bouteille... Hélas il faut attendre encore un mois ici en Californie.
RépondreSupprimerTara, merci! Il parait que Luckyscent est submergé de pré-commandes. On fait ce qu'on peut pour aider l'économie!
RépondreSupprimerAyant eu la chance de lire le livre avant de découvrir le parfum et vivant en plus en Espagne, je suis vraiment impressionnée à quel point Denyse a su transmettre ses souvenirs olfactifs et ses "impressions espagnoles" à M. Duchaufour qui, lui, les a traduits merveilleusement dans son parfum. En découvrant le parfum, j'avais presque l'impression que les processions de la Semana Santa (la semaine sainte) passaient à côté de moi: on aperçoit la profondeur des vieilles traditions espagnoles, l'odeur de la cire, de la structure du bois sur laquelle les hommes portent la vierge à travers la ville,remplis de fierté. On imagine les femmes espagnoles poudrées, parfumées et pomponnées pour l'occasion bougeant avec grâce et élégance leur éventail... et puis, la chaleur, les orangers, la sensualité... le jeu de la séduction, de la passion et de l'amour... Si cela était l'impression que Denyse et M. Duchoaufour ont voulu transmettre, je trouve leur pari tout à fait réussi! Bravo de nous faire plonger dans ce magnifique univers espagnol qui combine mystère, traditions, passion et sensualité!
RépondreSupprimerCorinna, merci! J'ai l'habitude de dire que ce parfum ne me ramène pas en Espagne parce qu'il s'agit d'une réécriture de mon souvenir via le prisme du style de Bertrand, mais s'il évoque la Semaine Sainte à quelqu'un qui vit en Espagne, c'est encore mieux!
RépondreSupprimerJe connais bien les eaux de Cologne espagnoles, très fougère, j'aime beaucoup.Bon, en rentrant de vacances, je fonce chez l'Artisan !
RépondreSupprimerZab63, ce côté "vieille fougère espagnole" fait partie des effets en note de tête, mais il a été repéré même par des "civils", dont il est bien lisible (quoi que temporaire).
RépondreSupprimerMe voilà possesseur d'un flacon de "Séville à l'aube" depuis hier, la boutique de Strasbourg de l'Artisan a placé ce nouveau parfum en vitrine et j'ai testé : coup de coeur.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup la fleur d'oranger (je m'arrose de Castile de Penhaligon's certains jours été ou d'Eau d'orange verte d'Hermès voire de simple eau de fleur d'oranger) mais ici je suis en présence d'autre chose, de plus vert, de plus complexe et pour tout dire, mystérieux.
Il y a là un ingrédient un chouia médicamenteux (serait-ce cette lavande qui m'intrigue d'après votre description ? autre chose ?) et tout se fond au bout de quelques minutes dans une sorte de cire, qui pour moi est non-identifiée pour le moment (une touche de guimauve quand même) mais il est vrai que je ne l'ai pas testé encore depuis longtemps ! Assurément aussi, en bon catholique épris de messe traditionnelle, j'y repère aussi une touche d'une odeur qui flotte dans l'air de longues minutes après le passage de l'encensoir.
Il ne me reste plus qu'à me procurer votre livre pour boucler la boucle. Du coup je suis inquiet pour ce parfum : édition limitée ? jusqu'à quand ? faut-il en faire des stocks ?
J'avoue aussi que je n'avais que "Al Oudh" pour le moment que j'aime beaucoup mais avec "Séville à l'aube", cela renforce mon intérêt pour L'artisan parfumeur dont je vais mieux explorer les créations.
Laurent, je suis ravie que vous ayez eu un coup de coeur pour ce parfum!
RépondreSupprimerQuant à l'édition limitée, je n'en sais pas beaucoup plus que vous puisque je ne travaille pas chez L'Artisan... On me dit qu'une qualité particulière d'absolue de fleur d'oranger de Tunisie qui entre dans la formule n'est pas disponible en grande quantité, donc qu'il est techniquement difficile d'intégrer le produit à une collection régulière.
Je pense aussi que la nature assez inédite du projet a dû jouer. C'est la première fois qu'on assiste à ce genre de collaboration parfumeur/écrivain et du coup, on sort vraiment des stratégies marketing normales, avec un élément un peu franc-tireur(en l'occurrence, ma pomme).
Mais on peut supposer que si le parfum se vend bien (ce qui semble être le cas), il en existera d'autres "vagues" de production. Je l'espère en tous cas, non seulement parce que je l'adore mais parce que mon livre sort l'an prochain en Amérique du Nord et en France: ce serait vraiment dommage que le parfum n'existe plus à ce moment-là! Mais j'en doute fort.
Un parfum merveilleux que j'ai très hâte de me procurer avant qu'il ne disparaisse des tablettes de l'AP (comme certains de leurs meilleurs parfums).
RépondreSupprimerFélicitations!
Merci, Daphnea. Je crois que pour l'instant, Séville à l'aube va se maintenir dans la collection. A l'origine il était prévu comme édition limitée, mais a connu un tel succès que de nouveaux lots ont été fabriqués. J'avoue que j'en suis plutôt fière!
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