More to Read - Encore des lectures

dimanche 12 février 2012

L'Eau de Chloé : Rock à l'eau de rose



Jouant sur la rose, prénom de belle Anglaise tellement rétro qu’il en devient pointu, Chloé a su traduire son style « cache-corset vintage glissé sous un costume en Super-100 » en termes olfactifs : rose poudrée sur fond boisé. Puis décliner le thème en trois variations : accord litchi-magnolia-muguet-pivoine à pointe verte (l’eau de parfum), contraste fruité aquatique-melon sur poudré iris-violette (l’eau de toilette), oriental miellé-ambré-tonka (l’eau de parfum intense). Pour sa quatrième cueillette dans la roseraie, Michel Almairac (qui a signé toute la série), reste dans le registre cosmétique, mais passe de la houppette de cygne à l’eau de rose, dont l’usage pour les soins de beauté est sans doute aussi ancien que ses premières distillations.

C’est précisément l’eau de rose – et non l’huile essentielle ou l’absolue – qui offre le rendu le plus juste de l’odeur de la fleur. L’utiliser comme matière première de parfum pose cependant un problème épineux : les eaux de toilette ou de parfum contiennent déjà une bonne proportion d’eau, ajoutée au concentré en plus de l’alcool. Ajouter encore de l’eau de rose compromettrait la stabilité du produit. La solution de Michel Almairac pour L’Eau de Chloé, tellement simple que personne n’y avait songé avant lui : remplacer une partie de cette eau par son eau de rose, sur un concentré qui est en fait une base chyprée sans note rosée. Une première en parfumerie moderne, et, semble-t-il, une prouesse technique.

Autre problème épineux, mais cette fois sémantique : faire un parfum à l’eau de rose qui ne soit pas ce que son nom indique… Avec son ingénue courant dans un pré, le film publicitaire de Mario Sorrenti flirte avec une esthétique David Hamiltonienne déjà passée de mode quand les parents des clientes Chloé ont atteint leur majorité : pour ces jeunes femmes, elle est donc à la fois délicieusement rétro et toute fraîche...

Mais la mousseline de soie cuisse-de-nymphe-émue de L’Eau de Chloé est jetée sur une charpente chyprée, et le chypre est moralement incapable de mièvrerie. L’eau de rose elle-même, distillée des rosa damascena de la vallée du Dadès, est en effet très fidèle  à la fleur, et semble avoir sur le développement de la fragrance des effets particuliers. Elle prolonge et tire jusqu’au cœur les notes citronnade placées en tête, et domine le fond de patchouli modernisé, c’est-à-dire ni terreux, ni camphré, tout en restant extrêmement stable. Et malgré ses airs d’ingénue, cette note rose est ample, tellement vigoureuse qu’elle en laisse une saveur sur la langue, et d’une très grande ténacité.

Par-delà sa note vintage d’Anglaise rock-chic qui se soigne aux produits du jardin, on peut songer que ce nouvel usage de l’eau de rose en parfumerie renoue avec une tradition pré-moderne. On se parfumait déjà à l’eau de rose à l’époque de Rabelais. Lequel n’écrivait pas franchement des romans Harlequin…

Photo prise lors de la présentation presse de L’Eau de Chloé.



4 commentaires:

  1. J'ai également beaucoup apprécié cette "eau"qui n'en n'est pas tout a fait une, je ne connaissais pas cette histoire d'eau de rose, interessant... Almairac traduit a la perfection l'esprit de la marque, a travers des interprétations différentes mais tres cohérentes.. Vous l'avez tres bien rappelé ici !

    RépondreSupprimer
  2. Jeanne, je suis d'accord, il y a une belle cohérence chez Chloé (comme d'ailleurs chez Bottega Veneta, preuve que le synergie Coty Prestige/Almairac fonctionne bien sur ce type de budget).
    C'est bien évidemment Michel Almairac lui-même qui m'a expliqué, pour l'eau de rose, de façon plus technique que dans le dossier de presse où ces explications n'ont pas forcément lieu d'être.

    RépondreSupprimer
  3. et oui, je me disais bien aussi ... :)
    j'ai déjà écrit un premier brouillon sur cette eau de chloé que je continue à tester en ce moment, mais permettriez-vous que je rajoute peut être cette info inédite, cruciale et très pertinente pour expliquer l'effet du parfum ? en precisant la source, of course !

    RépondreSupprimer
  4. Jeanne, avec plaisir. J'ai hâte de lire votre analyse.

    RépondreSupprimer