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dimanche 5 juin 2011

Chouda, le secret de Madame Grès

Cinq litres du Chouda de Guy Robert ont jadis existé dans le monde. J’en possède environ 10 ml: il ne doit pas y en avoir beaucoup plus, puisque selon le parfumeur c’est Mme Grès qui l’a presque entièrement porté, et qu’elle a vécu jusqu’à 90 ans. Elle le préférait à Cabochard, contrairement à son représentant commercial. L’histoire a donné raison à ce dernier : bien que les deux parfums aient été lancés en même temps, c’est le chef d’œuvre de Bernard Chant qui a survécu de trente ans à la maison qui l’a lancé, bien qu’il soit aujourd’hui réduit à l’état de zombie après plusieurs changements de propriétaire.

Inspiré par la jacinthe d’eau découverte par Mme Grès lors d’un voyage en Inde, Chouda ne mérite peut-être pas plus que d’être une note infrapaginale dans l’histoire de la parfumerie, contrairement à un autre flop commercial comme l’inénarrable Iris Gris. Lorsqu’il l’a composé en 1956, Guy Robert avait déjà produit le superbe cuir Doblis pour Hermès ; son classique Madame Rochas viendrait quatre ans plus tard. Mais lorsqu’on considère que l’année même où il travaillait sur Chouda, un autre floral frais et vert du nom de Diorissimo serait lancé, Chouda fait figure de petite chose charmante et vite oubliée. 

Jacinthe verte et fraîche relevée d’un fort effet cinnamique en tête, d’où un effet presque lilas, Chouda n’a pas grand-chose d’indien en réalité, puisque ce sont les notes foin miellé d’un bouquet de genêt, de jonquille et de narcisse qui rejoignent la jacinthe en cœur, suivies d’un accord muguet rose sur fond baumé très légèrement fumé, toujours fortement dominé par la note cinnamique. 

L’ensemble est tout à fait joli, et Alix Grès doit l’avoir porté avec plaisir. Mais quel rapport avec ses majestueux plissés ? Aucun. Pas plus, au fond, que Cabochard. La branche parfum de la maison Grès semble avoir existé dans un univers conceptuel différent, essentiellement pour soutenir son activité de haute couture, surtout lors de ses dernières années d’existence, comme l’explique d’ailleurs Guy Robert dans le Parfums de Légende de Michael Edwards. C’est donc à Cabochard autant qu’à son entêtement légendaire que Mme Grès doit sa longue carrière (la maison a fermé en 1981). Chouda, malgré son charme discret, ne lui aurait sans doute pas permis de traverser les 60s. Mais les quelques gouttes qui en subsistent n’en sont pas moins précieuses, puisqu’elles livrent le secret de l’une des plus grandes dames de la haute couture : son sillage.


Illustration: portait d'Alix Grès par Cecil Beaton (1965)


4 commentaires:

  1. Pas de regrets pour Chouda alors! le nom déjà, n'était pas très engageant, enfin peut-être à l'époque.
    Mais Cabochard, alors là oui! Et je n'ai pas encore trouvé d'équivalent. Mais j'ai enfin une petite réserve d'extrait, et un flacon d'eau de toilette qui a bien failli m'exploser à la figure (ces flacons impossibles sous pression des années 70/80 quelle plaie!).
    Aramis aurait été parfait si ce n'était le cumin. Et me manque la pointe florale de Cabochard qui fait tout son charme.
    Jolie Madame vintage de temps à autres, mais c'est différent. Azurée je ne connais pas. Bandit, l'actuel est trop fort pour moi, il m'en demande trop.
    Mais j'ai découvert récemment Rusé de Corday (j'adore ces noms: Cabochard, Rusé, Bandit..)après un départ "à la n°19", il vire Cabochard, pas mal du tout.

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  2. Anatole, en effet, on peut vivre sans Chouda, mais c'est plus embêtant d'avoir à se passer de Cabochard qui en effet, est/était plus facile à vivre que Bandit. Azurée ne se trouve pas en France, il faut demander à quelqu'un aux USA. C'est pas ça, mais ça donne une idée. Et je te recommande Bandit en vintage si tu peux trouver, la note florale est beaucoup plus perceptible.
    Et, oui, ces noms "méchants" étaient magnifiques!

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  3. Très intéressant...
    Plutôt que de la jacinthe d'eau, j'aurais davantage imaginé de la fleur de champaca sur Madame Grès!

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  4. Bénédicte, le vert des notes de tête évoque en effet assez le champaca. Mais la formule est assez fortement dosée en effets cinnamiques -- encore sur mouillette au bout de 48 heures -- ce qui à mon sens en déséquilibre la délicatesse.

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